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Kadhafi «va rencontrer son Maître»
La fin macabre de l'ex-dictateur libyen lors de la prise de Syrte, sa ville natale, par les combattants du Conseil National de Transition soulève de nombreuses questions cruciales pour l'avenir de la Libye.
Mise à jour du 16 décembre: La mort de l'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi pourrait être un crime de guerre, a estimé, jeudi 15 décembre le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Luis Moreno Ocampo. «Il existe de sérieuses suspicions sur le fait que c'était un crime de guerre», a ajouté le procureur.
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Il y a plusieurs manières de réagir à la mort de Mouammar Kadhafi et toutes ne sont pas forcément exclusives les unes vis-à-vis des autres. On peut d’abord utiliser une expression très usitée dans le monde arabe qui dit qu’il «va rencontrer son Maître», ce qui signifie que l’on espère qu’il va payer ses crimes dans l’au-delà et qu’il n’y plus rien à dire en ce bas-monde. On peut aussi se réjouir, bruyamment ou non, de la mort d’un dictateur qui a terrorisé son peuple et conduit son pays dans l’impasse. Comme Saddam Hussein, le «Guide» a finalement été le pire ennemi de la souveraineté de son pays. Par sa faute et celle de son clan, la Libye est aujourd’hui sous tutelle internationale n’en déplaise à celles et ceux qui pensent que le Conseil national de transition (CNT) est libre de ses choix et décisions. «Nous serons attentifs à ce que le CNT applique correctement sa feuille de route», a déclaré Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, en commentant la mort de Kadhafi. On ne peut être plus clair même si, ici et là, on annonce que l’Otan va mettre fin à ses opérations militaires en Libye.
Il ne s'est pas sauvé comme un lâche
Mais revenons à la mort de celui qui, contrairement aux rumeurs, ne s’était pas réfugié en Algérie ou au sud de son pays chez les Touaregs. Il faut espérer que sa fin pitoyable —on y reviendra— fera réfléchir les autres tyrans arabes (et africains), qu’ils soient présidents ou monarques. Peut-être comprendront-ils enfin que rien n’est permanent et que les peuples sont capables de tout. Bachar al-Assad, le dictateur syrien, est prévenu. Ce qui vient d’arriver à Kadhafi sera peut-être aussi son sort lui dont les manifestants, courageux et désarmés, réclament qu’il soit jugé par la Cour de justice de La Haye. Mais peut-être que cela aura l’effet inverse. Peut-être que tous ces présidents et rois vont se dire qu’il n’y a pas d’autre issue pour eux que de continuer à exercer toujours plus de violence et de coercition afin de ne pas lâcher prise. Cela promet des jours difficiles aux Syriens, aux Yéménites mais aussi aux Saoudiens, aux Bahreïnis sans oublier, bien entendu les Algériens et les Marocains, ces deux peuples ne croyant guère au mensonge de la «transition heureuse» qu’on leur proclame.
Kadhafi est donc mort les armes à la main. A Tunis, même ceux qui ont fêté cela, ont relevé que «lui au moins ne s’est pas sauvé comme un lâche en Arabie Saoudite». C’est un fait. Le «berger de Syrte» ne connaîtra pas le sort de Ben Ali, exilé dans un pays qui ne lui convient guère et où sa liberté de mouvement est des plus réduites. Il ne sera pas non plus jugé —et humilié— comme l’a été Moubarak. C’est bien dommage. Kadhafi aurait peut-être raconté beaucoup de choses notamment ses liens avec des dirigeants occidentaux, de Tony Blair l’affairiste âpre au gain à Sarkozy, le «mondialissime» général en chef sans oublier l’ineffable Berlusconi. Oui, il aurait été bénéfique, pour les démocraties du nord, d’avoir des détails sur les compromissions de leurs gouvernements et élites avec un régime exécrable mais qui a distribué des tonnes de billets verts. Kadhafi ne sera pas jugé. Attrapé vivant, une balle dans la tête l’a empêché de parler à tout jamais. Comme dans un film noir où le mafieux gênant n’arrive jamais au tribunal pour témoigner, c’est une mort qui arrange beaucoup de monde à commencer par ses anciens serviteurs devenus révolutionnaires, démocrates et, faisons plaisir à BHL, «laïcs».
«Les Arabes sont comme ça...»
Disons les choses de manière claire: Kadhafi est mort lynché. Certains affirmeront que c’est tout ce qu’il méritait, que ce qu’il a subi n’est rien en comparaison des souffrances qu’il a infligées à son peuple. Pourtant, n’importe quel criminel a droit à un jugement équitable. C’est ainsi que l’on se différencie de la barbarie. Spectacle obscène que celui de cette foule déchaînée criant «Allahou Akbar», Dieu est le plus grand, en traînant et piétinant la dépouille ensanglantée de Kadhafi. C’était la même violence bestiale que lors de l’exécution de Saddam Hussein. Dans les deux cas, le monde entier a pu se dire, mi-horrifié, mi-goguenard, que c’est ainsi et que les Arabes sont comme ça... Des brutes épaisses, qui n’ont aucun respect pour la vie, quel que soit le camp dans lequel ils se placent. On dira que de nombreuses démocraties se sont bâties sur des crimes originels, que, par exemple, les Français ont coupé bien des têtes avant que leur République ne devienne forte et incontestée. Peut-être, mais il faut espérer que le sort sanglant de Kadhafi ne pèsera pas comme une malédiction sur l’avenir de la Libye.
La mort de ce tyran est certainement une bonne nouvelle pour le peuple libyen. C’est l’évènement qui montre qu’aucun retour en arrière n’est possible. Mais c’est aussi un immense défi pour l’unité d’un pays où le fait tribal reste un élément incontournable. Qu’on le veuille ou non, toutes les questions posées dès les premiers jours du soulèvement des Libyens restent posées. Qui va diriger ce pays? Comment seront apaisées les tensions entre Tripolitaine et Cyrénaïque? Qui va récupérer les armes? Qui va désarmer la jeunesse qui a pris goût au pouvoir que procure la kalachnikov? Que vont faire les islamistes maintenant que leur principal ennemi n’est plus? Celles et ceux qui dansent sur la dépouille de Kadhafi vont très vite se poser ces questions.
Akram Belkaïd, à Tunis
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