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Joseph Kony, prépare ton cercueil!

Le shérif ricain continue sa traque des grands méchants. Nouveau desperado en chef: le leader de l’Armée de résistance du Seigneur. Texte et dessin inédits de Damien Glez.

Mise à jour du 7 juin : Selon un rapport de l’ONU, le chef de guerre ougandais Joseph Kony aurait enlevé 591 enfants dans les trois dernières années.  Le rapport remis hier par le secrétaire général de l’Onu Ban ki-Moon, révèle que Joseph Kony aurait enrôlé des jeunes garçons pour en faire des enfants soldats et kidnappé des jeunes filles pour en faire des esclaves sexuelles. Le rapporte stipule également que certaines recrues étaient utilisées comme des boucliers humains ou des espions officiant pour l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA). En mars dernier, l'Union africaine a annoncé qu’elle allait déployer une force de 5 000 hommes pour en finir avec la LRA  et arrêter son chef Joseph Kony, recherché par la justice internationale.

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Il y a toujours du chasseur de prime dans l’âme du cowboy américain. Saddam Hussein pendu et Oussama Ben Laden immergé, l’Oncle Sam veut sans doute détourner l’attention de ce qui se passe en Libye. Le fantomatique Kadhafi y nargue encore et toujours une mise à prix de 1700000 dollars (soit 1.241.975 euros). D’ailleurs, le shérif chargé de cette traque n’est-il pas moins Barack Obama que Nicolas Sarkozy?

Qui dit bon western, dit «bon» méchant. On ne se souvient du film «L'homme des vallées perdues», de 1953, que grâce à Jack Wilson, le tueur à gages à tête de serpent, qui enfilait ses gants noirs avant d'assassiner un quidam. «Have gun, will travel», de 1961, n’est mémorable que grâce à Ben Jalisco, l’évadé du bagne revenu se venger.

Gourou de l’Armée de résistance du Seigneur

En 2011, les story tellers américains de la géopolitique internationale situent le nouveau Far West à l’est; celui du continent africain. Pour éviter d’être taxés d’islamophobie et d’arabophobie, les Etats-Unis viennent de se dégoter, dans ce «eastern western», un fou religieux noir et christique: Joseph Kony, le gourou de l’Armée de résistance du Seigneur, fondamentaliste qui prône -par les autres peut-être plus que par lui- l’observance mormonesque des commandements de la Bible. Excellent casting pour ce nouveau western made in US.

Cette nouvelle incarnation du mal est née en 1961 à Odek, en Ouganda. D'ethnie acholi, Kony se fait remarquer comme medium «immortel», prophète autoproclamé en communication avec le Saint-Esprit, «destructrice» réincarnation de l'esprit d'un ancien ministre ougandais et de celui d'un général chinois.

Attaquer Kampala avec des pierres

Dès 1987, alors coiffé de dreadlocks, il prend la tête d'un groupe armé luttant contre le nouveau régime de Yoweri Museveni. Kony s’inspirera des Holy Spirit Mobile Forces de sa cousine Alice Lauma Lakwena. Celle-ci entendait attaquer Kampala avec des pierres qui, assurait-elle, «se changeraient en bombes».

Dans la foulée des désillusions militaires de sa parente, Joseph Kony crée l’United Holy Salvation Army, puis l’United Democratic Christian Army baptisée finalement Lord's Resistance Army. Il utilise, lui, un enduit de beurre de karité censé protéger des balles et des attaques à l’eau bénite sur la base stratégique d’un déploiement de ses troupes en forme de crucifix. «Œcuménique», Kony n’hésite pas à emprunter aux autres croyances. Comme les prêtres vaudous, il utilise des amulettes. Comme les révoltés zoulous de Bambata, il éradique tous les poulets blancs et leurs propriétaires. Il élabore une prophétie annonçant un «monde du silence» où les armes à feu ne pourraient plus crépiter face aux lances de ses guerriers. En attendant, Museveni le tiendra longtemps en échec avec des armes conventionnelles.

Utiliser des enfants soldats

Au fil des ans, Kony n’hésitera pas à utiliser des enfants soldats qui deviendront même, à certaines périodes, majoritaires dans ses troupes. Quand on a l’âge de croire au Père Noël, pourquoi aurait-on du mal à croire en l’immortalité de son commandant? Un lavage de cerveau en règle, une lecture littérale quotidienne de la Bible et des programmes d’endurcissement –exercice d’assassinat de leurs proches– finissent d’anesthésier tout esprit critique des jeunes recrues.

