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Avec «Just My Land», Erik Aliana chante les épopées des gens oubliés
Le nouvel album de cet artiste camerounais est un long chant pour un retour aux sources.
Une voix qui résonne aussi puissamment que le soleil à son zénith. Des rythmes enlevés, qui vous transportent aussitôt dans l’univers des peuples de la forêt… C’est un peu la marque d’Erik Aliana, un jeune musicien qui parcourt le monde depuis une petite décennie, afin de partager les polyphonies qui l’ont bercé durant son enfance au Cameroun.
C’est sa marque et sa proposition artistique, mais c’est aussi son «combat», comme il le dit lui-même.
«Je me bats pour faire connaître un patrimoine que je sais fragile, tant il a dû subir nombre de brassages, de mélanges et parfois de compromissions», nous explique-t-il, en parlant de son tout nouvel album Just my land.
L’artiste se veut le porte-voix d’une Afrique vivante et dynamique, et ses textes explorent les rapports souvent complexes entre sa terre natale et l’Occident, où il vit aujourd’hui.
Couverture de l'album Just my land
Erik Aliana est un chanteur que l’on écoute un peu comme si l’on entreprenait un voyage initiatique à travers les mystères et les profondeurs de l’Afrique équatoriale. Ses mélodies ont le même effet que l’excitation que peut produire une invitation à participer à une cérémonie rituelle des peuples de la forêt.
«En explorant les polyrythmies pygmées, par exemple, je clame ma filiation et mon attachement à ce peuple, et j’exprime à ma manière la nécessité de valoriser leur contribution à l’histoire de l’humanité», souligne, dans une grande envolée, Erik Aliana.
Just my land est une véritable photo sonore d’une Afrique qui remonte à Mathusalem et qu’Erik Aliana n’a de fait pas connue, mais qu’il essaie de faire revivre.
Parmi les ingrédients, il y a incontestablement la magie et la force de l’esprit des sorciers du village, la mémoire et la sagesse des patriarches de son Badissa natal, le souvenir de l’enfance au pays, là-bas au Cameroun. Mais l’on peut aussi deviner que l’artiste puise son inspiration des ambiances enfiévrées de la grande ville pour offrir une musique qui allie à merveille «modernité» et authenticité d’antan.
Des titres comme «Kourou’nGanGan», «Nkana», «L’enfant pygmée» ou encore «Ekanga» en témoignent aisément. Mais ce ne sont pas les seuls de cet album de onze chansons que l’on se surprend à fredonner comme si elles nous avaient toujours bercés. Just my land, le deuxième album de l’artiste paru chez Buda Records ne s’écoute pas, il se vit. De la même manière que se vivait déjà le précédent, Songs from Badissa.
Tout comme le tout premier album (Just Africa) réalisé il y a une dizaine d'années avec le groupe de ses débuts, le Korongo Jam, cet album récrée les ambiances et les sonorités de son Cameroun natal. Il porte une esthétique qui évoque une musique rituelle, qui elle-même s’inscrit dans le sillage de la Franco-Camerounaise Sally Nyolo ou d’un monstre sacré le Malien Salif Keita.
Tout y passe ou presque. La voix d’abord, avec laquelle Erik Aliana jongle comme un virtuose. Le mvett ensuite, que certains ont vite fait de décrire comme une «harpe traditionnelle africaine», mais qui en réalité n’a pas d’équivalent dans le monde occidental. Et puis il y a le balafon, la sanza et bien sûr une guitare. Il y a enfin (surtout?) tous ces bruitages, toutes ces sonorités qu’il produit avec de petits riens, parfois tout juste de petits bouts de bois maniés avec une extraordinaire subtilité.
Erik Aliana / DR
Erik Aliana cherche à créer une musique «authentiquement africaine», pour reprendre ses termes. Pour lui, ça veut dire se renseigner sur ce qui a pu être fait, s’en inspirer et le faire connaître, tel qu’on est soi-même, c’est-à-dire, le produit d’un brassage culturel. Une vraie gymnastique intellectuelle en quelque sorte. C’est pourquoi Just my land n’est pas seulement un album. Il apparaît aussi comme un chant militant pour un retour aux sources nécessaire pour se faire entendre dans le concert des nations.
«C’est pour cela que je chante principalement dans les langues de mon pays, c’est aussi pour cela que je m’exprime comme s’expriment les sages et les anciens de chez nous, avec leur style ampoulé, leur grammaire si particulière», tonne Erik Aliana.
Cela lui a valu d’être la révélation du festival Musiques métisses d’Angoulême en 2003. Dès lors, les succès se sont enchaînés, les mésaventures aussi, comme la dislocation de son groupe Korongo Jam qu’il a fallu «difficilement reconstruire». Erik Aliana entamera pourtant une odyssée qui le conduira à se produire plusieurs fois au Japon, en Corée et aux Etats-Unis. Une odyssée qui se poursuit et dans laquelle il raconte avec fantaisie les histoires épiques des gens de son village.
Raoul Mbog
Erik Aliana présente son album et son nouveau répertoire lors d’un concert le 4 février 2014 au Studio de l’Ermitage, à Paris, dans le cadre du festival Au fil des voix.