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Agathe Habyarimana ne sera pas jugée au Rwanda
«C’est la France qui m’a fait venir», a rappelé la veuve de l’ancien président rwandais, en apprenant qu’elle ne serait pas extradée vers son pays natal.
Mise à jour du 11 janvier 2012: L'avion du chef de l'Etat, abattu en 1994, a été visé par des missiles tirés d'un camp loyaliste hutu, affirme un rapport français. Ces nouvelles conclusions disculpent le clan Kagame. Pour le juge Jean-Louis Bruguière, qui a le premier instruit l'affaire, la roquette avait été tirée par des rebelles du Front populaire rwandais, le FPR de Paul Kagamé. Cet attentat est considéré comme un signal déclencheur du génocide.
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Mise à jour du 21 décembre: Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné à la prison à vie Matthieu Ngirumpatse et Edouard Karemera, deux anciens dirigeants hutus du parti Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), de l'ex-président Juvénal Habyarimana, pour leur rôle dans le génocide de 1994.
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Elle est «soulagée», «contente», affirme-t-elle d’une petite voix modeste, au milieu d’une forêt de micros pressés de recueillir les impressions de cette sexagénaire qui fuit d’habitude les médias.
Mercredi 28 septembre 2011, en début d’après-midi, la Cour d’appel de Paris vient à peine de rendre son verdict: Agathe Kanziga, veuve de Juvénal Habyarimana, ne sera pas extradée vers son pays natal.
Le Rwanda en avait fait la demande en novembre 2009, au moment où les relations entre Paris et Kigali commençaient à se réchauffer. Quelques mois plus tard, la veuve de l’ancien président rwandais sera d’ailleurs brièvement arrêtée et placée sous contrôle judiciaire sur demande du Rwanda.
La justice rwandaise l’accuse en effet d’avoir été au cœur d’un cercle occulte, l’«Akazu», qui encourageait la dérive extrémiste du régime en place avant même le début du génocide. Des soupçons qui traverseront les frontières jusqu’en France, où son passé semble la poursuivre.
En 2007, c’est à cause de ces graves accusations —qui la rangent parmi les planificateurs du génocide— qu’Agathe Kanziga se voit refuser le statut de réfugiée politique par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Rejet confirmé en appel et même jusqu’au Conseil d’État.
Plus récemment, la préfecture de l’Essonne, département où elle réside, la qualifiait de «menace à l’ordre public» et refusait également de lui accorder un titre de séjour.
Particulièrement tenace, son avocat maître Philippe Meilhac a tenté après deux rejets un ultime appel devant le tribunal administratif de Versailles, «dont la réponse sera connue dans les prochains jours», rappelait-il mercredi 28 septembre aux côtés de sa célèbre cliente, dans les couloirs du palais de Justice de Paris.
Vêtue d’un boubou bleu, les cheveux noués en chignon, la vedette du jour affiche une mine modeste et refuse de se laisser entraîner sur le terrain des questions trop politiques. Pas question d’évoquer le président Paul Kagamé ou plus généralement le régime en place à Kigali.
«Ne répondez pas!», lui chuchote au besoin son avocat, qui ne la quitte pas d’une semelle. Autour d’eux, les membres de la famille, dont ses deux fils, et de nombreux sympathisants affichent eux plus ouvertement leur satisfaction par des sourires éclatants.
Depuis que l’ex-Première dame cherche à normaliser sa situation en France, c’est la première fois qu’un tribunal lui donne gain de cause. Le rejet de la demande d’extradition semble même donner des ailes à maître Philippe Meilhac, désormais convaincu de remporter toutes les batailles.
«Il faut arrêter cette diabolisation», s’exclame t-il, apparemment confiant dans l’issue de sa requête auprès du Tribunal administratif de Versailles. «On verra bien si le préfet considère qu’elle est toujours une menace pour l’ordre public», glisse t-il.
La France joue les girouettes
«C’est la France qui m’a fait venir ici», renchérit Agathe Habyarimana-Kanziga, qui a effectivement atterri à Paris sur une décision de François Mitterrand prise lors d’un Conseil des ministres, le 13 avril 1994 —une semaine après l’attentat qui a coûté la vie à son époux et alors que le génocide venait à peine de commencer.
Pourtant, on ne verra jamais aucun officiel français s’afficher à ses côtés pour défendre son innocence. Et même Mitterrand semble s’être désolidarisé de la veuve.
«Elle a le diable au corps. Si on la laissait faire, elle continuerait à lancer des appels aux meurtres sur les ondes des radios», confiera t-il le 14 juin 1994 à une délégation de Médecins sans frontières.
Aux yeux de ses défenseurs, le refus de l’extrader vers le Rwanda a donc le parfum d’un début de réhabilitation. Pourtant, ce n’est pas une surprise. Jamais la France n’a accepté d’extrader de réfugié rwandais vers Kigali, même accusé de participation au génocide et même si ces accusations sont relayées par une instruction judiciaire ouverte à Paris —comme c’est le cas pour Agathe Habyarimana depuis 2008.
La justice française contestée
Avant même le verdict, lors de l’audience qui s’est déroulée le 29 juin dernier, la cause semblait entendue. Même si elle le fut parfois de façon déconcertante.
Édith Boizette, la présidente du tribunal, semblait un peu ailleurs ce jour-là. Les yeux sur son texte, elle s’adresse à «Madame Kissamba» pour désigner Agathe Kanziga. Puis elle refuse de citer un nom, «trop compliqué», et résume le génocide des Tutsi du Rwanda en évoquant «une guerre civile entre deux ethnies». Les familles des victimes apprécieront.
Trois mois plus tard, le 28 septembre, le verdict est expédié en quelques minutes. «Ce n’est même pas la peine de vous asseoir», conseille d’ailleurs Édith Boizette aux journalistes et nombreux proches de l’ex-Première dame qui entraient dans la salle.
Fort de ce verdict, et peut-être aussi de l’indifférence (de l’ignorance?) manifestée par les magistrats lors de l’audience précédente, maître Meilhac entend bien interpeller désormais la justice française.
Selon lui, l’enquête sur sa cliente menée à Paris par la juge Fabienne Pouss est «au point mort». Et le refus d’extradition «pose la question du sort de cette procédure», estime t-il.
La magistrate en charge du dossier n’a jamais pris l’initiative de convoquer madame Habyarimana. «Alors que nous avons fait plusieurs demandes en ce sens». poursuit l’avocat.
Il n’a pas tort: depuis 2008 pour sa cliente, et même 1995 pour les plaintes les plus anciennes concernant d’autres Rwandais installés en France, la justice semble particulièrement lente et discrète. Au point de scandaliser les associations de victimes qui se sont portées parties civiles dans ces procédures.
Reste l’enquête sur l’attentat contre Juvénal Habyarimana. Sa veuve est partie civile aux côtés des familles de l’équipage français. Seize ans après le drame, un rapport d’analyse balistique permettant de déterminer d’où sont partis les tirs devrait être rendu public dans les prochaines semaines.
Maître Meihac et sa cliente affirment l’attendre avec impatience:
«Ceux qui m’accusent sont ceux qui ont tiré sur l’avion», soutient cette dernière.
Mais tant que la justice restera muette, ceux qui se trouvent devant un micro auront toujours le dernier mot…
Maria Malagardis
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