L'Armée de Résistance du Seigneur (LRA) serait responsable d'environ 25000 enlèvements, les proies de sexe féminin étant promises à un avenir d’esclaves sexuelles. Kony, lui-même, disposerait d’un harem composé de quarante à soixante épouses à peine pubères. Pratiquant la politique de la terre brûlée, ses troupes ont abondamment décapité des hommes, violé des femmes, coupé des oreilles et des lèvres, tranché des pieds de cyclistes ou écrasé des nouveaux-nés dans des mortiers. Le conflit fera des milliers de morts et provoquera le déplacement de 1,7 million de personnes.

Envoi d’une centaine de conseillers militaires  en Ouganda

Selon un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks, les effectifs de la LRA ne seraient forts, aujourd’hui, que de 300 à 400 combattants. Faisant fi des frontières au gré de ses déconvenues, l’«Armée» se fait la championne de la délocalisation de la terreur. Elle traumatise les populations civiles, de l’Ouganda à l’est de la Centrafrique, en passant par le nord de la République démocratique du Congo et le Sud-Soudan. En 2001, la LRA est inscrite sur la liste américaine des organisations terroristes. Le 7 juillet 2005, la Cour pénale internationale délivre un mandat d’arrêt à l’encontre de Joseph Kony. Le leader de la LRA est accusé sur la base de sa responsabilité pénale, de 12 chefs de crimes contre l’humanité et de 21 chefs de crimes de guerre.

En avril 2008, après vingt mois de négociations, Kampala et la LRA finalisent un accord de paix. Joseph Kony refuse de le signer et prend la poudre d’escampette. Après le sud du Darfour, il se trouverait actuellement en Centrafrique.

Un de ses commandants n’a pas réussi à passer entre les mailles du filet. Thomas Kwoyelo, qui avait rang de «colonel» au sein de la LRA, est arrêté, en République démocratique du Congo, en mars 2009. Son procès s’ouvre le 11 juillet dernier à Gulu , dans le nord de l’Ouganda. Une chambre spéciale de la Haute Cour de justice l’entend pour cinquante trois chefs d'accusation: assassinats, prises d'otage, destruction de biens d'autrui et blessures. Fin septembre, la Cour constitutionnelle décide que Thomas Kwoyelo devra bénéficier de l’amnistie.

La cavalerie américaine a décidé de prendre les choses en main. Après avoir accordé à l’Ouganda une aide en matière de renseignement qui aurait permis d’éliminer, selon les autorités ougandaises, «50% des responsables de haut niveau» de ce mouvement et « 25% de ses combattants», le shérif en chef va intensifier son réseau de chasseurs de primes. Le 14 octobre, Barack Obama, boosté par l’exécution de Ben Laden, annonçait l’envoi d’une centaine de conseillers militaires  en Ouganda, puis ultérieurement en République Démocratique du Congo, au Sud-Soudan et en Centrafrique. Ces soldats appartiennent aux «Forces spéciales», ces commandos d'élite utilisés dans les opérations anti-guérilla. L’objectif est clair: décapiter la LRA. La cible est indiquée: Joseph Kony.

Fiasco de «Restore Hope»

Le cowboy ricain est donc décidé à faire à nouveau la loi dans le Far East. Et tant pis si le sénateur américain John McCain, adversaire malheureux d’Obama à l’élection de 2008, craint que les Etats-Unis finissent par «s’engager dans quelque chose dont il ne pourront pas sortir». Et tant pis si cette région de l’Afrique rappelle aux Américains l’opération «Restore Hope» qui s’était conclu, en 1993, par un cinglant fiasco.

Pour rassurer, Victoria Nuland, la porte-parole du département d'Etat, a précisé que les militaires américains ne combattraient pas la LRA, sauf en cas de légitime défense. Richard Downie, spécialiste de l'Afrique au Centre d'études stratégiques et internationales de Washington, indique pourtant que, cette fois, les Etats-Unis devront «davantage mettre les mains dans le cambouis».

Les colts vont parler. En 1970, un western spaghetti pastichait les grands films américains: «Django arrive, préparez vos cercueils». L’heure est venue pour un remake américano-africain: «Uncle Sam arrive, Joseph, prépare ton cercueil».

Damien Glez

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Damien Glez

Dessinateur burkinabé, il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.

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