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La génétique pour lutter contre la maladie du sommeil
La lutte contre cette grave maladie parasitaire va, sur le terrain africain, bénéficier des dernières découvertes de la biologie moléculaire.
Une étape importante va être franchie dans la lutte contre la «maladie du sommeil», cette grave affection d’origine parasitaire qui menace toujours une trentaine de pays d’Afrique subsaharienne.
L’annonce a été faite dans le cadre de la 31e conférence scientifique internationale sur la recherche et le contrôle des trypanosomiases (infections dues à certains parasites), organisée à Bamako (Mali) du 12 au 16 septembre 2011. Les résultats obtenus grâce à une nouvelle technique devraient permettre de simplifier grandement le diagnostic de la maladie et ainsi de traiter précocement et plus efficacement les malades.
Ces résultats démontrent aussi pour la première fois qu’il est possible d’adapter les techniques de biologie moléculaire aux multiples difficultés rencontrées en pratique sur le terrain, dans les pays africains concernés.
Une maladie parfois asymptomatique
«Maladie du sommeil»? Les spécialistes préfèrent parler de trypanosomiase africaine, affection transmise par la piqûre sanguine de la mouche tsé-tsé. Cette dernière (également dénommé glossine) peut transmettre deux parasites: Trypanosoma brucei ssp.gambiense (le plus fréquemment retrouvé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale) et Trypanosome brucei ssp.rhodensiense (en Afrique de l’Est et australe). Il faut aussi compter avec une autre forme de trypanosomiase, qui touche une vingtaine de pays d’Amérique latine: la trypanosomiase américaine ou «maladie de Chagas» due à un parasite d’une espèce différente.
La trypanosomiase africaine menace, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) environ 60 millions de personnes (pour l’essentiel des populations rurales) dans 36 pays subsahariens où la mouche tsé-tsé peut sévir. Son diagnostic est particulièrement complexe, ce qui complique considérablement le traitement des malades. C’est tout particulièrement vrai pour les infections dues à Trypanosoma brucei gambiense, de très loin les plus fréquentes: plus de 95% des cas officiellement notifiés.
Cette maladie évolue sur un mode chronique et l’on peut être infecté pendant des mois, voire des années, sans présenter de signes ou de symptômes importants. Quand ils surviennent (modification du comportement, état confusionnel, troubles sensoriels, mauvaise coordination, hypersomnie) la maladie est déjà à un stade avancé et le système nerveux central est atteint.
«L’Afrique a connu au siècle dernier plusieurs grandes épidémies, rappelle-t-on auprès de l’OMS. La première a eu lieu entre 1896 et 1906, principalement en Ouganda et dans le bassin du Congo. La deuxième a touché en 1920 plusieurs pays africain. Vers le milieu des années 1960, la maladie avait presque entièrement disparu. Après ce succès, la surveillance s’est relâchée et on a assisté à une résurgence de la maladie dans plusieurs régions au cours des 30 dernières années.»
Une série d’initiatives menées à partir des années 1990 ont toutefois permis de stopper l’augmentation du nombre de nouveaux cas et de commencer à inverser la tendance. Il n’en reste pas moins que cette maladie parasitaire continue de menacer des millions de personnes vivant en Afrique subsaharienne. La majorité d’entre elles sont dans des zones très éloignées des services de santé qui permettraient d’établir un diagnostic et de commencer un traitement.
Pour l’heure, l’affection semble pour l’essentiel présente en République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine, ainsi, dans une moindre mesure, qu’en Angola, au Tchad, au Soudan et en Ouganda. Toujours selon l’OMS, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée équatoriale, le Kenya, le Malawi, le Nigeria, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe ne font désormais état que de moins de 100 nouveaux cas par an.
Dépister pour mieux traiter
L’annonce qui vient d’être faite à la conférence de Bamako concerne le diagnostic de la maladie. Aujourd’hui, il est indispensable de pratiquer une ponction lombaire pour, à partir de l’examen au microscope du liquide rachidien, dire si une personne est ou non infectée. Or, ce diagnostic n’est positif qu’à un stade avancé, lorsque le système nerveux central commence à être atteint —ce qui réduit considérablement les chances de guérison.
Cette situation fait aussi qu’il est impossible d’organiser un dépistage actif et exhaustif de la population à risque, alors que ce dernier est indispensable pour repérer les personnes infectées à un stade encore précoce, afin de les traiter et de réduire ainsi la transmission.
C’est là que se situe la nouveauté du «premier test moléculaire de terrain». Cette avancée résulte d’un partenariat public privé réunissant la fondation à but non lucratif Find, basée à Genève, et la société de diagnostics japonaise Eiken.
«Ce test a déjà passé les phases de conception et de développement. Il sera disponible pour utilisation clinique en 2012 et il est prêt à être utilisé dans des études accélérées sur le terrain, dans plusieurs sites en République démocratique du Congo et en Ouganda», a expliqué à SlateAfrique Sylvain Bieler, en charge de ce projet au sein de Find. Il sera d’autre part d’un coût permettant son utilisation dans les pays concernés.»
Directement issu des techniques de biologie moléculaire et dénommé Lamp (loop-mediated isothermal amplification), ce test a été spécialement conçu pour pouvoir être utilisé à température ambiante dans les zones rurales africaines où la maladie est la plus fréquente. Il permet, via leur ADN, d’identifier à l’œil nu la présence des parasites dans le sang et ce même lorsqu’ils ne sont présents qu’en très petit nombre et invisibles au microscope. Il permet donc à la fois un diagnostic précoce et une confirmation de la guérison après traitement.
Ceci laisse espérer une réduction considérable de la période de suivi des malades, ainsi que la fin des multiples ponctions lombaires aujourd’hui indispensables. Cette méthode, qui ne nécessite pas d’outils de laboratoire sophistiqués, peut également être mise en œuvre sur de grands échantillons de prélèvements sanguins séchés et conservés.
Pour ses promoteurs, cette nouvelle plate-forme diagnostique, parce qu’elle est précisément conçue pour s’intégrer sans mal dans les systèmes de santé des pays en voie de développement, pourra par la suite être mise en œuvre dans la lutte contre d’autres maladies tropicales qualifiées de «négligées», au premier rang desquelles le paludisme et la tuberculose.
Jean-Yves Nau
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