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Décompte des bulletins dans un bureau de vote, après le scrutin du 9 octobre au Cameroun. © Akintunde Akinleye / Reuters
Décompte des bulletins dans un bureau de vote, après le scrutin du 9 octobre au Cameroun. © Akintunde Akinleye / Reuters

Au Cameroun, les opposants jouent avec le feu

Alors que le président camerounais, Paul Biya, va entamer un sixième mandat, ses adversaires se lancent dans une stratégie dangereuse pour le renverser.

Mise à jour du 4 novembre: Sorti vainqueur du scrutin du 9 octobre, Paul Biya a été investi président pour un sixième mandat consécutif. Il a prêté serment à l'Assemblée nationale.

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Sans la moindre surprise, le président camerounais a été proclamé vainqueur de l'élection du 9 octobre 2011. Il est crédité de 77,98% des suffrages contre 10% pour son opposant historique, John Fru Ndi. Mais, avant même la proclamation des résultats le 21 octobre au soir, les principaux adversaires de Paul Biya sont montés au créneau pour, une nouvelle fois, dénoncer ce qu’ils appellent une mascarade d’élection. Avant même que les 18 recours en annulation portés auprès de la Cour suprême agissant comme Conseil constitutionnel ne soient examinés et finalement rejetés, l’opposition camerounaise a appelé les populations à descendre dans la rue pour réclamer l’annulation du vote. Dans ce qu’ils ont baptisé «Déclaration de Yaoundé», sept opposants parmi les plus en vue dont John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF), le principal challenger de Biya, et Edith Kah Walla du Cameroon’s People Party (CPP), l’une de des deux femmes engagées dans la course, ont brandi, pour ainsi dire, le spectre du chaos en appelant ni plus ni moins à un soulèvement des populations. C’est en tout cas ce qui transparaît entre les lignes de leur déclaration.

Un baroud d’honneur

John Fru Ndi, le leader anglophone de l’opposition, y est par exemple allé sans ambages:

«Nous appelons le peuple à venir manifester en faveur de son droit à participer à des élections libres et transparentes. Avant d’ajouter lorsque les recours en annulation ont été rejetés le 19 octobre, Moi, Ni John Fru Ndi, j’irai manifester. Parce que je ne peux plus laisser continuer la gabegie dans ce pays.»

Ce discours virulent que l’on a pourtant peu entendu pendant la campagne présidentielle peut séduire tous ceux qui sont désespérés par le trop long règne de Paul Biya, 78 ans, au pouvoir depuis 1982, et qui s’apprête ainsi à diriger à nouveau le pays pendant sept ans. Ces critiques acerbes rejoignent les réserves de la société civile et des observateurs internationaux lors de cette élection, qui ont tout de même relevé plusieurs irrégularités et des dysfonctionnements de la part d’Elections Cameroon (Elecam), l’instance en charge de l’organisation du scrutin. La critique de l’opposition semble donc fondée et justifiée. Mais sa fameuse «Déclaration de Yaoundé», dans laquelle elle agite les peurs, peut laisser songeur.

Quelle crédibilité les Camerounais peuvent-ils accorder aujourd’hui à cette opposition qui, depuis le retour du multipartisme dans ce pays, il y a vingt ans, a brillé par ses incohérences, ses contradictions et, pour faire court, par son incompétence? Les 22 candidats en lice face à Biya, même s’ils n’ont pas tous appelés «à manifester», estiment que l’élection était une farce. Non sans raisons d’ailleurs. Mais aucun d’eux ne peut raisonnablement aujourd’hui feindre de découvrir que les jeux étaient faits depuis longtemps. Ils dénoncent les fraudes, mais tous savaient bien avant de s’engager dans la course que la présidentielle du 9 octobre ne serait qu’une «mascarade». C’est d’ailleurs l’analyse de Me Alice Nkom, activiste des droits de l’homme bien connue au Cameroun et qui préside la Commission électorale citoyenne indépendante (Ceci), et que personne ne peut soupçonner de quelque collusion avec le pouvoir:

«L’élection n’a pas été démocratique. Mais la pièce de théâtre est terminée. L’opposition a accepté les règles biaisées du scrutin et doit se plier au jeu au lieu d’enchaîner les contestations. Tout en admettant qu’Elecam était acquis au pouvoir, ils sont allés à l’élection.»

