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Pot of Gold, by tao_zhyn via Flickr CC
Pot of Gold, by tao_zhyn via Flickr CC

Bien mal acquis profite trop souvent

De Mobutu à Moubarak, les potentats kleptocrates ont amassé des fortunes sur le dos de leur peuple. Rendre des comptes, oui. Rendre l’argent, c’est encore mieux.

Après la chasse au dictateur, voici l’heure de la chasse au trésor!

Selon le magazine américain Forbes, en 23 ans de règne Zine el-Abidine Ben Ali aurait amassé une fortune estimée à 5 milliards de dollars. Une partie de ses avoirs se trouverait en Argentine, mais aussi à Dubaï, où le clan Trabelsi [la belle-famille de l’ex-président tunisien qui a fui son pays le 14 janvier 2011] avait investi dans l’immobilier, à Malte, où se faisait soigner le président déchu, et en France.

Dès le 16 janvier, soit deux jours après la fuite du potentat carthaginois, Paris annonçait que la cellule de lutte contre le blanchiment (Tracfin) surveillait étroitement tout mouvement de fonds suspect. Par ailleurs, l’avion privé de Ben Ali a été réquisitionné. Dans le même temps, les ONG Transparency International et Sherpa portaient plainte contre l’ex-dictateur afin d’obtenir un gel des avoirs de la famille Ben Ali et éviter ainsi qu’ils ne s’évaporent vers des cieux plus cléments.

A ce stade, rien ne garantit que l’argent de Ben Ali ainsi que ses propriétés soient restituées aux Tunisiens. Il faut, selon les responsables de Transparency International, que la justice et la police française répertorient les biens de Ben Ali, et qu’un magistrat gèle le tout. Sans action de la justice française, il n’existe aucune barrière.

Savez-vous planquer des sous?

La cartographie des biens mal acquis n’est pas toujours facile. Les dictateurs savent «planquer leurs sous». Ainsi on ne peut souvent qu’estimer le montant des sommes possédées par les potentats. La fortune d’Hosni Moubarak est estimée entre 40 et 70 milliards de dollars (entre 30 et 50 milliards d'euros). Un trésor qui ferait donc de l’ex-président égyptien l’un des hommes les plus riches de la planète aux côtés de l’Américain Bill Gates. Selon le quotidien arabophone Al Khabar, le clan Moubarak possèderait des propriétés un peu partout en Europe, ainsi que des complexes hôteliers sur la mer Rouge.

Ses détracteurs racontent que Moubarak aurait commencé la kleptomanie dans les casernes. C’est en tant que patron de l’armée de l’air qu’il a signé ses premiers contrats d’équipement, obtenant ainsi ses premières commissions. S’ensuivit la mise sur pied d’un système mêlant politique et business, où le clan familial amassait des actions dans des centaines de sociétés. Encore faut-il pouvoir en dresser l’inventaire...

La Suisse, selon son ministère des Affaires étrangères, a déjà gelé «avec effet immédiat tout avoir éventuel de l’ancien président égyptien et de son entourage». Ce n’est sans doute qu’une infime partie de l’iceberg du raïs qui, en homme d’affaires avisé, n’a probablement pas mis tous ses œufs dans le même coffre.

Côté français, à l’exemple de Ben Ali les autorités font preuve d’un zèle destiné à montrer que Paris ne soutient pas les dictateurs, surtout quand ils sont devenus impopulaires. Christine Lagarde, la ministre de l’Economie, a ainsi expliqué que Paris se tenait «évidemment à la disposition de la justice égyptienne» à propos des avoirs que détiendrait en France l’ex-président. Evidemment…

Reste que l’empressement franco-suisse ne signifie pas grand-chose dès l’instant où la justice égyptienne n’intente aucune action contre Moubarak. Or, pour l’instant, le pouvoir militaire est peu enclin à fouiller dans les comptes. Et si le procureur général égyptien a bien lancé des enquêtes contre des ministres de Moubarak, sur les bords du Nil personne n’ose encore imaginer que l’on puisse un jour traîner le raïs devant les tribunaux. Un homme qui, pour avoir mis en place durant des décennies un système de captation de richesses, sait parfaitement qui dans le pays en a profité.

De laborieuses procédures de restitution

Et quand bien même l’Egypte entière serait aux trousses de Moubarak, mettre la main sur son magot est une chose; le rendre aux peuples spoliés en est une autre. A titre d’exemple, les Irakiens courent toujours derrière les milliards de Saddam Hussein. Pourtant les Etats-Unis, qui ont créé un Fonds de développement pour l’Irak, ont initié les procédures de gel des avoirs, bloquant jusqu’à 1,7 milliard de dollars (1,2 milliards d'euros). Ils ont par ailleurs pressé les pays du Nord afin qu’ils suivent le même chemin. Car pour l’Oncle Sam, l’argent du cousin Saddam devait servir à rebâtir un pays ruiné par la guerre qu’il a lui-même initié. Cependant Washington n’a pas rencontré un grand succès.

