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Muammar al-Gaddafi Mouammar Kadhafi _DDC6346, by Abode of Chaos via Flickr CC
Muammar al-Gaddafi Mouammar Kadhafi _DDC6346, by Abode of Chaos via Flickr CC

Kadhafi, c'est lui qui en parlait le mieux

L’homme qui a semé la révolution sous toutes les latitudes en a été lui-même la victime.

Mise à jour du 20 octobre 2012:  Il y a un an jour pour jour, l'ex-guide lybien Mouammar Kadhafi est mort, peu après avoir été capturé à Syrte, son fief  et sa ville natale.

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C’est bien connu: pour les dirigeants, la révolution c’est toujours mieux chez les autres que chez soi.

Le 13 février dernier, alors que son pays semblait encore préservé de l’agitation qui gagnait le monde arabe, le numéro un libyen Mouammar Kadhafi ne se privait pas d’encourager les Palestiniens à suivre l'exemple des révolutions tunisienne et égyptienne, et à se masser aux frontières israéliennes «jusqu'à ce que l'Etat juif accède à leurs demandes».

«Nous vivons le temps des révolutions populaires. Il nous faut créer un problème international. Ce n'est pas une déclaration de guerre, c'est un appel en faveur de la paix», expliquait-il à la télévision libyenne.

«Tous les pays arabes qui entretiennent des relations avec Israël sont des régimes lâches». Kadhafi pressentait-il que des manifestants —libyens cette fois— choisiraient de se «masser» aux portes de son palais? Voulait-il détourner les yeux de ses compatriotes vers le bouc émissaire régional, l’Etat d’Israël? Quoi qu’il en soit, la manoeuvre n’a pas fonctionné, et aujourd’hui la révolution ne s’exporte plus, elle gronde sous ses fenêtres. 

Les leçons du professeur Kadhafi

Sur la question palestinienne, le «Guide» libyen n’a pas toujours eu le cœur aussi tendre. L’une de ses phrases les plus célèbres date de 2005, lors du sommet arabe d’Alger:

«Je ne peux reconnaître ni l’Etat palestinien ni l’Etat israélien. Les Palestiniens sont des idiots et les Israéliens sont des idiots.»

Voilà renvoyés dos à dos les protagonistes de la crise au Moyen-Orient. 

Les jugements péremptoires sont la spécialité du Guide. En 2009, c’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui en prend pour son grade, qualifié de «Conseil de terreur» par Kadhafi pour son premier discours du haut de la tribune des Nations unies en 40 ans de pouvoir.

Kadhafi adore donner des leçons et chacun sait qu’il a une très haute opinion de lui-même, comme il l’a exprimé récemment devant ses pairs Africains:

«Je suis un leader sur le plan international, le doyen des dirigeants arabes, le roi des rois d’Afrique et l’imam des musulmans.»

 Un tel statut autorise à donner quelques conseils aux plus grands.

Ainsi, celui qui se fait appeler «le Mec» dans les quartiers populaires de Tripoli déplore que Barack Obama ait «un complexe d’infériorité qui le fait se comporter de façon pire que les blancs. Nous lui disons d’être fier de lui en tant que noir et de ressentir le fait que toute l’Afrique est derrière lui».

Un brin condescendant certes, mais mieux quand même que ses propos sur Ronald Reagan; «le fou» qui, d’après lui, voyait le monde «comme une scène de théâtre». Sans doute le numéro un libyen sait-il de quoi il parle.

Mais Kadhafi n’est pas seulement féru de psychologie, il adore par dessus tout les relations internationales, et plaide inlassablement pour l’unité de l’Afrique. Et ce d’autant plus qu’il pense que «le temps du nationalisme arabe et de l’union est terminé pour toujours».

