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L’enfer en or massif
Le continent africain court après le cours de l’or. Mais il se heurte au revers social de la richesse. Tout ce qui brille ne profite pas à tout le monde…
Six septembre 2011. Tribunal correctionnel de Bobo-Dioulasso. Daouda Konaté est à la barre. Cet homme, qui pratique habituellement la circoncision, est passé du prépuce au clitoris. Avec des complices, il excise, depuis le mois de janvier, des jeunes filles entre 1 et 3 ans.
L’excision est interdite depuis novembre 1996 au Burkina Faso. Mais ce qui attise la curiosité, en cet automne 2011, ce n’est pas tant qu’on la pratique toujours; c’est que le juge entende un exciseur plutôt qu’une exciseuse. Si le sexe de ce tortionnaire est inattendu, c’est que son mobile est original.
L’accusé indique au tribunal ce que sa grand-mère lui aurait enseigné que «le clitoris attire de l’or lorsqu’on le met dans une mine d’or». Konaté mutilait ainsi les enfants dans l’espoir de commercialiser les organes auprès d’orpailleurs. Il espérait en récolter 150.000 francs CFA (environ 200 euros) «pièce»…
Si l’extraction de l’or est une activité pratiquée depuis des lustres au Burkina Faso, ce n’est que depuis quelques mois qu’elle fait l’objet de toutes les convoitises. En 2009, le métal jaune est devenu la principale source d'exportation du pays, supplantant la vedette des plus optimistes programmes d’émergence: le coton.
Un continent pas tout à fait prêt
Cette année-là, l’or rapportait, en termes d'exportation, la bagatelle de 180 milliards de francs CFA (270 millions d'euros), soit environ 15% du budget national. En 2010, le Burkina doublait encore les recettes liées à l’exportation du métal jaune grâce à des exonérations de taxes et d’impôts, à l’inauguration de nouvelles mines, et à un code minier des plus attractifs.
La poussée fiévreuse de l'or n’est pas spécifique au «pays des hommes intègres». C’est l’ensemble des régions du continent africain qui profite de la flambée du prix de l’once. L’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Zimbabwe ou encore la République démocratique du Congo; au total, 34 pays africains produisent de l’or, représentant environ le quart de la production annuelle mondiale.
En Afrique de l’Ouest, le secteur est traditionnellement dominé par le Ghana, qui mérite toujours son surnom de «Gold Coast» (Côte d’Or), mais aussi par le Mali et la Guinée. Début septembre, l’once d’or (soit 31,1 grammes) se négociait à plus de 1.900 dollars. Il ne se vendait que 1.300 dollars un an auparavant. Et l’on se met à rêver d’un pic historique de 2.000 dollars l’once, à l’aube de 2012…
L’existence d’une main-d’œuvre bon marché est un atout concurrentiel pour l’Afrique. Mais le continent, comme dans d’autres secteurs liés aux ressources naturelles, pèche, en amont, en matière de capacités extractives et tarde à développer, en aval, des sociétés d'affinage et de labellisation, des comptoirs d'achat et de vente, ou une joaillerie industrielle conséquente. Certains pays producteurs, comme le Mali, n’auraient même pas encore les compétences nécessaires pour contrôler qualitativement et quantitativement leur production de métal jaune.
Des sociétés «du Nord» (souvent canadiennes ou australiennes) engrangent les principaux bénéfices de la ruée vers l’or. La plupart des codes miniers réservent aux pouvoirs publics une part minoritaire du capital des compagnies d’exploitation minière. Le contribuable qu’est l’État se console en se répétant qu’il est aussi percepteur.
Et le manque à gagner économique n’est pas le seul motif d’inquiétude…
Organiser la quête «informelle» de l’or
L’engouement pour le métal précieux pousse les orpailleurs informels à travailler dans des conditions anarchiques. Le mirage de l’or est tel qu’on outrepasse souvent les consignes de sécurité préfectorales, même pendant la délicate saison pluvieuse. Pour une hypothétique pépite, c’est parfois la nuit qu’on vient dynamiter des galeries imbibées de pluie. Et les accidents se multiplient.
En juillet 1995, la mine sud-africaine Val Reefs cause la mort de 106 personnes. En août 2008, dans le village burkinabè de Konkèra, 34 chercheurs d’or se noient sur un site d’orpaillage envahi par des eaux de ruissellement. En juin 2010, au Ghana, 32 mineurs meurent dans l’éboulement d’une mine…
Les États tentent péniblement d’organiser la quête «informelle» de l’or. L'orpaillage, qui consiste à laver artisanalement les alluvions aurifères pour en retirer des paillettes d'or est parfois interdit, ici ou là, à telle ou telle période. Mais encore faut-il des moyens pour surveiller l’application des consignes dans des zones parfois reculées.
