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Le hit-parade touareg
Faire découvrir un endroit par les playlists enregistrées sur les téléphones portables de ses habitants, tel fut le projet artistique de Christopher Kirkley. Ce jeune artiste a sillonné le nord du Mali pour regrouper dans deux albums les musiques écoutées par les Touaregs de la région.
A l'origine, le but de son périple devait se limiter à l’enregistrement des bruits de la nature pour en faire une compilation sur l’environnement sahélien. Mais chemin faisant, Kirkley s’est détourné de son ambition première pour s’intéresser aux musiques préférées des habitants. Et la diversité de leurs aspirations musicales a fait le reste.
A son retour, en octobre 2010, Christopher Kirkley a sorti le premier volume de Music from Saharan Cellphones, puis le second en janvier 2011.
«Le téléphone portable est un véritable phénomène en Afrique de l’Ouest. Tout le monde a un téléphone, même dans les villages qui n’ont pas de réseau […] Ce ne sont pas juste des téléphones, mais de véritables médias.
En Occident, les disques durs servent de dépôts pour les fichiers; au Sahel, ce sont les téléphones portables», expliquait Christopher Kirkley au quotidien britannique Guardian en novembre 2010.
Lors de son périple, il s’est arrêté à Kidal, bourgade touareg du nord Mali, où il a troqué ses propres compilations contre ceux des habitants.
Si la collecte des musiques locales permet de se familiariser avec les tendances culturelles d’une contrée éloignée, c’est aussi un moyen de promouvoir des artistes inconnus à l’étranger.
Par exemple, le volume 1 de Music from Saharan Cellphones témoignent de la rencontre entre le guitariste Abdallah, des musiques nigériennes et des percussions touaregs.
Malheureusement, les artistes ne sont pas toujours connus, surtout lorsque les morceaux sont anciens.
Pour le site musical américain Pitchfork, cette première compilation est «en premier lieu un moyen d’avoir un échantillon de ce qu'écoutent les gens d’une autre culture».
Si l’album Saharan Cellphones intéresse, c’est parce qu’il représenterait, toujours selon Pitchfork, «l’illusion de la rareté». Un argument qui peut sembler étrange, car dans les faits n’importe qui peut télécharger l’album sur Internet.
Mais ce qui crée véritablement cette «illusion», c’est «le procédé de l’enregistrement, le manque d’information, et les origines inhabituelles de la musique (qui) la rendent spéciale […] Devant l'abondance de la musique, les gens ont soif de rareté […] L’idée que quelque chose soit difficile à trouver ou ait été perdu puis retrouvé, ou n’existe seulement que dans un endroit précis, est pour beaucoup excitante».
Ce n’est pas la première fois qu’un artiste regroupe et partage les musiques écoutées par les habitant de contrées «reculées».
Dès 2003, le label Sublime Frequencies (basé à Seattle, aux Etats-Unis) promouvait des albums tels que Radio Java ou Radio Sumatra: The Indonesian FM Experience, des compilations de vieilles cassettes appartenant aux autochtones ou de morceaux diffusés sur les ondes locales.
La différence avec l’album sahélien de Kirkley se situe au niveau du support, du moyen de collecte de la musique, mais le principe reste le même:
«Prendre quelque chose qui a été d’une certaine manière "oublié", le restaurer, et le présenter comme quelque chose qui, pour beaucoup d’auditeurs, sera entièrement nouveau.»