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-Le président Bouteflika a décrété, en mai dernier, le 22 octobre Journée nationale de la presse. Que signifie cette date pour vous ? Nous avons tendance, dans notre culture politique en Algérie, à nous accrocher à des dates plus qu'au contenu et au sens de celles-ci. Si nous devons nous en tenir au sens de ces dates, l'Algérie n'est pas en train de vivre son printemps médiatique, mais plutôt une régression par rapport aux années 1990. Nous sommes encore loin des acquis d'Octobre 1988. Et là, il faut rendre hommage aux victimes des événements d'Octobre 1988 qui ont précipité la révision de la Constitution qui a consacré le principe de la liberté d'expression, tout comme le multipartisme d'ailleurs. Alors que nous observons une effervescence exceptionnelle dans le Monde arabe en matière de médias, avec l'émergence de nouvelles puissances médiatiques, l'Algérie régresse et sur le plan interne et sur le plan régional. Nous sommes bien derrière nos voisins tunisiens et marocains en termes de qualité des programmes et des productions, notamment dans le secteur audiovisuel. Il faut faire un rapport très simple entre la population et le nombre de médias. La proportion que nous avons aujourd'hui en Algérie est très faible. L'indicateur réel, sérieux et tangible est la production audiovisuelle. Nous produisons moins de 20% de ce que nous consommons. C'est exactement la même proportion pour les produits alimentaires. Dans l'audiovisuel aussi, nous consommons 75 à 80% de produits importés et c'est très dangereux pour l'Algérie. La consommation de produits culturels étrangers, y compris ceux du Monde arabe, est une catastrophe. Pour moi, la priorité doit revenir aux produits audiovisuels. Donc cette date ne représente absolument rien pour moi. -Cette tendance ne risque pas de changer avec le projet de loi sur l'audiovisuel qui ne libère pas ce secteur stratégique... Il y a une seule chose qui empêche le pouvoir politique d'ouvrir le secteur audiovisuel en Algérie depuis 50 ans : c'est d'avoir à rendre des comptes. Car en général, un média indépendant qui agit selon la demande de ses lecteurs va demander aux gouvernants de rendre des comptes sur le fonctionnement du gouvernement, la gestion des dépenses publiques, la gestion transparente de l'économie, de la politique... C'est cela, le plus grand problème en Algérie et il n'est pas nouveau. Il est antérieur à Bouteflika. Mais ce dernier n'a pas le droit de continuer dans le même esprit, parce que le monde a changé. Un audiovisuel ouvert doit être transparent et compétitif. Il doit poser les bonnes questions aux gouvernants, sans tabous. Dans ce cas, le gouvernant est appelé à rendre des comptes sur sa gestion. Mais il n'y a pas de volonté d'ouvrir ce secteur. Le président de la République qui le fera, en Algérie, c'est celui qui sera prêt et apte à rendre compte au peuple. Il faut attendre ce président. -Ne faut-il pas commencer par la révision de la loi sur l'information promulguée en 2012 pour encourager encore la liberté de la presse ? Tout est question de volonté politique. J'ai travaillé avec le président Zeroual qui croyait en les vertus de la liberté de la presse, tout comme Chadli Bendjedid. Deux officiers supérieurs de l'armée qui croient à la liberté d'expression et à la liberté de la presse... Ce n'est pas le cas des civils, comme Bouteflika. Quand il y aura une volonté politique, on pourra révolutionner les médias algériens en mois de 5 ans. Il faut commencer par instaurer le principe de la concurrence et réaliser des produits performants au service du pays. Il faut faire en sorte de créer une presse ayant une identité algérienne. Malheureusement, ce grand pays a été réduit à la dimension de ses dirigeants.