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Zine el-Abidine Ben Ali à Tunis le 24 mai 2009 by Tab59 via Flickr
Zine el-Abidine Ben Ali à Tunis le 24 mai 2009 by Tab59 via Flickr

Faut-il encore attendre l'argent des Ben Ali?

Huit mois après la révolution, les Tunisiens n'ont toujours pas vu la couleur des biens mal acquis par le clan du dictateur déchu.

«Je doute qu'on puisse revoir un jour l'argent des Ben Ali. Beaucoup de Tunisiens se posent des questions. Certains s'impatientent. Même s'il n'est pas exclu que des gestes symboliques apparaissent d'ici peu, cet argent restera à l'étranger. Il faut se faire une raison», se résigne Leila, Tunisoise célibataire d'une quarantaine d'années.

Les Tunisiens ne sont pas dupes: ils connaissent l'histoire du continent africain et le chapitre sur la chute des dictateurs.

Ils ont bien en mémoire le fait que la récupération de l'argent public détourné est un périple dont les conclusions profitent rarement aux populations.

Huit mois après la révolte tunisienne, on s'interroge sur la lenteur manifeste de certains pays à restituer les avoirs cachés par l'ancien régime tunisien. Ces pays qui abritaient des sommes détournées, répondent-ils aujourd'hui aux demandes de l'entraide judiciaire et ont-ils l'autorité nécessaire pour obliger les banques fédérales à déclarer les fonds publics des dictateurs?

Sami Remadi, Robin des bois tunisien

Alors que l'Union européenne vient de décider d'octroyer à la Tunisie une enveloppe de 4 milliards d'euros d'aide économique, consacrée au développement des petites et moyennes entreprises (PME) au niveau régional, certains Tunisiens s'obstinent et courent encore après les avoirs du clan du dictateur déchu, Zine el-Abidine Ben Ali.

«Le montant présumé des capitaux placés à l'étranger s'élève à 23 milliards de dinars tunisiens (environ 11 milliards d'euros). L'argent de Ben Ali a été déposé dans divers pays, entre autres, la Suisse, le Canada, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, le Lichtenstein, le Brésil, l'Argentine, les Emirats, le Qatar, les Îles Caïmans, le Congo, le Liban,...», énumère Sami Remadi, médecin de profession et président de l'Association tunisienne pour la transparence financière (ATTF).

Interrogé par Slate Afrique sur l'évolution de la récupération des avoirs tunisiens à l'étranger, le docteur Remadi évoque en préambule le pacte international du droits civils et politiques et l'article premier de la résolution 2.200 des Nations Unies ratifiée par la Tunisie en 1969: 

«Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles(…) en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance».

Depuis le mois de mars 2011, Sami Remadi et son association lutte pour que «la décapitalisation et la spoliation du peuple tunisien par le président déchu, aidés par les Etats receleurs» soient reconnus comme allant à l'encontre de l'article sus cité. En fonction de l'évolution des démarches de restitution des avoirs du peuple tunisien, le président de l'association n'exclut pas de porter l'affaire devant le Conseil des droits de l'Homme.

«23 ans de vol, c'est une atteinte à la dignité des Tunisiens», souligne Sami Remadi.

Il faut dire que depuis le gel en janvier 2011 des actifs du clan Ben Ali, peu a été entrepris pour rendre ces fonds au peuple tunisien. En huit mois, pas un dinar appartenant au clan du dictateur n'est parvenu dans les caisses de l'Etat. Depuis janvier, la commission de confiscation auprès du ministère du Domaine de l’Etat et des Affaires foncières a pourtant saisi une centaine de sociétés, 200 titres fonciers, 200 attestations de propriété, 18 yachts, 2 bateaux de pêche, un avion et 100 voitures dont plusieurs de luxe. Mais les procédures sont longues et l'organisation d'enchères publiques n'est à ce jour toujours pas programmée.

La rigueur Suisse ne s'applique pas à tout

Concernant les avoirs placés à l'étranger, le bilan est plus maigre. Les banques suisses ont récemment déclaré détenir la somme -contestée par Sami Remadi et l'ATTF- de 60 millions de francs suisses. Pour Sami Remadi, «les autorités suisses invoquent le secret bancaire» pour faire entrave à la récupération des fonds détournés.

«Un montant dérisoire et inacceptable. Nous avons demandé aux officiels suisses de lever le voile sur les comptes à numéro et les sociétés écrans», précise Remadi.

En réponse, la Suisse assure disposer d'une législation sévère en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Les banques ont le devoir de s'assurer de l'origine licite des fonds enregistrés. Reste que devant le montant des millions dinars tunisiens déposées sur des comptes bancaires suisses, on peut douter de l'application stricte de ces lois.

Par mesure de précaution, Sami Remadi a appelé au renversement de la charge de la preuve, obligeant les banques suisses à prouver que les avoirs tunisiens ont été acquis légalement.

«Le pays doit apporter la preuve que son argent est d'origine licite. C'est le cas dans la loi Duvalier. Pour nous, ça sera un test de la bonne volonté des Suisses.»

Afin de vérifier les déclarations des banques, les résultats d'une enquête de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) devraient être connus avant 2012. De son côté, la conseillère fédérale helvétique, Calmy-Rey, a pour sa part indiqué que la restitution des avoirs gelés en Suisse présentait certaines difficultés:

«La complexité des procédures et la longueur des délais de recours expliquent la lenteur des opérations de restitution», regrette-t-elle.

Une situation qui par moment semble évoluer. L'Office fédéral de la justice (OFJ) a indiqué le 15 octobre avoir accepté la seconde demande d'entraide judiciaire transmise par Tunis à la Suisse. Les autorités tunisiennes viennent d'émettre 57 commissions rogatoires internationales pour récupérer les avoirs à l'étranger du clan Ben Ali. Reste que certaines commissions adressées à la Grande-Bretagne demeurent encore à ce jour sans réponse.

Des listes de gel de moins en moins longues

Après le processus de confiscation et la preuve de l'illégalité de l'argent, le processus de restitution risque d'être une opération délicate. Des projets de développement emmenés par la Société civile devraient être lancés, sous formes de prêts et de micro-crédits.

«Il y a des priorités comme le chômage. Ces avoirs restitués doivent réaliser les demandes de la révolution. Il faut arrêter avec les grands projets. Pas d'autoroutes, mais plus de mesures pour l'emploi dans les sous-régions», recommande le président de l'ATTF.

En faisant référence aux récentes suppressions de noms sur les listes de gel établies au début de l'année, Sami Remadi constate que «tous ceux qui ont volé la Tunisie y sont encore». 19 noms ont effectivement été retirées de ces listes. Un revirement des autorités tunisiennes qui vient s'ajouter à la crise actuelle que traverse le pays, le tout éprouvant un peu plus la résistance psychologique de la population.

«On ne s'en rend pas suffisamment compte. Ce mauvais traitement conforte le sentiment de rejet global des autorités. Et cette impunité se déverse dans l'intégrisme», déplore Sami Remadi. 

Malgré ces efforts, l'avenir de la restitution des avoirs détournés par l'ancien régime paraît sombre. De plus en plus lucides, les Tunisiens n'attendent pas grand-chose des procédures en cours.

«Jamais nous ne reverrons cet argent», conclut Leila. «Si l'argent ne revient pas, ce "cadeau" fait aux Benalistes, ce sera le prix que les Tunisiens auront payé pour leur liberté.»

Mehdi Farhat

 

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Mehdi Farhat

Journaliste à SlateAfrique

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