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Le lifting démocratique du président Obiang
Le 17e sommet de l'Union africaine est organisé à Malabo. Une occasion pour le président équato-guinéen de tenter d'améliorer son image.
Pour la première fois, la Guinée équatoriale accueille le sommet de l'Union africaine (UA), présidée depuis le 30 janvier 2011 par Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, le chef d'Etat équato-guinéen. Bien conscient d'être au centre de toutes les attentions et de profiter d'une audience internationale idéale pour rétablir son image controversée, le président Obiang n'a pas lésiné sur les moyens matériels ou médiatiques afin d'organiser le 17ème sommet de l'Union africaine.
Le pays, troisième producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne, n'a effectivement pas regardé à la dépense. La ville de Sipopo, située dans un nouveau quartier de Malabo (la capitale) créé ex nihilo expressément pour le sommet, aurait coûté pas moins de 580 millions d'euros. A cette occasion le pays est verrouillé, la sécurité renforcée, les hôtels ont fait monter leurs tarifs et les rues sont si balisées qu'il est peu probable que les invités du sommet puissent voir autre chose de la Guinée équatoriale qu'un ballet de bus chargés d'ambassadeurs sur une route déserte menant au palais.
La riposte du président sur les droits de l'homme
Tandis qu'en amont du sommet de l'UA, les conseillers du président Obiang se sont évertués à communiquer sur les nombreuses réformes en cours destinées à lutter contre la pauvreté et à défendre les libertés individuelles au sein du pays, le chef d'Etat équato-guinéen est plus que jamais la cible d'attaques des défenseurs des droits de l'homme.
Le président Obiang, sous le feu des projecteurs, vient en effet d’attaquer en justice une organisation non gouvernementale (ONG), le Comité catholique contre la Faim (CCFC) pour «diffamation publique».
Il est cité dans le rapport du CCFC (PDF) publié en 2009 et consacré à la corruption dans 29 pays. Et l’ONG qualifie, entre autres, le régime de la Guinée équatoriale «d’autoritaire» .
Le 24 juin 2011, devant la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, l'un des cinq avocats d'Obiang avait déploré les méthodes employées par l’ONG française qui selon lui n'a fait que relayer des informations glanées çà et là, sans précaution dans les propos et sans plus de vérifications:
«A aucun moment vous n’avez cherché à prendre contact avec les autorités du pays», accusait maître Prado lors de l'audience.
Le CCFC a quant à lui fait appel à l’ancien président de la Ligue des droits de l’homme, maître Henri Leclerc, celui-ci estimant que le président équato-guinéen cherchait à «faire taire» le CCFC «pour continuer à s’enrichir».
Mais en interrogeant le témoin de la défense Daniel Lebegue, président de Transparence International France (l'organisation à l'origine du dépôt de plainte dans l’affaire des «biens mal acquis» qui concerne, entre autres, Obiang), maître Prado lui a fait admettre qu’il siégeait au conseil d’administration de Technip, une société française d’ingénierie pétrolière travaillant en Guinée équatoriale.
Qu’il soit ou non à la faveur du chef de l’Etat, le jugement, qui sera rendu le 16 septembre 2011, arrivera trop tard et finalement importe peu. L’objectif d'Obiang étant, selon ses conseillers, de ne plus laisser se propager des informations invérifiées et uniquement vouées à déstabiliser ce pays d’Afrique centrale, et ce au moment même où le chef de l’Etat souligne le besoin de transparence politique et de démocratie en Afrique:
«L'Afrique doit assumer, plus que jamais, son rôle, aussi bien au sein de notre continent qu'au sein de la communauté internationale, dans la prévention et la résolution de ses conflits, la promotion du développement durable, le maintien de la paix, la stabilité, la promotion de la démocratie et la bonne gouvernance», avait-il déclaré (PDF) lors de son entrée en fonction à la présidence de l’UA, le 30 janvier 2011.