Si de nombreux pays ont bloqué les avoirs Irakiens, les procédures de restitution prennent du temps. En France, seul le yacht de Saddam Hussein a été rendu. Selon l’ONG CCFD-Terre solidaire qui a longuement enquêté en 2009 sur les biens mal acquis (Biens mal acquis, à qui profite le crime? [PDF]), 23 millions d’euros saisis sur des comptes appartenant au dictateur irakien, aujourd’hui décédé, sont toujours bloqués par la Banque de France et ce en dépit de la résolution 1483 de l’ONU (PDF) réclamant le retour en Irak des richesses détournées.

Au niveau mondial, moins d’un milliard de dollars (740 millions d'euros) a pu être rendu aux Irakiens, sur une fortune dont les estimations vont de 10 à 40 milliards de dollars (de 7,4 à 29 milliards d'euros).

L’argent du dictateur philippin Ferdinand Marcos est encore plus difficile à retrouver. Transparency International estime entre 5 et 10 milliards de dollars (PDF) (entre 3,7 et 7,4 milliards d'euros) la fortune amassée par le président philippin en 30 années de règne.

Malgré les procédures lancées par le gouvernement philippin dès la chute de Marcos, en 1986, un seul pays a gelé ses avoirs, la Suisse. Il a fallu cependant attendre 2003, après 17 années de batailles judiciaire, pour que Zurich restitue 658 millions de dollars (487 millions d'euros) d’avoirs philippins.

Quant aux 3.000 paires de chaussures de l’épouse du dictateur, Imelda Marcos, emblématiques de l’orgie consommatrice du couple, elles sont aujourd’hui dans un musée philippin.

Les exemples de restitutions douloureuses, voire impossibles, sont légions et les raisons sont souvent variées. Dans le cas iranien, Mohamed Reza Pahlavi, au pouvoir entre 1941 et 1979, aurait détourné 35 milliards de dollars (26 milliards d'euros). Sous la pression du régime des mollahs, 12 milliards (8,8 milliards d'euros) ont été gelés aux Etats-Unis au début des années 80.

Mais on ignore si les Iraniens ont pu récupérer cette somme. Washington, peu enclin à aider un régime hostile, ne ferait rien pour que les choses s’accélèrent. En tout état de cause, Iraniens et Irakiens n’ont pas été logés à la même enseigne.

Parfois, une armée d’avocats suffit pour mettre à l’abri les héritiers. Car les procédures judiciaires pour récupérer l’argent sont longues et complexes. Celles engagées par l’Etat indonésien pour récupérer tout ou partie des 15 à 35 milliards de dollars (11 à 26 milliards d'euros) détournés par le clan Suharto n’ont toujours pas abouti. Le dictateur, qui a dirigé l’Indonésie de 1967 à 1998, détenait des parts dans plus d’un milliers de sociétés disséminées partout dans le monde. Sa famille possède toujours des actifs importants aux Etats-Unis, en Europe et en Asie.

Les tribunaux des pays du Nord —mais aussi les gouvernements— traînent souvent les pieds, déplore le CCFD:

«La France a refusé au Nigeria une demande formulée en anglais; l’Angleterre refuse de coopérer si on ne lui apporte pas la preuve que les fonds se trouvent bien sur son territoire (!); la Suisse ne cherche pas à identifier les comptes détenus sous de faux noms; le Liechtenstein dispose d’une quinzaine de voies de recours administratifs et judiciaires rallongeant d’autant le processus; certains pays ne répondent jamais. Ces difficultés corroborent le triste constat des magistrats signataires de l’Appel de Genève en 1996: les frontières n’existent plus pour l’argent sale, mais pour la justice, si.»

Si les dictateurs sont toujours en place, la chasse aux milliards est peine perdue —ce qui n’empêche pas d’en évaluer l’étendue. Eduardo Dos Santos, au pouvoir en Angola depuis 1979, est soupçonné d’avoir détourné 3 milliards de dollars (2,22 milliards d'euros) des caisses de l’Etat.

En Guinée équatoriale, selon le CCFD, le président Teodoro Obiang Nguema, autre émir africain et actuel président en exercice de l’Union africaine, contrôle avec son oligarchie 80% des revenus pétroliers du pays. L’or noir est manifestement un atout efficace pour spolier les peuples.

