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Rien ne justifie que seuls quatre Africains aient reçu le Nobel de littérature depuis 1901
Le romancier kényan N'gugi Wa Thiongo, cité parmi les favoris, n'a pas été couronné. Pourtant, plus que quiconque, il méritait le prix.
L'Académie suédoise a choisi. Patrick Modiano a remporté (sans très grande surprise) le prix Nobel de littérature. Pourtant, les pronostics ont fait figurer le romancier kényan N’gugi Wa Thiongo parmi les possibles lauréats.
Le moins que l’on puisse dire est que N’gugi Wa Thiongo avait ses chances. Il avait ses chances au même titre que tous ceux qui étaient cités par les bookmakers avant la désignation du prix Nobel de littérature. Il avait ses chances, pas simplement parce que son nom figurait dans la short-lit des «experts ès-Nobel»; il méritait de remporter le Nobel, pas simplement parce qu’il figure parmi les favoris depuis de nombreuses années. N’gugi Wa Thiongo AURAIT DÛ être couronné cette année. Pour plusieurs raisons.
D’abord, cela aurait permis un juste rééquilibrage des choses. Y a-t-il en effet une seule raison qui justifie que, depuis 1901, seuls quatre Africains aient reçu le Nobel de littérature? Le Nigérian Wole Soyinka, en 1986, l’Egyptien Naguib Mafouz, en 1988, les Sud-Africais Nadine Gordime en 1991 et JM Coetzee en 2003...
Depuis, plus rien. Juste l’espoir que soient reconnues, une fois pour toute, la diversité et la densité de la littérature venue d’Afrique. Depuis, plus rien. Juste un farouche sentiment d’injustice, la frustration de voir si peu d’écrivains du continent entrer dans le saint des saints. Depuis 2003, plus rien. Juste de timides paris de bookmakers londoniens, un peu comme pour se donner bonne conscience.
Primer un Africain, cette année, aurait donc contribué à faire taire les critiques de plus en plus grandissants au sujet de l’attribution des Nobels.
L’autre raison tient à la stature-même de N’gugi Wa Thiongo. Romancier talentueux, son écriture est pleine de fougue et de passion. Il raconte des Afriques qui bougent, des Afriques qui rêvent de liberté. Son œuvre est un long poème pour la prospérité des peuples qui ont souvent connu l’oppression et l’ostrascime.
En 1963, il débute avec une pièce de théâtre The Black Hermit. Opposant marxiste dans son pays, il rejette le christianisme et son nom de baptême, James Ngugi, pour prendre un nom kikuyu (son ethnie d’origine, d’où N’gugi Wa Thiongo) en 1967. La même année, il cesse d’écrire en anglais pour le faire dans sa langue maternelle. Son abondante production littéraire lui vaudra plusieurs fois la prison.
En 2013, lorsque N’gugi Wa Thiongo, installé aux Etats-Unis, avait une nouvelle fois été cité parmi les favoris au Nobel de la littérature, nous expliquions pourquoi le romancier kényan méritait le prix. Il est l’écho et le visage d’une Afrique émergente, car toute son œuvre porte sur l’importance des langues africaines dans l’éveil de la mémoire du continent.
Pétales de sang et La rivière de vie (romans publiés au tout début des années 1980 par Présence Africaine) sont des ouvrages qui l’ont révélé au public francophone. Même si l’auteur est depuis longtemps une star, une véritable sommité depuis le début des années 1960.
Nobéliser ce Kényan dont l’écriture se confond aussi avec une forme de militantisme politique aurait eu du panache. Car comme l’écrit le romancier Abdourahman Waberi, «l’écriture de N’gugi Wa Thiongo témoigne d’une œuvre d’art qui ne veut pas perdre sa qualité subversive et son aura».
En effet, toute l’œuvre de l’auteur, jusqu’au fameux Décoloniser l’esprit, se veut un pont entre les cultures africaines et la civilisation occidentale. Une œuvre rieuse, simple, claire endiablée. N’gugi Wa Thiongo écrit comme on chante une douce chanson d’amour et de fraternité. Par les temps qui courent, ce n’est pas rien. Mieux, ça ne peut que faire du bien. Et lui attribuer le Nobel aurait fait le bonheur de tout le monde.
Raoul Mbog