Le 17e sommet de l'Union africaine est une publicité à double tranchant pour la Guinée équatoriale. Dans l’histoire encore jeune de l’UA, fondée en 2002 et faisant suite à l’Organisation de l'unité africaine créée en 1963. Déterminé à profiter de cette consécration diplomatique et soucieux d'attirer de nouveaux investisseurs, le président Obiang travaille à présenter une image moderne de son pays.
Obiang redoute la contagion du conflit libyen
Alors que le sujet est au centre des négociations de l’UA, le président équato-guinéen, qui redoute la contagion des révoltes arabes, a verrouillé les informations sur la crise libyenne dans son pays. La peur d’assister à une extension du conflit ou encore à un mimétisme populaire —pourtant peu probable tant l'emprise des dirigeants est ancrée dans l'esprit des quelques 600.000 Equato-Guinéens— est si présente qu’aucun média n’a été autorisé à informer la population des soulèvements populaires voisins.
En préambule au sommet de l’Union africaine, la plupart des rassemblements ont été interdits en Guinée équatoriale. Dans le même sens, depuis le début de la crise libyenne, les vagues d’arrestations destinées à circonscrire tous les rassemblements associatifs sont constatées un peu partout dans le pays, et plus particulièrement aux alentours de Malabo.
Les journalistes équato-guinéens n’ont pas eu l’autorisation de relayer les informations sur le conflit en Libye. Le comité pour la protection des journalistes (CPJ) a fait savoir qu'une émission diffusée en langue française par la radio d’Etat aurait été suspendue sur ordre d’une «autorité supérieure», a indiqué le directeur de la station. Le journaliste de la Radio télévision nationale de Guinée équatoriale (RTVGE), Juan Pedro Mendene, aurait été censuré pour avoir fait allusion à la Libye dans son émission alors que les révoltes arabes sont interdites d’antenne par le secrétaire d’Etat chargé de l’Information et de la Presse, Federico Ababa Ondo, qui aurait exigé le départ immédiat du journaliste récalcitrant.
Jean Ping est pourtant revenu sur les récents soulèvements populaires qui ont agité l'Afrique du Nord, en rappelant le rôle que devait tenir les pays membres de l'UA. Il a également évoqué les révoltes tunisienne et égyptienne, qu'il a qualifiées d’«annonciat(rices) de la nécessité d’un processus qui contribue potentiellement à la consolidation de la démocratie en Afrique».
«Notre inquiétude est d’autant plus grande que la crise libyenne a des dimensions régionales évidentes», remarquait-il lors d'un discours le 27 juin à Addis Abeba, en Ethiopie. «Des dizaines de milliers de travailleurs migrants africains ont dû retourner dans leur pays d’origine, sans perspective assurée de réinsertion socioéconomique [...] Des centaines d’entre eux ont péri en mer, cherchant désespérément à fuir les combats et autres opérations militaires.»
L’Union africaine s’était ouvertement opposée à l’intervention de l’Otan en Libye. Réuni dimanche 26 juin à Pretoria, le Comité des médiateurs de l'Union africaine, composé de cinq chefs d'Etat (Afrique du Sud, Congo, Mali, Ouganda, Mauritanie) s'est concerté sur les possibilités de sorties de la crise libyenne:
«Nous ne sommes pas mandatés pour conduire l’assassinat de Mouammar Kadhafi», a rappelé le président sud-africain Jacob Zuma, qui dirige le comité médiateur de l’Union africaine. «Le peuple africain veut voir la fin immédiate du conflit en Libye et le début du processus vers un régime démocratique», a-t-il poursuivi.
Un dénouement libyen qui tarde pour le président Obiang, tenu de faire bonne figure sur la thématique démocratique africaine, mais qui devra apporter la preuve dans les mois à venir que les paroles prononcées lors du sommet ne s'envoleront pas à la fin de son mandat de président de l'Union africaine.
Melvin Tchakounté
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