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Mouammar Kadhafi couvert de sang, peu avant sa mort, 20 octobre 2011 (images amateur) © Reuters TV/Reuters
Mouammar Kadhafi couvert de sang, peu avant sa mort, 20 octobre 2011 (images amateur) © Reuters TV/Reuters

Les dictateurs finissent mal, mon général

La mort de Kadhafi est un exemple de la fin souvent tragique, de tous ceux qui maintiennent leur peuple sous la dictature.

Mise à jour du 16 décembre: La mort de l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi pourrait être un crime de guerre, a estimé, jeudi 15 décembre le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Luis Moreno Ocampo. «Il existe de sérieuses suspicions sur le fait que c'était un crime de guerre», a ajouté le procureur.

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Mise à jour du 27 octobre: Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté le jeudi 27 octobre une résolution mettant fin au mandat autorisant le recours à la force en Libye. La fin de l'intervention est fixée le 31 octobre à 23 h 59 heure libyenne, en dépit des appels du Conseil national de transition (CNT) libyen pour sa prolongation.

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Mise à jour du 23 octobre 2011: La Libye entre définitivement dans une ère nouvelle. Le Conseil national de transition (CNT) a proclamé ce dimanche à Benghazi (la ville où a démarré l'insurrection libyenne), une «Libye libre». C'était devant plusieurs milliers de personnes.

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A époque troublée, morts troublantes? Après les révolutions relativement policées de Tunisie et d’Egypte, il fallait que le printemps arabe en Afrique du Nord ait sa victime expiatoire. C’est désormais chose faite: le colonel Mouammar Kadhafi a payé de sa vie son obstination, et les images de son cadavre ensanglanté et roué de coups ne manqueront pas de devenir les symboles de ces mois de guerre et de violence.

Au-delà des communiqués de victoire et des scènes d’autocongratulation des grands de ce monde, scènes au demeurant dérangeantes (après tout, il n’y a pas si longtemps qu’ils recevaient Kadhafi dans leurs palais), nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que la dictature est, en fin de compte, un métier à risque. Une réalité qui n’a pas attendu la bataille de Syrte pour être confirmée.

La loi du Talion

Sans remonter trop loin dans le passé —l’Antiquité et le Moyen-Age ayant eu leur lot de despotes plus ou moins sanglants exécutés par leurs proches ou par une foule en furie— on constate, en survolant rapidement l’histoire récente, que nombreux sont les hommes «à poigne», comme l’a dit Barack Obama dans un discours de menace à peine voilé à l’adresse du président syrien Bachar el-Assad, qui ne sont pas morts paisiblement dans leur lit. Une constante historique qui peut paraître rassurante, dans la logique de «qui a vécu par l’épée périra par l’épée». Comme dans tout scénario hollywoodien qui se respecte, le méchant finit par mordre la poussière, le peuple brimé sort vainqueur de l’affrontement et peut enfin œuvrer à faire chanter les lendemains. Ou presque.

Depuis la chute du communisme, le monde a vu sombrer plus d’un autocrate englouti par l’ire de ses sujets. Le plus célèbre reste peut-être le Roumain Nicolae Ceausescu. Son visage défait, alors qu’il tentait de galvaniser la foule dans un discours et qu’il avait dû s’interrompre sous les huées, est encore dans toutes les mémoires (VIDEO). Le dictateur roumain eut le triste privilège d’être le premier dirigeant à tomber presque en direct sous les caméras. Abandonné, trahi et traqué par le cercle de ses proches, il fut arrêté alors qu’il tentait de fuir. Puis, à l’issue d’une parodie de procès à la va-vite dans une école de province, son épouse et lui furent mitraillés à coups de fusils d’assaut.

Depuis, bien d’autres sont ainsi passés de vie à trépas, le plus souvent sous nos yeux, ou du moins sous ceux des médias. Zviad Gamsakhourdia, premier président de la Géorgie indépendante, despote fantasque pour les uns, héros de la démocratie pour les autres, fut chassé du pouvoir par une guerre civile. Il mourut en 1993 dans des circonstances troubles, pendant une échauffourée avec des partisans de son adversaire, Edouard Chevardnadze. S’est-il suicidé ou est-il mort au combat? Aujourd’hui encore, le doute plane.

De nombreux cas en Afrique

Le continent africain n’a pas été épargnée. Ainsi, en 1990, Samuel Doe, président autoritaire du Liberia, qui se maintint au pouvoir par la violence pendant près de dix ans, fut renversé par les rebelles commandés par Charles Taylor. La chute de Doe fut aussi sanglante que spectaculaire, et il mourut torturé par des rebelles. Son supplice, filmé par ses tortionnaires, fut diffusé ensuite dans toute l’Afrique. Quant à son vainqueur, il est aujourd’hui jugé pour crimes contre l’humanité, s’en tirant ainsi mieux que son prédécesseur.

De tout temps, la chute et la mort d’un chef de guerre impitoyable ont eu valeur de conte moral, même si la moralité n’a rien à voir dans une telle affaire. Dans la vaste tragicomédie qu’est l’histoire de l’humanité, il peut paraître juste qu’un homme qui a gouverné par le fer et par le feu meure sous les coups de son peuple enfin libéré. Toutefois, tous ne succombent pas de la sorte. Si Doe a effectivement été exécuté par des Libériens, et Ceausescu par des Roumains, pour en neutraliser certains autres, il a fallu l’intervention de forces extérieures. C’est d’ailleurs dans cette catégorie qu’il faut sans doute ranger le colonel Kadhafi et les siens.

