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Laurent et Simone Gbagbo le 11 avril 2011 à l'hôtel du Golf, à Abidjan. REUTERS/STR New
Laurent et Simone Gbagbo le 11 avril 2011 à l'hôtel du Golf, à Abidjan. REUTERS/STR New

A quoi joue Laurent Gbagbo?

L’ex-président ivoirien a porté plainte contre l’armée française pour tentative d’assassinat. Mais quels sont les axes de sa stratégie de défense?

Attaquer l’armée française pour tentative d’assassinat, c’est sans doute une façon d’attirer l’attention faiblissante des médias sur le sort de Laurent Gbagbo. Derrière cette plainte, portée le 5 juillet mais annoncée le 16 septembre, se trouve le tandem d’avocats français Jacques Vergès et Roland Dumas.

Ces derniers ont pour mission de défendre Laurent Gbagbo sur le territoire français, avec Marcel Ceccaldi (ancien conseiller de Jean-Marie Le Pen, défenseur de l’ex-président guinéen Moussa Dadis Camara et Mouammar Kadhafi) et la jeune et relativement inconnue Lucie Bourthoumieux, d’origine camerounaise. Ils se répartissent la tâche avec de nombreux autres confrères, tous mandatés par Géraldine Odéhouri, la conseillère juridique de Laurent Gbagbo.

Emmanuel Altit, à Paris, travaille ainsi sur le plan de la justice internationale, dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte le 24 juin en Côte d’Ivoire par la Cour pénale internationale (CPI). C’est un habitué des grands dossiers médiatiques: il a défendu le soldat israélien Gilad Shalit, retenu en otage depuis 2006 par des groupuscules palestiniens, mais aussi les infirmières bulgares détenues en Libye de 1999 à 2007, ainsi que le rebelle congolais Thomas Lubanga, le premier homme à avoir comparu, en 2006, devant la CPI.

Trois avocats ivoiriens, Agathe Barouin, Jean-Serge Gbougnon et Toussaint Dako Zahui, s’occupent pour leur part de défendre Laurent Gbagbo face à la justice ivoirienne. Celle-ci a formellement inculpé, le 18 août, le couple Laurent et Simone Gbagbo de «crimes économiques» (vol, détournement de fonds, pillage).

Laurent Gbagbo est aussi défendu par une pointure politique, Joseph Kokou Koffigoh. Ancien Premier ministre de la transition démocratique tentée par le Togo du général Eyadéma (1991-1994), puis ministre des Affaires étrangères (1998-2000) et de l’Intégration régionale (2000-2002), cet avocat de métier dispose du carnet d’adresses pour faire du lobbying à l’échelle du continent.

Koffigoh, qui aussi été le chef de la mission d’observation de l’Union africaine (UA) lors de la dernière présidentielle ivoirienne, avait rendu le 30 novembre 2010 un rapport mitigé. Il se félicitait du «déroulement satisfaisant des élections», mais notait la présence de militaires près des bureaux de vote, «l’atmosphère lourde» ainsi créée, et notait des actes de violence et d’intimidation —parmi lesquels la séquestration de deux de ses observateurs, libérés grâce à l’intervention de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). Koffigoh s’était par ailleurs distingué par sa présence, lors de l’investiture de Laurent Gbagbo, le 4 décembre 2010.

Le mystère de l'arrestation de Gbagbo

La plainte déposée contre l’armée française a une portée d’abord et avant tout politique. Elle vise à donner lieu à un procès qui pourrait servir de tribune politique à Laurent Gbagbo. Elle donne aussi du grain à moudre aux sympathisants du Front populaire ivoirien (FPI), qui accusent à qui mieux mieux la France, ancienne puissance coloniale, d’avoir voulu renverser leur chef.

La force Licorne, qui opère sous mandat onusien, a certes procédé début avril à des tirs de missiles aux abords de la résidence présidentielle de Cocody, où s’étaient retranchés Laurent Gbagbo et ses proches. Deux hélicoptères de l’Onuci et quatre hélicoptères français Gazelle ont visé, officiellement, les armes lourdes déployées par les Forces de défense et de sécurité (FDS) autour de la résidence, comme le leur permettait la résolution 1975 du Conseil de sécurité.

Dans les heures qui ont suivi l’arrestation de Gbagbo, le matin du 11 avril, le ministre de la Défense français, Gérard Longuet, s’est défendu de toute implication directe, affirmant qu’à «aucun moment, les forces françaises n’ont pénétré dans le jardin, ni la résidence présidentielle de Monsieur Gbagbo». En revanche, elles étaient bien déployées tout autour, avec une trentaine de blindés et 200 à 250 soldats français, qui ont ouvert la brèche dans laquelle se sont ensuite engouffrées les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), inféodées à Alassane Ouattara et enlisées dans la bataille d’Abidjan.

Cette plainte, sur laquelle le ministère français de la Défense ne veut faire aucun commentaire, pose bien des questions qui relèvent du bon sens: si l’armée française avait voulu tuer Laurent Gbagbo— au risque d’en faire un martyr— aurait-il été arrêté vivant? Alassane Ouattara n’avait-il pas, au contraire, donné des consignes pour qu’aucun mal ne lui soit fait?

Pour mémoire, Laurent Gbagbo a été placé sous la garde de la police onusienne, à sa demande, après son arrestation. Arrivé le 11 avril par une porte dérobée à l’hôtel du Golf, le quartier général d’Alassane Ouattara, il a échappé au lynchage subi par sa femme Simone et son fils Michel…

Emmanuel Altit, pour sa part, semble suivre une autre ligne de défense. Il attend que le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, donne des suites ou non à l’enquête préliminaire ouverte en Côte d’Ivoire. Et surtout qu’il «se détermine, pour dire qui il vise, qui il veut entendre et contre qui il entend délivrer des mandats d’arrêt».

Emmanuel Altit, qui travaille sur les crimes commis cette année par les FRCI, tente depuis des semaines d’avoir accès à Laurent Gbagbo. Il était encore à Korhogo le 15 septembre, accompagné par un procureur et ses trois confrères ivoiriens, porteur d’une autorisation de visite en bonne et due forme, tamponnée par la juge d’instruction, Makouéni Cissé, en charge de l’affaire à Abidjan. 

«Sur place, les représentants du commandant de zone Kouakou Fofié, un proche de Guillaume Soro, se sont obstinément opposés à ce que nous puissions voir le président», raconte Emmanuel Altit.

Les nouvelles de Laurent Gbagbo, cependant, ne sont pas mauvaises: le président déchu, auquel deux avocats ivoiriens ont pu rendre visite début septembre, se porte bien. Il se trouve toujours en compagnie de son médecin personnel. Jacques Vergès et Roland Dumas, avec tout leur poids politique, se sont plus facilement frayé un chemin jusqu’à Laurent Gbagbo. Ils l’ont longuement rencontré le 17 septembre, et assurent que l’ancien président va bien.

Sabine Cessou

 

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Sabine Cessou

Sabine Cessou est une journaliste indépendante, grand reporter pour L'Autre Afrique (1997-98), correspondante de Libération à Johannesburg (1998-2003) puis reporter Afrique au service étranger de Libération (2010-11).

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