«Les bonimenteurs du chaos»

Comment comprendre donc l’attitude de ces leaders politiques, si ce n’est qu’il s’agit certainement pour eux d’un souci de continuer à exister, de ne pas totalement perdre la face à l’issue de ce combat qui était inégal, mais qu’ils ont eux-mêmes contribué à rendre injuste. Lorsque, en 2008, Paul Biya a fait modifier la Constitution pour pouvoir briguer un sixième mandat, aucun responsable de l’opposition n’a levé le petit doigt, englués qu’ils étaient tous alors dans  des querelles internes de leadership. Ce sont plutôt les jeunes qui étaient descendus dans la rue pour manifester, avant de se faire violemment réprimer par les forces de l’ordre. Les manifestations, soldées par des émeutes qui avaient fait une centaine de morts selon les ONG des droits de l’homme, ont ensuite été «récupérées» par l’opposition. Par ailleurs, bien avant le scrutin de 2011, ces opposants ont tous rejeté l’option d’une candidature unique. Ce qui aurait pu leur permettre d’avoir une chance d’arriver au pouvoir. Mais à la place, ils n’ont pas eu peur du ridicule en se lançant dans la bataille en ordre dispersé.

En souhaitant aujourd’hui que le désordre s’installe, peut-être pour arriver à faire partir Biya par la force, les opposants camerounais jouent en quelque sorte avec le feu. Ils prennent le risque de voir ce pays d’Afrique centrale s’embraser, si jamais ils étaient entendus. Ils prennent le risque d’hypothéquer encore plus l’avenir de la jeunesse, pour laquelle ils n’ont eu de cesse pendant la campagne électorale de déplorer les difficiles conditions de vie. Si, par malheur, le Cameroun s’installait dans un bain de sang, ce ne serait pas seulement une conséquence fâcheuse des dérives du régime de Paul Biya. L’opposition en porterait toute la responsabilité. Elle n’a jamais pu proposer une alternance crédible. Au contraire, elle a fait des vociférations —souvent très molles, d’ailleurs— contre la gabegie du système, son seul fonds de commerce. Ce à quoi il faut ajouter de nombreuses accusations de corruption.

L’alternance ne se fera pas par miracle

La colère sourde qui gronde dans les quartiers populaires ne peut être perçue comme une réelle adhésion à l’opposition. Et si Paul Biya lui-même se permet de taxer ses adversaires de «bonimenteurs du chaos», c’est bien que l’opposition camerounaise a montré son échec, dépourvue qu’elle est d’une véritable pensée politique et d’une réelle connaissance de l’électorat populaire. A chaque élection, en effet, elle chante la même rengaine de la fraude et récite la même complainte des irrégularités, dont elle n’a jamais pu inventer les instruments de mesure. Est-ce donc maintenant que les carottes sont cuites, avec la réélection de Biya, que l’opposition camerounaise peut être entendue? La bataille pour des élections justes et transparentes devait se mener avant le scrutin. Au lieu d’appeler les populations, déjà fortement préoccupées par des impératifs de survie, à manifester, elle devrait s’atteler dès maintenant à construire un programme qui suscite une véritable adhésion populaire, la seule garantie d’une alternance sérieuse, durable et pacifique.

Raoul Mbog

 

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Raoul Mbog est journaliste à Slate Afrique. Il s'intéresse principalement aux thématiques liées aux mutations sociales et culturelles et aux questions d'identité et de genre en Afrique.

 

 

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