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A Kinshasa, zéro pointé pour l'enseignement
Chronique d'un secteur de l'éducation déclassé par le manque de moyens et la corruption.
Le mercredi 5 octobre, on célébrait la Journée mondiale des enseignants, autour du thème: «les enseignants pour l’égalité des genres». En République démocratique du Congo (RDC), l’heure n’était pas à la fête, mais plutôt aux questionnements sur un métier qui prend de plus en plus de retard et a perdu son prestige d’antan. Quel est le statut de l’enseignant congolais aujourd’hui, ses conditions de travail, l’avenir de sa profession et le sien? Le tableau que les enseignants dressent de leur profession est plus que sombre. Et ce, du primaire à l’université.
Déclassement et corruption
Le statut de l’enseignant en République démocratique du Congo n’est pas à envier.
«C’est un malheureux, un condamné à mort, tranche Fidèle Mubuanga, chef d’établissement à l’école Saint-Pierre dans la capitale Kinshasa. «Le métier d'enseignant est l’un des plus mal payés et négligés par le gouvernement.»
Avec un tel statut, difficile d’assurer la relève.
«Je ne peux pas recommander, ni encourager mon enfant à devenir enseignant, se plaint un professeur de l’Institut Abbé Loya. Certains enseignants, en âge de retraite, continuent à assurer les cours. D’autres ont des problèmes de vue. L’enseignement est un métier pauvre» poursuit-il.
Si un professeur tombe malade, il ne sait pas comment se faire soigner, faute de couverture sociale. Il a été appauvri et s’appauvri davantage. Par moment, des jeunes enseignants se voient même refuser la main d’une femme à cause de leur statut.
Pire encore, certains enseignants sont devenus facilement corruptibles. En plus des frais que les parents paient pour le fonctionnement des écoles, certaines familles ajoutent de l’argent pour que les enseignants soient plus cléments sur les copies d’examens de leurs enfants. S'il réchigne un peu, il faudra alors donner un peu «d’eau fraiche» à l’enseignant pour qu’il retranscrive bien les notes de l’enfant sur le bulletin. Situation qui affaiblit le formateur et lui fait perdre son autorité et son indépendance vis-à-vis de l’enfant.
«Au final, il y a des enfants qui finissent les études sans rien en tête, même qui sortent de l’université sans pouvoir défendre leurs diplômes. On les corrompt parce que l’enseignant a un salaire insuffisant», précise Cathy Manango, enseignante à l’école primaire Saint-Benoît, commune de Lemba.
Le statut de l’enseignant ne fait que dégringoler. Dans ces conditions, certains n’hésitent pas à avoir des comportements peu nobles. D‘autres en arrivent même à «engrosser» leurs élèves, sans parler des ceux qui donnent des points sexuellement transmissibles. Une pratique rependue dans l’enseignement supérieure où les points sont monnayés.
Précarité
Le salaire d'un enseignant congolais en monnaie locale tourne autour de 60 000 francs congolais, soit près 43 euros. «Avec cet argent, il faut payer le loyer mensuel, le transport quotidien pour aller donner cours, sans parler de la nourriture. Imaginer l’équation?» questionne Cathy Manango. Les chefs d’établissement ne sont pas épargnés et mettent la main à la poche pour éviter les absences des enseignants.
«Tous mes professeurs viennent pour la plupart de Kingasani, [une commune à l’Est de la ville de Kinshasa]. Pour se rendre au travail, ils doivent prendre chaque jour les transports. Ils n’ont plus d’argent au milieu du mois. Parfois, je sors l’argent de ma poche, affirme Fidèle Mubuanga de l’école Saint-Pierre. Depuis 1966 que je travaille, mon salaire aujourd’hui n’atteint même pas 100 dollars [72 euros]. Je tends vers ma pension (ma retraite), je ne sais pas comment je vais survivre pour payer mon loyer quand je vais arrêter. Pendant toutes ces années, je n’ai pas pu être assez bien payée pour être propriétaire aujourd’hui, à quelques années de ma pension.»
