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A quoi joue l'opposition camerounaise?
L’appel de l’opposition à manifester, si l’élection présidentielle du 9 octobre au Cameroun n’est pas annulée, semble loin de faire l’unanimité au sein de la population.
Mise à jour du 4 novembre: Sorti vainqueur du scrutin du 9 octobre, Paul Biya a été investi président pour un sixième mandat consécutif. Il a prêté serment à l'Assemblée nationale.
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Mise à jour du 22 octobre - Sans surprise le président camerounais Paul Biya a été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle du 9 octobre. Il remporte 77,98% des suffrages devant son opposant historique John Fru Ndi qui a, lui, recueilli 10,71% des voix. Les résultats ont été proclamés par le 21 octobre au soir par la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel, au terme d'une audience qui a duré plus de 8 heures.
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Heure de pointe dans un des innombrables taxis jaunes de Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Une mère de famille et une étudiante se partagent la banquette arrière du véhicule déglingué et échangent sur les difficultés quotidiennes. La conversation vire vite à l’élection présidentielle:
«Le choix du Peuple!? Alors que les choses vont de pire en pire au pays, raille la plus jeune, en référence au slogan inscrit sur les affiches géantes 4x3 à l’effigie du président Paul Biya. Moi ce que je veux, c’est qu’on annonce les résultats et que tout se passe bien. L’opposition veut aller manifester! Vraiment à quoi ça sert?»
Et la dame plus âgée de renchérir:
«Les gens sont tensionnés (Ndlr, en colère) ! On jongle pour survivre. L’opposition n’a qu’à faire sa politique et nous laisser tranquilles. Ils ont montré sur Canal 2 (Ndlr, chaîne de télévision privée très populaire) un licencié en économie reconverti en vitrier pour survivre. Et vous allez demander à quelqu’un comme ça d’aller manifester? Comme si ça pouvait change.»
Toutes les deux concluront avec le chauffeur de taxi —et sous l’oreille attentive de la journaliste— que la politique au Cameroun n’a de politique que de nom. Opinion fort répandue dans les conversations ces derniers temps... Car si le «Cameroun d’en-bas» se plaint à longueur de journée de son difficile quotidien (40% de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté), les Camerounais semblent peu passionnés par l’élection, partagés qu'ils sont entre la résignation et l’agacement exprimés dans la sempiternelle expression de dépit «On va même faire comment?».
Le discrédit qu’ils portent sur leur système électoral contribue toutefois largement à cette conviction. Elections Cameroon (Elecam) en charge d’organiser le scrutin à la place du ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (Minatd) fait l’objet de vives critiques, accusé d’être à la botte du pouvoir détenu par Paul Biya depuis 1982. Cette instance est marquée par une trop grande présence de membres du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Même son élargissement à des personnalités de la société civile peine à convaincre de sa capacité à organiser des élections transparentes. Enfin pour parfaire le tableau, l’opposition camerounaise fait grise mine, soupçonné de corruption et critiquée pour son manque de stratégie et son absence de programme.
Le ras-le-bol des chefs de file de l’opposition
C’est dans ce contexte que John Fru Ndi, Adamou Ndam Njoya, Bernard Muna, Kah Walla, Albert Nzongang, Paul Ayah Abine et Momo Jean de Dieu ont fait part lundi devant la presse de leur «désillusion» devant l’attitude d’Elecam au cours du processus électoral. Ils ont accusé l’organe de la conduite du scrutin de les avoir floués en ressortant l’ancien fichier électoral du Minatd à la place de celui «toiletté» par les commissions mixtes où leurs représentants siègeaient. Dénonçant un «verrouillage du système» par le parti de Paul Biya et une abstention record le jour du scrutin, ils ont refusé par avance les résultats et invité les Camerounais à manifester si l’élection n’était pas annulée. Leurs demandes d’annulation totale ou partielle introduites auprès de la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel (jamais mis sur pied) rejetées le 19 octobre, les partis d’opposition entendent plus que jamais maintenir leur mot d’ordre.
John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF), l’opposant historique, a ainsi déménagé temporairement à Yaoundé pour suivre l’issue du scrutin.
«Je n’irai pas à la cérémonie de proclamation des résultats. Pour quoi faire? Mercredi alors que la Cour suprême statuait sur nos requêtes en annulation, j’ai reçu un carton d’invitation pour venir assister à la proclamation des résultats. C’est la preuve que ces recours n’étaient qu’une formalité. Nous appelons les Camerounais à manifester même si le pouvoir a renforcé la présence militaire.»
Kah Walla, candidate du Cameroon’s People Party (CPP) se veut plus apaisante:
«Moi je serai là. Car, ces résultats me concernent. Peut-être vais-je gagner (rires). Je trouve que la réaction des autorités à notre déclaration est disproportionnée: les appels au calme qui se multiplient et la présence policière font croire à une action violente de notre part. Mais nous n’avons jamais invité les gens à la rue ou à la violence. Manifester ça peut être écrire dans un journal, faire un graffiti… Ce n’est pas que marcher dans les rues.»
L’obsession de la paix
Depuis la sortie des leaders de l’opposition, ces derniers se livrent à une joute verbale avec le pouvoir. Le RDPC a aussitôt appelé les Camerounais «à ne pas céder à la provocation» indexant «certains partis politiques (...), au mépris de la légalité républicaine, de lancer des appels injustifiés et inadmissibles au désordre et à la violence». Le parti au pouvoir estime en effet que si le scrutin a connu quelques irrégularités, en raison du caractère «jeune» d’Elecam, dont c’était le baptême du feu, cela n’est pas de nature a modifié l’issue du scrutin. Plusieurs membres du gouvernement ont déploré l’attitude «irresponsable» des candidats de l’opposition, une rengaine vite reprise par de nombreuses associations professionnelles, chefs traditionnels, dignitaires de confessions diverses. L’Eglise catholique au Cameroun a ainsi appelé lors d’un point presse jeudi à respecter le résultat des urnes:
«Ne descendez pas dans la rue. Restez sourds aux appels à la violence et au désordre qui vous sont lancés», a déclaré Mgr Joseph Atanga, président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun.
Dans ce contexte tendu, la réaction de Washington critiquant le processus électoral a jeté un pavé dans la mare. Lors d’un discours prononcé devant la société civile mercredi, Robert Jackson, l’ambassadeur américain à Yaoundé, a indiqué que les observateurs américains déployés le jour du vote ont noté «des incohérences et des irrégularités à tous les niveaux, ainsi que des difficultés techniques de la part d'Elecam dans l'administration de l'élection.»
Dans une liste de dix-neuf recommandations, le diplomate souligne la nécessité pour Elecam de pouvoir prouver son indépendance et le RDPC au pouvoir de «s’abstenir d’utiliser les ressources publiques pour faire campagne (…) et de s’abstenir de susciter la peur en faisant valoir que voter pour l’opposition entraînerait l’instabilité et la guerre civile.»
De quoi apporter en apparence de l’eau au moulin des opposants qui dénoncent une «mascarade» électorale. Mais le diplomate ne mâche pas non plus ses mots à leur encontre:
«L'opposition ayant présenté 22 candidats, il y a lieu d’émettre des réserves quant au sérieux de cette opposition et des candidats. Se réveillant tardivement, certains partis d'opposition parlent désormais d'un front commun. N’auraient-ils pas dû penser à cela plus tôt?»
Sarah Sakho
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