Aussi, la situation au Soudan —où le Sud a voté en faveur de l’indépendance— ne le laisse pas indifférent. «Ce qui se passe au Soudan pourrait devenir une maladie contagieuse qui affectera toute l’Afrique», a-t-il expliqué lors du dernier sommet afro-arabe de Syrte.

«On doit reconnaître que cet évènement est dangereux. La partition probable du Soudan changera la carte du pays. Mais d’autres cartes (de pays africains) vont changer aussi», a-t-il prévenu.

Dans l’esprit de Kadhafi, beaucoup de choses vont d’ailleurs changer, et pas seulement en Afrique. Il s’en est entretenu avec le dirigeant italien, son ami Silvio Berlusconi:

«Demain, peut-être que l’Europe ne sera plus européenne mais noire, car ils sont des millions (d’Africains) à vouloir venir.»

Les conséquences risquent d’être lourdes selon le numéro un libyen, qui se demande «si l’Europe restera un continent avancé ou uni, ou s’il sera détruit comme cela s’est produit avec les invasions barbares».

Au passage, Kadhafi a proposé aux Européens d’arrêter l’immigration venue des côtes libyennes contre un chèque de 5 milliards d’euros.

Pour ceux qui verraient derrière ces propos quelque trace de mépris envers les immigrés africains, il suffit de rappeler qu’en octobre 2010 Mouammar Kadhafi a présenté, au nom du monde arabe, des excuses aux Africains pour les siècles d’esclavagisme:

«Dans le passé, les riches Arabes maltraitaient leurs frères africains; ils achetaient leurs enfants et les amenaient en Afrique du Nord, dans la péninsule arabe et dans les pays arabes entre les deux régions. Ils en faisaient des esclaves, les vendaient et les achetaient, et se livraient à l'esclavagisme de manière éhontée.»

Certes, il n’est pas allé jusqu’à réclamer des compensations —comme il l’a fait aux Italiens pour la colonisation— mais le geste est quand même appréciable.

Les sautes d'humeur du professeur Kadhafi

Les prises de position de Kadhafi évoluent souvent au gré de ses colères et de ses inimitiés.

Lorsqu’il se sent menacé par la montée de l’islamisme, il ne plaisante plus avec l’Europe, ce continent de «perdants qui ne respecte pas le Coran», mais plaint les américains victimes d’al-Qaida  en septembre 2011:

«Nous sommes terrorisés par ce qui s’est passé en Amérique, et nous présentons nos condoléances au peuple américain qui a subi cette catastrophe inattendue et cette nouvelle guerre mondiale.»

Quelques années plus tard, c’est le même Kadhafi qui appelle au djihad contre la Suisse, dont la justice a eu l’outrecuidance d’interpeller un de ses fils, Hannibal, accusé de mauvais traitement par deux domestiques:

«Le djihad contre la Suisse, contre le sionisme, contre l’agression étrangère, n’est pas du terrorisme», estime-t-il.

Du haut de son titre d’imam, le colonel se permet d’ailleurs une fatwa: «Tout musulman partout dans le monde qui traite avec la Suisse est un infidèle». Cela risque de faire beaucoup de richissimes musulmans à exclure de la communauté!

Kadhafi, sans peur et sans reproche

Mais Kadhafi l’a dit dès 1972: «Je n’ai peur de rien. Si vous craignez Dieu, vous ne craindrez plus rien.»

Durant 41 ans, il n’a pas eu peur de son opposition, estimant qu’au «Moyen Orient, l’opposition est assez différente de celle des pays démocratiques. Dans nos pays, l’opposition prend la forme d’explosion, d’assassinats et de meurtres».

La peur a sans doute fini par gagner l’esprit du Guide; reste à savoir si celui qui estime depuis 41 ans qu'«il n’y a pas une seule démocratie au monde, exceptée en Libye», saura comprendre le message que lui envoie son peuple.

Alex Ndiaye

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Alex Ndiaye

Alex Ndiaye. Journaliste sénégalais, il est spécialiste de l'Afrique.

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