Des conditions de travail d'un autre âge
Des salles de classe bondées et mal éclairées, des élèves à même le sol, les conditions de travail de l’enseignant congolais relèvent d’un autre âge. Dans une école de la province de Bandundu, à l’Ouest de la RDC, l’argile remplace les tableaux en bois. Et pour le noircir, les enseignants recourent à un mélange d’épinard sauvages pilés et d'une solution d’huile de palme et de braise. Des cossettes de manioc sont utilisées comme craie. Ingénieux non? «Pour continuer à donner ce qui reste de l’enseignement en RDC, les enseignants bricolent», remarque Cathy Manango.
«Le matériel didactique manque dans les établissements, se lamente la chef d’établissement Fidèle Mubuanga. Certains profs, pour ne pas rester debout toute la journée, partagent le banc avec les élèves et manquent de table de travail.»
Etant donné le temps qu’ils perdent dans les transports pour aller à l’école ou rentrer chez eux, certains n’ont pas le temps de préparer leurs matières faute de courant, ou de nourriture.
«Comment puis-je enseigner si je n’ai pas mangé? Le ventre affamé n’a point d’oreilles. Dans ces conditions, je ne sais même pas préparer mes cours. Je fais comme je peux» avoue Patou N. du lycée Toyokana. Il nuance: il existe encore quelques écoles, comme le collège Boboto et Elikya pour sauver l’honneur.»
L’enseignement décalé
Au final, c’est la qualité de l’enseignement qui prend des coups. Des coups qui font qu’en ces jours, très peu d’enseignants actualisent leurs cours pour les adapter à l’évolution de la science. Il n’est pas étonnant de voir un cours de psychologie de 1979 être le même que celui de 2011, avec les mêmes notes et les mêmes phrases. Alors que sous d’autres cieux, les enseignants travaillent pour rendre la science compréhensible et adaptée aux réalités du moment.
Un budget en hausse
Certains analystes expliquent cette précarité par le manque de moyens que le gouvernement alloue à l’éducation et à l’enseignement. A l’heure où tout le monde parle élection, le moment semble indiqué pour que les enseignants et jeunes en âge de voter puissent avoir l’œil sur les programmes des candidats pour voir ce qu’ils attendent du secteur de l’éducation et de l’enseignement. Selon les données les plus récentes, le budget de la RDC est passé de 25 à 30% dans les années 1960 à 7,21% en 2010. Le budget 2011 est de près de 444 millions d'euros, soit environ des 6% du buget général. Cela représente un augmentation de 14,9% des crédits accordés à l'enseignement par rapport à 2010, selon le Ministère du budget.
«En réalité, je crois qu’il est seulement de 2%» déplore Fidèle Mubuanga. Si nous voulons revendiquer l’augmentation de nos salaires, poursuit l’enseignante Cathy Manango, les chefs d’établissements corrompus nous divisent. Du coup, on est fragilisé et ils nous menacent de perdre notre emploi si nous faisons grève».
Pendant la dernière législature, le niveau de vie des députés s’est amélioré, mais celui de l’enseignant s'est dégradé. Son ascenseur social est bloqué au sol.
Faut-il pour autant désespérer? La lecture du tableau de l’enseignant et de l’enseignement en RDC laisse à désirer. Si rien n’est fait, le taux d’analphabétisme ira croissant, pendant que d’autres pays dans le monde luttent pour le réduire. Certains jeunes au Congo ne voient même plus l’intérêt de faire des études en voyant leurs aînés, diplômes en main, sans travail.
Au sujet du statut de l’enseignant, l’inaction des politiques inquiète particulièrement l'enseignante Cathy Manango:
«Je suis surprise de voir que parmi les ministres qui se sont succédé au Ministère de l’enseignement, aucun ne s’est soucié d’améliorer les conditions des enseignants. Il sont ce qu'ils sont aujourd'hui parce que quelqu’un leur a appris à tenir un stylo et à écrire. Ces enseignants du primaire sont négligés ou sacrifiés; conclut-elle dépitée. Ils doivent s’occuper des instituteurs qui enseignent les bases».
Jacques Matand
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