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L’actrice Wunmi Mosaku dans le film I Am Slave. © Tous droits réservés
L’actrice Wunmi Mosaku dans le film I Am Slave. © Tous droits réservés

Moi, Mende, esclave à Londres

Sacré meilleur long métrage au dernier Festival international du film black de Montréal, I Am Slave dépeint le quotidien d’une Soudanaise, esclave d’une famille de diplomates à Londres. Brimée depuis sa plus tendre enfance, la jeune femme se bat pour enfin retrouver sa liberté.

Une maison cossue de la banlieue londonienne. Dans un intérieur richement décoré, une domestique prépare la cuisine, habille les enfants, sert le thé, sort les poubelles ou encore dépoussière l’escalier. Malia n’a pas une minute à elle, sauf à la tombée de la nuit quand elle se retrouve enfin seule dans le placard qui lui a été aménagé comme chambre. Elle se souvient alors de son enfance, à des milliers de kilomètres de là, dans les Monts Nuba, situés au plein centre du Soudan. Dans ces cauchemars, surgissent des images de ce jour où des Moudjahidin l’ont enlevé dans son village et l’ont ensuite vendue à une famille arabe de Khartoum. Seulement âgée de 12 ans, la petite fille apprend alors que son existence ne lui appartient plus. Frappée, traitée de petit singe, enfermée dans la cabane du jardin, elle est à la merci de la cruelle maîtresse de maison. Malia subit en silence, avant d’être finalement envoyée chez une cousine éloignée en Grande-Bretagne.

Attirée par le monde qu’elle observe derrière la grille de la résidence et désireuse de retrouver les siens, la jeune femme tente de s’échapper. Privée de son passeport, elle est alors menacée par la mère de cette famille de diplomates: «Si tu cherches à parler à quelqu’un en dehors de cette maison, mon mari fera tuer toute ta famille. Si tu désobéis encore, ton père mourra». Pour elle, Malia n’est rien. Elle n’est qu’une esclave.

Un enfermement psychologique

Ce film ne se déroule pas au début du siècle dernier, mais bien de nos jours. I Am Slave est d’ailleurs inspiré d’une histoire vraie, celle de Mende Nazer. Cette Soudanaise a vécu huit ans de servitude dans les années 90 avant de réussir à prendre la fuite de la maison de ses maîtres. Bouleversé par son autobiographie devenue un best-seller, Ma Vie d’Esclave, le réalisateur britannique Gabriel Range a décidé de retranscrire à l’écran ce combat pour la liberté. Quatre ans après la sortie controversée de son faux documentaire sur l’assassinat de George W. Bush, La mort d’un président, le metteur en scène s’attaque à un autre sujet sensible, le trafic d’êtres humains:

«Je n’avais pas conscience de cet esclavage domestique, de ces personnes qui travaillent comme employés chez des diplomates ou des étrangers, qui n’ont plus leur passeport et qui n’ont plus de liberté de mouvement».

Afin de rester le plus fidèle possible aux mémoires de Mende Nazer, le réalisateur a passé des heures en sa compagnie. En l’écoutant, Gabriel Range a compris que cette forme de servitude est bien plus un enfermement psychologique que physique: 

«Dans le cas de Mende, on refusait de l’appeler par son nom et on faisait tout pour lui enlever toute identité. À l’âge de 18 ans, elle n’aspirait à rien. On lui faisait comprendre qu’elle avait de la chance d’avoir un toit au dessus de sa tête, d’avoir de l’eau et de la nourriture. Une partie d’elle l’acceptait, mais une autre savait qu’au fond que ce n’était pas bien.»

Le cinéaste d’origine galloise a également été impressionné par la détermination de cette femme. Malgré les brimades et les pressions quotidiennes, elle a trouvé la force de s’évader de sa prison domestique:

«J’espère que le film a bien retranscris son caractère. Considérant la manière dont elle a été traitée dès son plus jeune âge, il faut avoir beaucoup de courage.»

5.000 esclaves en Grande-Bretagne

Cette histoire n’est malheureusement pas un cas isolé. Selon le ministère de l’Intérieur britannique, il y aurait 5.000 personnes qui travailleraient à l’état d’esclave en Grande-Bretagne.

«Beaucoup sont utilisés par des diplomates, mais ils ne vivent pas que dans ces familles. Il y a aussi des cas chez des hommes d’affaires. On trouve aussi des Chinois qui travaillent contre leur volonté. Une des affaires récentes concerne une femme malaysienne qui travaillait pour une famille de diplomates de ce pays. Cela ne concerne pas seulement la communauté arabe. Il y a beaucoup de nationalités différentes», explique le réalisateur.

Cette réalité est pourtant peu connue en Angleterre. Après sa diffusion à la télévision sur la chaîne Channel 4, le film a suscité beaucoup de débats. Des téléspectateurs ont même découvert l’existence de l’esclavage moderne: «Quelqu’un a appelé la police car il pensait que ses voisins avaient une esclave. Les autorités ont enquêté et trouvé qu’il y avait effectivement quelqu’un qui travaillait contre sa volonté». I Am Slave est aujourd’hui utilisé dans des campagnes de sensibilisation contre le trafic d’êtres humains, notamment par l’association UnchosenMais pour Gabriel Range, il reste encore beaucoup à faire:

«C’est difficile car les diplomates ont des immunités. Ils sont un peu au-dessus des lois. J’espère que ce film va permettre d’encourager plus de dialogue pour voir comment nous pouvons résoudre ce problème. C’est désolant de voir que cela se passe de nos jours dans une ville moderne.»

Stéphanie Trouillard

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Stéphanie Trouillard. Journaliste française spécialiste du Maghreb et du Canada.

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