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Jacob Zuma, chef de l'Etat sud-africain et Teodoro Obiang, président en exercice de l'Union africaine, octobre 2011. © Ho New /
Jacob Zuma, chef de l'Etat sud-africain et Teodoro Obiang, président en exercice de l'Union africaine, octobre 2011. © Ho New /

L'Afrique du Sud ne fait plus rêver

Confrontée à des problèmes internes, l'Afrique du Sud post-apartheid a perdu son leadership sur le continent.

C’est donc en l’absence du dalaï lama que Desmond Tutu a fêté ses 80 ans le 7 octobre 2011. Un «triste» cadeau d’anniversaire offert par le gouvernement sud-africain. Prix Nobel de la paix en 1984 pour son rôle dans la lutte contre l’apartheid, il a également été le principal créateur et metteur en scène de la fameuse commission Vérité et Réconciliation qui a jugé et pardonné les crimes commis pendant l’apartheid. L’ex-archevêque anglican souhaitait que son ami, également Prix Nobel de la paix en 1989, inaugure la première Conférence internationale Desmond Tutu pour la paix le 8 octobre.     

Les autorités de son pays en ont décidé autrement en refusant d’accorder un visa au chef spirituel tibétain. Nelson Mandela et Thabo Mbeki, quand ils présidaient aux destinées de leur pays, avaient toujours mis un point d’honneur à résister à toute pression extérieure. Le premier avait accueilli le dalaï lama en Afrique du Sud en 1996, alors qu’il était président, puis de nouveau en 1999. Le second en 2004. Il faut croire qu’avec Jacob Zuma, le business a pris le pas sur les droits de l’homme.

En 2009,  Pretoria avait déjà refusé d’accorder un visa au guide spirituel tibétain. Et comme par hasard, depuis fin 2009, même si ses échanges avec l’Union européenne restent les plus importants, la Chine est devenue le premier pays partenaire commercial de Pretoria devant le Japon et les Etats-Unis. Le gouvernement sud-africain a beau proclamer le contraire, personne n’est dupe. Il a bel et bien fini par céder aux pressions de la Chine. Pékin s’oppose activement à toute visite du dalaï lama à l’étranger. Barack Obama et la chancelière allemande Angela Merkel n’ont pas cédé à ses injonctions. Pas le président français Nicolas Sarkozy qui a du ruser pour le rencontrer en catimini.    

«Le business a pris le pas sur les droits de l’homme»

Pour Human Rights Watch, «les raisons de ce refus ne sont pas très nobles». Et Daniel Bekele, le directeur Afrique de l’ONG américaine, de s’indigner dans un entretien accordé à l’AFP: 

«bloquer un dirigeant qui a soutenu les luttes contre l’apartheid, ce n’est pas seulement nier sa propre histoire, cela pose aussi des questions.»

Des questions, on commence à s'en poser sur l’Afrique du Sud post-apartheid. En juillet 2002, forte de son statut de première puissance économique du continent et auréolée de sa victoire sur l’apartheid, elle avait tout naturellement pris la tête de l’Union africaine, créée à Durban à son initiative, pour succéder à l'Organisation de l’unité africaine (OUA).

Son président, Thabo Mbeki, avait alors appelé à un «nouveau départ» pour «affranchir l’Afrique des conflits, du sous-développement et de la mauvaise gouvernance». Il avait aussi fait ressurgir le concept de la Renaissance africaine. «Un vieux serpent de mer idéologique africain lancé dès 1945 à la rencontre panafricaine de Manchester et théorisée par Cheikh Anta Diop dans les années 50», selon Tumba Alfred Shango Lokoho, professeur d’Histoire des civilisations et de géopolitique africaines à la Sorbonne-Nouvelle à Paris.  

Neuf ans plus tard, la Renaissance africaine a fait pschitt. Certes, l’Afrique du Sud reste un exemple de démocratie sur le continent. Mais, elle n’a pas jamais pu ou su assumer le rôle de leader que les Africains attendaient d’elle. Elle a même du mal à le faire sur le plan régional. Au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), des pays comme l’Angola, voire le Zimbabwe, ne ratent pas une occasion pour lui tenir tête.

Tout se passe comme si c’était un chapeau trop lourd à porter pour elle. Pendant son unique mandat, Nelson Mandela a été l’arbre qui a caché la forêt.  

«Grâce à son charisme extraordinaire, sa légitimité historique, son ascendant moral à la fois en Afrique et dans le reste du monde, il avait su faire entendre et respecter la voix de son pays aussi bien sur le continent africain qu’au-delà», analyse Tumba Alfred Shango Lokoho.

