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-La FAPH plaide et lutte depuis plusieurs années pour mettre en place une réelle politique de scolarisation des enfants handicapés et aux besoins spécifiques. Quelle est actuellement la situation de ces enfants ? Tout d'abord je dois dire que je n'aime pas le terme «spécifique». Toute spécificité marginalise. Il est préférable d'utiliser le terme «à besoin supplémentaire». Car un enfant handicapé a exactement les mêmes besoins que les autres et un peu plus, et ce, selon son handicap. Lorsqu'un parent découvre que son enfant a un handicap, qu'il soit physique, mental et même parfois mineur, comme un problème de locution ou de coordination, ou un bégaiement, il erre afin de trouver un centre spécialisé, quitte parfois à le mettre là où il trouve une place. Ce qui est une aberration. Et ce n'est pas normal qu'il n'existe toujours pas de service où un parent pourrait se renseigner, afin de connaître les démarches à suivre en vue de la scolarisation et de la prise en charge optimale de son enfant, quel est le type d'établissement le plus adéquat, et ce, après que ses compétences furent évaluées. On place l'enfant n'importe où, sans prendre en compte ses capacités et ses potentialités, qui sont parfois surprenantes. J'ai par exemple connu une petite fille née sans bras. Très éveillée et très intelligente, elle n'a toutefois pas pu être scolarisée. La directrice d'une école «normale» a tout simplement décrété : «Elle n'a qu'à aller dans un centre spécialisé.» Pourtant, il aurait juste suffi de trouver un moyen pour qu'elle puisse écrire, avec des lunettes spéciales et un ordinateur, ou autre. -Aujourd'hui, comment est-ce que la prise en charge de ces enfants, scolaire ou psychopédagogique, s'effectue ? L'intégration est-elle l'objectif ? Aujourd'hui et selon les chiffres donnés récemment par le ministre des Affaires étrangères lors d'une allocution internationale, il y a en Algérie quelque 250 centres spécialisés, qui prennent en charge près de 20 000 enfants. Mais on n'a jamais évalué combien d'enfants ont rejoint l'école ordinaire, on eu un parcours «normal» avec un vrai débouché. Car le but de ces institutions ne devrait pas être de créer des «ghettos», des centres de gardiennage d'où un enfant est «éjecté» à 18 ans. J'ai assisté, il y a quelque temps, à une réunion à laquelle ont aussi pris part des cadres de l'Education nationale. Je suis arrivée à la conclusion que l'Education nationale a une peur bleue de tout ce qui est différent. Ils me disaient qu'ils ne peuvent prendre que les «légers». Les légers sont ceux qui n'ont aucun problème, mais qui ont peut-être un pied bot, boitent, qui ont besoin d'une canne, de chaussures orthopédiques, etc. L'école n'a rien fait pour eux, n'a fourni aucun 'plus' pour une adaptation particulière, en termes de matériel ou d'efforts pédagogiques. Seulement, ils servent aux statistiques. Des classes intégrées ont été mises en place il y a une vingtaine d'années. Mais que sont-elles devenues ? Des ghettos dans l'école. Pourtant et selon les conventions ratifiées par l'Algérie, tous les centres spécialisés gérés par l'Etat doivent être des passerelles vers l'insertion scolaire et sociale, pour que l'on donne à ces enfants toutes les chances de participer aux activités « de la vie ». Une réflexion et une remise en cause au sein de ce secteur sont impératives, pour une mise à niveau de leur encadrement, et que ces centres deviennent des passerelles et des relais, et non plus des hospices de fin de vie. Lorsqu'il y aura partout plusieurs enfants handicapés, tous types confondus, qui fréquenteront «normalement» des écoles ordinaires, nous pourrons dire que nos écoles sont inclusives et tolérantes. Et que, par extension, notre société l'est aussi. -Différentes initiatives du milieu associatif ont été mises en place. Pourtant, elles se heurtent encore trop souvent à des murs d'intolérance et d'indifférence. Comment expliquez-vous cela ? L'Association des parents d'enfants trisomiques, par exemple, a fait un travail remarquable dans ce sens. Mais ils sont obligés de payer et de former eux-mêmes le personnel ou encore d'acheter le matériel nécessaire. Pourtant, selon les lois, qui ne sont pas appliquées, l'école doit accueillir tous les enfants, quelle que soit leur situation. Ce que vivent les handicapés et leurs parents n'est rien moins que de la discrimination. Les enfants différents sont systématiquement rejetés, et ce, même dans les crèches et les jardins d'enfants. Pourtant, lorsqu'ils sont petits, les enfants ne présentent pas de différences très marquées. Et c'est ce qui m'effraie le plus. Nous avons constaté une régression dans les valeurs et les pratiques de la société. Même lorsqu'il y a exclusion et discrimination avérées, il n'y a pas de pénalisation. Une sorte de sélection de l'espèce affirmée s'est mise en place, et cela est grave. A force de rejeter toutes les différences, arriverons-nous à ce qui s'est passé en Roumanie ?! Pour l'heure, ce qui sauve la situation, c'est qu'il y a la famille, qui «cache» les handicapés, «issetrouhoum», qui les prend en charge, sans moyens et sans accompagnement, même si souvent on se contente de les nourrir. Mais je ne blâme pas les parents, car en l'absence d'aides et de réels soutiens, cela devient surhumain. Si les services compétents prenaient réellement les mesures nécessaires, les choses seraient plus faciles. L'on blâme les parents pour se dédouaner. D'ailleurs, même la pension «d'infirmité» dérisoire, faut-il dire, n'est pas perçue par les parents d'un enfant handicapé, et ce, jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 18 ans.