mis à jour le

Afrique du Sud: la révolte des Born frees
Ils sont tous nés avec la fin de l'apartheid. Aujourd'hui, ils tapent dur contre Jacob Zuma.
A moins d’un an des prochaines élections générales, Jacob Zuma apparaît dépassé par les événements. Le temps du bilan n’est pas encore arrivé que, déjà, le président sud-africain doit affronter les critiques de ses anciens alliés et une «mise en demeure» de la presse.
Passablement irrité par la publication des clichés de sa résidence privée, M. Zuma supporte mal la perte de vitesse de son parti. Chacun de ses déplacements donne lieu à des accès de colère. A la seule évocation des born frees, cette génération de Sud-Africains nés après la fin de l’apartheid (1991), son sang ne fait qu’un tour raconte Africanarguments.
«Utiliser le terme de born frees pour désigner les jeunes, c’est de la pure propagande. Cela revient à les prendre pour des idiots. La jeunesse de ce pays connaît la lutte, elle est née dans cette culture de la lutte», se serait agacé le président venu faire campagne pour l’inscription sur les listes électorales à Atteridgeville, dans la banlieue de Pretoria.
Devant la désillusion d’une partie de la nation Arc-en-ciel, M. Zuma semble conserver intacte sa stratégie de toujours, à savoir, capitaliser sur la gloire passée de son parti, le Congrès national africain (ANC):
«Il y a beaucoup de gens qui font des promesses en l’air. Vous devez savoir qu’il y a une organisation qui s’est battue pour la liberté», a-t-il poursuivi devant une foule circonspecte.
Il faut dire que depuis 1994 et son accession au pouvoir, l’ANC a plutôt bien résisté aux scandales de corruption et aux luttes intestines qui ont jalonné son parcours:
«Un parti politique, c'est comme un foyer. Il arrive qu'on en vienne à détester sa famille, mais on ne la quitte pas pour autant», explique le politologue Steven Friedman à Mediapart. Mais pour une partie de la jeunesse de Johannesburg ou du Cap, les photos en noir et blanc de l’album familial ont un aspect suranné et les livres d’histoire passent pour des totems austères du passé.
«Le statut mythique de l'ANC a disparu confie Dirk Kotze, directeur du département de sciences politiques de l'université d'Afrique du Sud. Non seulement parce qu'une majorité d'électeurs a aujourd'hui entre 20 et 40 ans et qu'ils n'ont pas ou mal connu l'ANC avant sa prise de pouvoir. Mais aussi en raison de ce qu'est devenue l'ANC. Le parti a beaucoup perdu de la haute stature morale qu'il avait acquise [ndlr: le Congrès national africain est le parti de l'ancien président Nelson Mandela qui passa 27 ans en prison sous le régime d'apartheid].»
Jacob Zuma a beau invoquer les esprits de la victoire sur l’apartheid, pour les jeunes de moins de 24 ans —qui représentent près de 25% de la population— la priorité est ailleurs.
«S'il est vrai que nous sommes là aujourd'hui grâce à ce que Mandela a fait, nous sommes la génération qui doit prendre cet héritage pour aller plus loin. Les anciens ont l'esprit trop étroit. Nous vivons au XXIe siècle, ils ne comprennent rien à notre monde», témoigne le jeune Nsuku au micro de France Info.
Parmi les préoccupations des born frees le chômage, qui touche un jeune sur deux, figure en tête de liste. D'après Justice Malala, cette situation sociale exécrable devrait peser sur le prochain scrutin:
«Le plus gros challenge pour notre démocratie en maturation, c’est l’apathie [politique]», s’inquiète le politologue.
Premier concerné, l’ANC redoute de passer sous la barre des 60% et les tentatives de Zuma pour enrayer la chute de son parti sont parfois mal perçues. Après son discours à Atterigdeville, un homme de l’auditoire s’est énervé à son tour:
«Il est venu ici 15 minutes pour nous encourager à voter mais, nous ne savons même pas pour qui voter. Qu’a-t-il fait pour nous? Nous votons toujours mais nous n’avons même pas de ressources de base. Quel est l’intérêt de voter?»
En un quart d’heure, l’accusation de propagande avait changé de camp.
Lu sur Africanarguments, Mediapart et France Info