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Mise à jour du 28 mars 2012: La première audience de la procédure civile intentée par Nafissatou Diallo contre Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle s’ est ouverte le 28 mars à New-York.
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On a cru un moment que le miracle se produirait, que la justice humaine pour une fois deviendrait juste. Mais non, DSK (en Afrique, allez savoir pourquoi, ils ne l’appellent plus que DSQ) a gagné. Le comte a triomphé de la soubrette. L’ordre du monde est rétabli. Le héros peut rentrer en France par l’Arc de Triomphe et jouer au Marlon Brando sur les écrans de télé. Après quel exploit, mon dieu? Après une partie de jambes en l’air qui, en temps normal, n’aurait même pas attiré sur elle une caméra de série X.
Le tsar de l’économie mondiale accusé de viol sur une femme de ménage sortie de cette sous-humanité affreuse, sale et méchante, descendue d’Afrique et des Caraïbes pour tenter après tant d’autres gueux, la roue américaine de la fortune! Scandale? Mais pourquoi donc? Le scandale («fait qui heurte la conscience» selon le Larousse) suppose une décence, une rigueur; ce minimum d’éducation sans lequel la civilisation n’est plus qu’à un jet de pierre de la barbarie pour parler comme Luc Bossi. Le scandale est une exception à la règle, un coup de pied accidentel dans les eaux calmes du bon goût et du respect de soi. Quand le cynisme et l’obscénité deviennent la règle, il n'y a plus de scandale.
Or, justement, le club fermé en charge de notre village planétaire est cynique et obscène. Cynique parce qu’il veut tout par tous les moyens: tout le sexe, tout le pouvoir, tout le fric. Obscène parce qu’incapable de respecter la ligne jaune qui sépare les sphères du public et du privé. Les hommes politiques d’aujourd’hui ont tendance à confondre leur droit de citoyen et la loi, la caisse de l’Etat et leur tire-lire, la place publique et leur chambre à coucher, habitués qu’ils sont sinon à l’indulgence des moralistes et des juges du moins à la paresseuse indifférence du peuple.
Nos chefs se croient tout permis. Nos chefs sont des rois qu’ils soient élus ou pas. Et certes, nous sommes condamnés à vivre leur autorité. Mais sommes-nous condamnés à subir leur furie, leurs caprices et leurs fantasmes? Non, assurément non!
Le seul simple fait que DSK se retrouve dans une telle situation pose problème et pas seulement d’un point de vue juridique. La classe politique anglo-saxonne n’est ni plus vertueuse ni plus honnête que les autres. Mais quand un de ses membres est pris sur les faits, il ne peut échapper ni à l’étau de la justice ni à la réprobation générale. Ce n’est pas le cas en France en tout cas en ce qui concerne Strauss-Kahn. Les réactions de Robert Badinter, de Jack Lang, de Jean-François Kahn ou de Harlem Désir nous ont laissé un sentiment de malaise et peut-être même de peur. Peur, plus de Le Pen ou des loups-garous, mais des idées et des hommes derrière lesquels nous, nous étions rangés pour vaincre le racisme et les inégalités, l’arrogance des riches et l’humiliation des humbles. Nous étions loin de penser que ces ténors de la démocratie et des Droits de l’Homme pouvaient sécréter eux aussi des pulsions d’un autre âge. Que par solidarité clanique, ces barons de l’intelligentsia parisienne pouvaient comme n’importe quel quidam perdre le cœur et la raison.
Assurément, l’obscénité dans cette misérable affaire n’est pas du côté que l’on croit. Si le sexe n’est plus un tabou à plus forte raison un scandale -tant mieux pour l’évolution des mœurs!- le viol, lui, va au-delà de la morale, il atteint la dimension du crime.
Mais c’est vrai que personne ne saura jamais ce qui s’est passé dans cette maudite chambre du Sofitel de New York puisque le procès n’a pas eu lieu, au bon vouloir du procureur Cyrus Vance. Et bien, ce procès qui n’aura jamais lieu dans les prétoires, il doit se produire dans nos consciences car l’affaire ne se résume pas à un simple fait divers, elle touche l’esprit même de cette époque. Une époque soumise au règne étouffant du laxisme, de la cruauté et de la compromission et à un degré tel qu’elle a produit sans le vouloir une nouvelle espèce humaine, celle des Indignés. Pas des Sans-Culottes, des Bolcheviques, des Sandinistes ou des Tupamaros! Des Indignés! Vous avez vu? La révolution n’est plus d’ordre idéologique, elle est devenue d’ordre moral. Le sentiment général ne s’exprime plus en terme de révolte mais de dégoût. Les gens n’ont plus envie de crier, ils ont envie de vomir.
Cela ne veut pas dire que les pépés de Mai 68 n’ont engendré que des générations de bigots. La morale ici ne touche pas aux secrets d’alcôve mais à l’éthique de la cour.
Le voyou de Sarcelles ou de Belleville n’est pas plus digne que les magnats de la finance ou les vice-rois de la République mais au jeu de la confusion des rôles, c’est bien lui qui en sortira grandi.
Tierno Monénembo
Ecrivain Prix Renaudot 2008
Article publié le 5 octobre 2011
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