Selon l’ONG britannique Global Witness, le président kazakh Noursoultan Nazarbayev aurait touché au total près d’un milliard de dollars de pots-de-vin de la part des sociétés pétrolières qui exploitent les ressources kazakhs (Mobil, Amoco, Chevron Texaco et Philips Petroleum).

D’après l’enquête menée par le CCFD, ce sont au total entre 105 et 180 milliards de dollars (entre 77,7 et 133,2 milliards d'euros) qui auraient été perçus par une trentaine de dictateurs.

Des avancées judiciaires encourageantes

Les procédures de restitution sont certes laborieuses, mais les choses pourraient commencer à changer. En novembre 2010, la Cour de cassation a donné son aval à une enquête visant le mode d’acquisition par trois chefs d’Etat africains d’un patrimoine imposant situé dans l’hexagone. Une étape décisive après trois ans de lutte entre plusieurs ONG et les autorités françaises, peu désireuses de voir mis en cause des chefs d’Etat amis.

La Cour de cassation a en effet pris le contrepied de la cour d’appel de Paris qui en octobre 2009 avait jugé irrecevable la plainte de l’ONG Transparency International contre le Gabonais Omar Bongo (aujourd’hui décédé) et son fils Ali, ainsi que le Congolais Denis Sassou-Nguesso et l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema.

Pour la première fois, ce ne sont plus seulement les plaintes déposés par des Etats mais celles déposées par des ONG qui sont donc admises. La Cour de cassation française —la plus haute juridiction du pays—, estime en effet que les détournements de fonds qu’auraient pu commettre ces dirigeants constituent un préjudice pour ces ONG qui luttent contre la corruption.

Les militants des droits de l’Homme, les ONG qui luttent contre la mauvaise gouvernance ainsi que les associations de contribuables n’espéraient sans doute pas voir s’ouvrir de telles perspectives.

L’affaire dite «des biens mal acquis» où sont donc impliqués Bongo, Sassou-Nguesso et Obiang Nguema pourrait avancer d’autant plus vite que la police a déjà fait une grande partie du travail d’inventaire dès 2007, à la suite d’une première plainte déposeé par les ONG Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora. 

Ainsi, il est établi que les Bongo détiennent sur le territoire français 33 biens immobiliers (dont un hôtel particulier), 11 comptes bancaires et une flotte de voitures de luxe. 24 propriétés et 112 comptes bancaires pour la famille Sassou-Nguesso. Teodoro Obiang Nguema et ses proches ne posséderaient en France «que» quelques voitures de luxe.

Si en dépit des réticences, voire davantage du pouvoir politique français, la justice a permis une percée, les choses bougent aussi du côté de la Suisse. Depuis une vingtaine d’années la moitié des restitutions d’avoirs détournés est à mettre au crédit des Helvètes, note le CCFD, qui chiffre à 1,6 milliard de dollars (1,2 milliards d'euros) le montant des sommes rendues par les banquiers suisses.

Ce n’est certes qu’une goutte d’eau, mais face à la multiplication des critiques internationales sur l’immoralité des banquiers et le durcissement des lois contre les paradis fiscaux, la Confédération lâche du lest. Car après tout, que pèse ce milliard et demi aux égards de la préservation du secret bancaire, et de ces centaines de milliards cachés dans les banques suisses par des contribuables européens ou américains peu scrupuleux?

Préserver le secret bancaire vaut bien quelques efforts, surtout contre des dictateurs devenus indéfendables. Depuis le 1er février, une loi est entrée en vigueur permettant de verser l’argent détourné par les dictateurs aux gouvernements légitimes, et ce au détriment des familles. Haïti est le premier pays à profiter de cette «loi Duvalier», du nom de l'ex-dictateur au pouvoir de 1971 à 1986. Le gouvernement du pays recevra 4,4 millions d’euros directement du compte suisse de la famille Duvalier.

Ces avancées, bien que timides, marquent un tournant. La société civile et les ONG commencent à posséder les moyens juridiques de réclamer la restitution des avoirs spoliés. C’est d’autant plus important que bien peu d’Etats font eux-même les démarches. Comme le note le CCFD, «un pacte de corruption lie fréquemment les régimes qui se succèdent».

Comment expliquer, sinon, que le régime Kabila n’ait entrepris aucune démarche pour récupérer les avoirs de Mobutu alors que la Suisse a gelé ces derniers?

Alex Ndiaye

Alex Ndiaye

Alex Ndiaye. Journaliste sénégalais, il est spécialiste de l'Afrique.

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