Pour peu que vous ne vous soyez pas noyés et que la galerie ne vous soit pas tombée sur la nuque, la mine pourra vous tuer à petit feu. Après inhalation d’un excès de particules de poussières de silice, vos poumons souffriront de la silicose. Un défaut de ventilation sera parfois à l’origine de votre mal.
Et si vous échappez à la dégradation pulmonaire, le cyanure ou le mercure aura peut-être raison de vous. Les artisans mineurs africains n’ont pas les moyens de recycler ces produits toxiques dans les règles. Ils doivent pourtant les utiliser; l’un pour y plonger le minerai concassé, ou l’autre pour un effet d’amalgamation. Au sens strict, ils se «tuent» à la tâche. Ils mettent aussi en danger l’environnement.
Il n’est pas toujours aisé de revendiquer des conditions de travail conformes aux droits humains, dans un contexte où les bénéfices reviennent aux multinationales et les maladies aux travailleurs locaux. À l’exonération fiscale ne répond pas toujours un respect de droits syndicaux élémentaires. Et l’encadrement sanitaire reste un mirage.
Une dure cohabitation
Les mineurs ne sont pas les seuls à plaindre. À la faveur de la ruée vers l’or, poussent des villes aussi approximatives qu’éphémères. Autour de mines improvisées s’agglutinent des dynamiteurs, des marchands, des guérisseurs ou des coiffeurs. Si la silicose vous a épargné, toute une gamme de maladies vénériennes vous guette. La prostitution est florissante et les exigences d’hygiène encore plus bafouées qu’ailleurs.
En plein XXIe siècle, voici un Far West qui inspire tout autant des documentaires comme Ceux de la colline ou des fictions comme le western L’or des Younga.
Lorsque ces mines champignons côtoient d’authentiques villages, la cohabitation tourne souvent au vinaigre. Le 14 septembre dernier, des vandales saccagent le site de la société minière Pinsabo Gold à Pelegtenga, au Burkina. La cinquantaine de policiers présents sur les lieux doit battre en retraite. Broyeurs, conteneurs et groupes électrogènes incendiés, bâtiments fortement endommagés, véhicules détériorés: les dégâts sont estimés à plus d’un milliard de francs CFA (1,5 million d’euros).
Faute de revendications explicites, les motifs des casseurs ne sont pas clairs. Des observateurs évoquent la frustration de résidents auxquels les investisseurs miniers auraient fait de fausses promesses. D’autres affirment qu’il s’agirait de «l’œuvre d’un groupe d’orpailleurs organisés, qui ont mené une campagne d’intoxication au niveau des populations riveraines».
Deux jours plus tard, le 16 septembre, c’est dans la sous-préfecture de Kiniéro, en Guinée, que la jeunesse de la cité minière, munie de bâtons et de coupe-coupe, met à sac les installations de la Société d’exploitation minière en Afrique de l’Ouest (Semafo) et de compagnies sous-traitantes.
Là aussi, les explications divergent: mépris envers les autochtones qu’on rechigne à embaucher ou taxes promises et mal gérées. Mais toutes traduisent un manque de dialogue entre les compagnies minières et les populations.
Pourtant, à défaut de faire profiter au mieux les États africains de la manne des métaux précieux, les multinationales essaient de caresser les premiers cercles géographiques dans le sens du poil…
À Pelegtenga, Pinsabo Gold dit avoir mis à la disposition des orpailleurs de la zone —que la société était en droit de chasser— un groupe électrogène de 9 millions de francs CFA, une pompe d’une valeur de 200.000 francs et des tuyaux d’acheminement estimés à 500.000 francs. L’entreprise a offert à la population un lot de médicaments d’une valeur de 350.000 francs, a dédommagé les propriétaires terriens pour 2.500.000 francs, a contribué à la réparation du véhicule de la police de la ville de Yako et au curage des caniveaux.
À Kiniéro, la Semafo indique reverser à la communauté une contribution au développement local qui représente 0,4 % des taxes versées par la société. Elle aurait même permis à trois habitants de la localité d’effectuer le pèlerinage aux lieux saints de l’Islam…
Comme on dit en Afrique de l’Ouest, «c’est bien, mais c’est pas arrivé». Surtout si les performances de la valeur «or» sur le marché mondial se révélaient une bulle prête à éclater. L’objet de tous les espérances sera-t-il le cœur d’une profonde désillusion? Lundi 26 septembre, la presse économique annonçait que l'or, autour de 1.600 dollars l’once, était en route pour sa plus forte chute en trois jours depuis 28 ans.
Damien Glez
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