L’Afghanistan, en 1979, en est un parfait exemple. Hafizullah Amin, président du pays pendant 104 jours, voulut se détacher de l’influence soviétique. Mal lui en prit: il provoqua l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge. Le 27 décembre 1979, son palais, défendu par sa garde, fut pris d’assaut par les spetsnaz, les troupes d’élite soviétique. Ce fut un carnage, Hafizullah Amin étant abattu avec quelque deux cents de ses soldats. Depuis, Kaboul a vu passer et repasser des armées et des clans, et en 1996, un autre ancien président afghan, Mohammed Najibullah, fut assassiné dans des conditions atroces par les talibans.

Les signes avant-coureurs

Les périodes de troubles et de révolution sont évidemment propices à ce genre de conclusion sanglante. Il arrive aussi parfois que le dictateur en poste commette l’erreur de se lancer dans une guerre qui finit par lui coûter le pouvoir. On a pu croire que Saddam Hussein avait commis cette erreur en envahissant le Koweït en 1990, et Kadhafi lui-même avait déjà joué avec le feu en intervenant au Tchad dans les années 80. Mais dans les deux cas, les forces adverses avaient préféré ne pas aller jusqu’au bout, pour des raisons tant logistiques que pratiques: mieux valait probablement un mal connu qu’un mal inconnu. Les deux dictateurs restèrent peut-être en place parce que leurs ennemis les préféraient encore à leurs éventuels remplacements du moment. Aujourd’hui, l’un et l’autre sont morts, chacun dans des circonstances peu reluisantes, et chacun après intervention de forces armées étrangères sur son territoire.

Parmi les dictateurs qui virent leur monde s’écrouler sur eux pour avoir voulu semer la terreur chez leurs voisins, Adolf Hitler est évidemment le plus connu. Nous ne reviendrons pas sur sa fin ici. Il mourut dans les conditions que l’on sait, se suicidant dans son bunker tandis que sa capitale en flammes était conquise de haute lutte par les armées ennemies. Une conclusion hautement symbolique, digne du crépuscule des dieux dont rêvait le régime nazi.

Francisco Solano Lopez, deuxième président du Paraguay, est moins célèbre, mais son destin n’en est pas moins édifiant (là encore, les avis divergent: Lopez était un dictateur pour certains, mais un héros pour d’autres). En 1864, il provoqua le Brésil dans une affaire concernant l’Uruguay. Lopez soutenait un camp politique en Uruguay, le Brésil en appuyant un autre. Souhaitant envoyer des troupes à Montevideo, il exigea de l’Argentine qu’elle laisse passer ses forces. Quand Buenos Aires refusa, il lui déclara la guerre, déclenchant du même coup ce qui est resté dans l’histoire sous le nom de guerre de la Triple alliance. Le petit Paraguay se retrouva opposé au Brésil, à l’Argentine et à l’Uruguay. Le conflit dura jusqu’en 1870, et se termina par la mort au combat du président Lopez. Le Paraguay en sortit ruiné, dépeuplé et diminué.

Kadhafi, un cas atypique

La fin de Kadhafi semble un curieux mélange de toutes ces possibilités. Assiégé dans son fief de Syrte, entouré d’un dernier carré de fidèles, il a résisté avec acharnement jusqu’à ce qu’il tente de s’enfuir à bord d’un convoi. Les rebelles étaient en train de lancer leur énième assaut final contre la ville comme le souligne le Telegraph de Londres:

«Il semblerait que des Tornado de la RAF aient été en patrouille au-dessus de Syrte au moment de la tentative d’évasion […]. Kadhafi avait été placé sous surveillance par les forces de l’Otan depuis une semaine, de nouveaux renseignements leur ayant permis de le localiser. Un drone américain et une flottille d’appareils de surveillance de l’Otan se concentraient sur son bastion de Syrte pour veiller à ce qu’il ne puisse s’échapper.»

 Le 20 octobre, vers 8 H 30, la ville étant sur le point de tomber, Kadhafi et son entourage auraient décidé de tenter le tout pour le tout. Leur convoi, repéré par des drones américains et français, aurait été intercepté parce que «les forces de l’ancien dirigeant libyen ont commencé à tirer sur des civils». Jusqu’au bout, il aura fallu accuser Kadhafi d’avoir cherché à massacrer des civils sans défense. Dans une ville en proie aux combats et au désordre, un «convoi de cent véhicules» s’efforce de se faufiler, pendant que le ciel est sillonné de drones et d’appareils de combat. Dans la confusion, bien malin qui sait qui tirait sur qui. Il serait peut-être plus honnête de reconnaître que l’Otan savait que Kadhafi se trouvait à bord du convoi, et qu’il fallait le stopper net pour éviter qu’il ne rejoigne les Touaregs au Sud.

Quoi qu’il en soit, un «drone Predator, décollé de Sicile et piloté par satellite depuis une base près de Las Vegas, a frappé le convoi avec plusieurs missiles antichars Hellfire. Quelques instants plus tard, des avions français, vraisemblablement des Rafales, ont surgi et largué des bombes de 250 kilos […] sur les véhicules». En cela, le sort de Kadhafi rappelle vaguement celui du général paraguayen Lopez, abattu par des forces étrangères (des soldats brésiliens) en 1870. Puis les rebelles ont submergé les vestiges du convoi, et le colonel, semble-t-il blessé, a alors subi le même destin sans gloire que Samuel Doe ou Mohammed Najibullah. Exécuté sans pitié par des soldats rebelles.

«Sic transit», est-on tenté d’ajouter en guise d’épitaphe. Quant à savoir si sa mort signifiera effectivement la fin de la guerre civile en Libye, ce n’était pas le but de notre chronique, mais nous craignons fort que l’actualité ne nous donne l’occasion d’y revenir d’ici peu.

Roman Rijka

 

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Roman Rijka

Roman Rijka. Journaliste. Spécialiste de l'histoire militaire.

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