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Kadhafi fait peur à l'Italie
Les soulèvements en Libye font trembler Rome. Outre une vague d'immigration clandestine, la péninsule craint surtout pour la stabilité de son économie.
«Cessez les violences, écoutez le peuple», a récemment déclaré le président de la République italienne Giorgio Napolitano. Le président du Conseil, Silvio Berlusconi —après un long silence précédé d’une embarrassante gaffe au début de la révolte libyenne («je ne veux pas déranger mon ami Kadhafi»)— a fini par s'exprimer lui aussi: «Arrêtez les violences».
Umberto Bossi, le leader de la Ligue du Nord (et ministre des Réformes au sein du gouvernement Berlusconi) a dénoncé quant à lui de façon provocante l’incurie de l’Europe face à la crise du Maghreb, en annonçant que «les clandestins qui débarqueront en Italie seront envoyés en France et en Allemagne».
Le cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne, a ajouté quant à lui que «les peuples ont le droit de réagir contre ceux qui bafouent la dignité humaine».
Deux économies étroitement liées
Si l’Italie est secouée par la fièvre libyenne, c'est que la crise qui ébranle le pays de Mouammar Kadhafi signifie pour Rome bien autre chose que les révoltes tunisienne et égyptienne. Pas seulement parce que la Libye a été une colonie de l’«empire» fasciste, mais surtout parce qu’un maillage serré d’intérêts relie les deux économies. Et que leurs deux leaders, Berlusconi et Kadhafi, ont noué dernièrement des liens personnels très étroits.
L’Italie et la Libye ont en commun des intérêts économiques colossaux qui, de participations actionnariales en commandes et autres contrats, représentent, d’après les analystes, plus de 10 milliards d’euros. Voilà donc ce que pèse la Libye dans la finance italienne.
Un poids que le régime du Colonel Mouammar Kadhafi a peu à peu accru et diversifié, en investissant dans les plus beaux fleurons de Piazza Affari, la Bourse de Milan.
Les hydrocarbures dès les années 60 avec Eni; plus récemment l’industrie stratégique et militaire avec Finmeccanica; le secteur bancaire avec Unicredit; et le bâtiment avec Impregilo. L’Italie est le premier partenaire économique de la Libye, avec une balance commerciale de 11 milliards d’euros et 130 entreprises italiennes présentes sur le sol libyen.
La Bourse de Milan touchée
En somme, il ne faut pas s’étonner que la crise libyenne ait envoyé la Bourse de Milan au tapis. Avec une baisse de -3,6%, Piazza Affari a connu le 21 février 2011 son pire plongeon depuis juin 2010, lorsque les craintes autour des banques suscitées par la menace d’une crise des liquidités en Europe avaient fait sombrer les places boursières. Le 22 février, la situation s’est un peu stabilisée, sauf pour les entreprises opérant en Libye et dont les cours ont perdu entre 1 et 2%.
Mais analysons plus précisément les affaires qui unissent les deux pays.
D’abord ENI. Le géant pétrolier dirigé par Paolo Scaroni a perdu 5% le 21 février à la Bourse, et un peu moins d’1% le lendemain, du fait des craintes de diminution de la production de pétrole et de gaz en Libye. Eni est le premier groupe de gaz et de pétrole sur le sol libyen, avec une production de 244.000 barils d’hydrocarbures en 2009, pour une production mondiale d’1,8 millions.
Tripoli représente donc 13,4% de la production totale du groupe. L’accord avec la Libye prévoit d’ailleurs que les concessions minières d’Eni durent jusqu’en 2042 pour l’extraction du pétrole, et 2047 pour le gaz.
Ensuite Unicredit. Les tensions en Libye ont ébranlé les actionnaires, et le titre Unicredit a chuté lourdement (-5,6% le 21 février, -1,8% le 22), Tripoli détenant 7,2% des actions de la première banque italienne, à travers la Banque Centrale libyenne et la Libyan Investment Authority. Une participation qui, aux cours actuels, vaut près de 2,7 milliards d’euros.
Puis Finmeccanica. Le gouvernement italien s’inquiète aussi à propos des Libyens entrés récemment à hauteur de 2% dans le capital du géant militaire Finmeccanica. Le groupe, dirigé par Pier Francesco Guarguaglini, a enregistré des commandes en Libye pour un montant d’un milliard d’euros dans les secteurs de l’aérospatiale, des transports et de l’énergie.
Enfin Impregilo. Avec 6% de baisse, le géant du bâtiment est le plus touché. Impregilo est engagé dans des travaux de construction et d’infrastructures pour près d’un milliard d’euros. Mais Massimo Ponzellini, président d’Impregilo et de BPM (Banque populaire de Milan) se déclare «encore optimiste, car des signaux indiquent que nos chantiers ne devraient pas souffrir».
Tripoli est par ailleurs présent depuis 2008 dans le capital de Retelit par l’intermédiaire de la Libyan Post, l’entreprise des postes libyennes présidée par Kadhafi. La société a racheté 14,8% de l’opérateur de télécommunications italien.
On retrouve aussi la banque libyenne dans le capital de la Juventus, l’équipe de football du groupe Fiat, avec une quote-part de 7,5%, une alliance qui a conduit à jouer la Super Coupe d’Italie de 2002 à Tripoli.
Sans oublier que de nombreuses entreprises italiennes ont des succursales en Libye, comme le groupe sidérurgique Danieli, ou Prysmian, spécialiste en ingénierie des câbles (électriques, fibre optique, télécommunications) et ses 35 millions d’euros de commandes, ou encore Trevi, qui travaille à des projets de construction à Tripoli.
Cesare Martinetti
Traduit de l’italien par Florence Boulin