«Mandela, l’arbre qui a caché la forêt»

Une fois passée l’euphorie de l’ère magnétique de Nelson Mandela, la réalité est apparue toute crue. L’Afrique du Sud post-apartheid accumule trop de handicaps pour s’aviser de jouer les puissances hégémoniques sur le continent africain.

«Dans l’esprit des nouveaux dirigeants sud-africains, l’intégration des populations noires notamment par la lutte contre le chômage endémique qui les frappe, contre la violence, le sida, l’élaboration d’une réforme agraire, etc… passaient avant toute autre considération», explique Philippe Hugon, Directeur de recherches à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris.

Pour Shango Lokolo, si l’Afrique du Sud n’a pas su s’imposer comme le leader naturel en Afrique, c’est aussi parce que son appareil et ses pratiques diplomatiques sont très peu performants:  

«l’Afrique du Sud a du mal à appréhender tous les enjeux politico-diplomatiques africains. Elle n’a pas encore compris qu’il n’y a pas une, mais des Afriques, francophone, anglophone, lusophone, arabophone dont il faut parler les langues et appréhender les réalités et les subtilités. Bref, elle n’a compris qu’il n’y a pas de recette standard applicable partout.»

Et de fait, mis à part un succès mitigé dans le règlement des crises en République démocratique du Congo et au Burundi, les initiatives diplomatiques de Pretoria se sont, la plupart du temps, soldées par des échecs plus ou moins cuisants. Fiasco en 2006 en Côte d’Ivoire. Les Chefs d’Etat de la Communauté économique de l’Afrique de l’ouest (Cédéao) ont été obligés de mettre prématurément fin à la mission de médiation confiée à Thabo Mbeki.

Au Zimbabwe, la diplomatie «tranquille» de l’ex-chef d’Etat sud-africain n’a pas connu un meilleur sort. Aujourd’hui tout le monde reconnaît que le gouvernement d’union nationale mis en place depuis les élections controversées de mars 2008 ne fonctionne pas. Le Premier ministre, Morgan Tsvangirai, le leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) et le président, Robert Mugabe, passent le clair de leur temps à se marquer à la culotte.

«Ménager, légitimer voire soutenir des autocraties»

L’Afrique du Sud est dirigée par le Congrès national africain (ANC), un parti qui possède une tradition anti-impérialiste très marquée. Pendant la lutte contre l’apartheid, il a eu un long compagnonnage avec un certain nombre de leaders, partis politiques et pays africains qui lui ont apporté leur soutien. Comme la Libye de Mouammar Kadhafi, l’Angola de José Eduardo Santos, le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, alors opposant au régime de Félix Houphouët-Boigny (premier président de Côte d'Ivoire). Sans oublier Robert Mugabe au Zimbabwe. Dont le parti, l'Union africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), sorte de pendant de l’ANC en Rhodésie du Sud, (ancien nom du Zimbabwe) se battait contre le pouvoir raciste blanc de Ian Smith.

Le problème, c’est que, histoire de renvoyer l’ascenseur à ses vieux amis, mais aussi pour ne rien lâcher face aux pays occidentaux dont elle goûte peu l’influence en Afrique, Pretoria a eu tendance à ménager, légitimer, voire soutenir leurs régimes. Même quand ils sont devenus des autocrates foulant aux pieds les valeurs sur lesquelles le parti cher à Nelson Mandela a fondé sa lutte de libération.

Ainsi, si pour des divergences sur l’édification des Etats-Unis d’Afrique, Thabo Mbeki, n’avait pas beaucoup d’atomes crochus avec Mouammar Kadhafi, Nelson Mandela, entretenait des relations chaleureuses avec le guide libyen. Tout comme Jacob Zuma. Ce n’est que le 20 septembre 2011, que l’Afrique du Sud a reconnu le Conseil national de transition libyen,  après avoir longtemps soutenu Mouammar Kadhafi.

En Côte d’Ivoire en 2006, même quand il jouait les médiateurs, Thabo Mbeki ne cachait pas son empathie pour Laurent Gbagbo, autoproclamé héraut nationaliste en lutte contre la France, l’ancienne puissance colonisatrice. Au Zimbabwe, le même Thabo Mbeki a défendu Robert Mugabe contre vents et marées, allant jusqu’à déclarer au plus fort des troubles, que le pays ne traversait aucune crise. Jacob Zuma avait également pris fait et cause pour Laurent Gbagbo lors de la crise post électorale de novembre 2010 qui a ensanglanté la Côte d’Ivoire. Autant d’errements qui contribuent à brouiller l’image du pays Arc-en-ciel.

Valentin Hodonou

 

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Valentin Hodonou. Journaliste béninois. Spécialiste de l'Afrique.

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