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Des experts en parlent : y a-t-il une fatalité de la violence ?
La violence inquiète. Des experts et des membres de la société civile ne cessent de mettre en garde contre une banalisation dangereuse. Ils donnent des pistes de réflexion et tentent de comprendre les origines de cette difficulté à «vivre ensemble» qui caractérise les Algériens. Décennie noire, violence institutionnelle, mauvaise gouvernance, ordre patriarcal qui asservit de plus en plus les femmes, inégalités sociales, etc. Ils listent les causes et tentent de comprendre les conséquences. Leur objectif : ouvrir le débat pour une prise de conscience salvatrice. -Mustapha Khiati, président de la Forem : «Période post-décennie noire» «Nous sommes en pleine période post-décennie noire. Ceux qui étaient âgés en 1997 de 5 à 10 ans ont aujourd'hui 18 à 23 ans. On constate de plus en plus que l'adolescence se prolonge, les jeunes de 19 à 23 ans se comportent de plus en plus comme ceux de 15-18 ans. On les retrouve souvent ensemble. Et c'est ensemble qu'ils commettent les mêmes méfaits.» - «L'adage lancé par un spécialiste selon lequel la victime copie son bourreau se vérifie totalement chez les personnes qui, enfants, ont subi des maltraitances. Les avocats de chaque grand criminel retrouvent dans ses antécédents des phases de maltraitance qui réclament des circonstances atténuantes. Il est établi que, souvent, les anciennes victimes perpétuent les violences qu'ils ont subies sur d'autres personnes.» - «Durant la période allant de 1991 à 1999, 16 000 enfants en moyenne ont été présentés annuellement devant un juge d'enfants pour des délits jugés graves car, comme le stipule la loi, les affaires impliquant les mineurs sont le plus souvent réglées avec les parents au sein même des commissariats ou des postes de gendarmerie. Cette incidence a augmenté si l'on en juge la qualification des délits et le fait que la tranche d'âge 19-23 ans peut être associée à celle des mineurs. Cette situation nouvelle doit amener une réflexion appropriée des différents services s'occupant de la délinquance juvénile. Une révision des textes juridiques dans ce domaine s'avère même nécessaire pour les adapter à la situation.» -Fatma Oussedik, sociologue : «Le dernier pouvoir masculin» « J'ai été très frappée quand, lors d'un débat public organisé par l'association à laquelle j'appartiens, le réseau Wassila-Avife, un homme s'adressa ainsi à une femme victime de violences conjugales : "Votre mari vous a battue parce qu'il était sans travail, sans maison, humilié de ne pas pouvoir jouer son rôle de chef de famille." "Mais toutes ces conditions, cette misère je l'ai vécue avec lui et pourtant je ne me suis pas autorisée à le battre", répondit-elle. Qu'est-ce qui peut expliquer que son compagnon de misère l'ait à ce point battue ? Que les femmes et les enfants soient les premières victimes de violences, et d'abord dans les familles, à l'intérieur des murs, sans recours aucun ?» - «L'explication par les conditions sociales ne nous satisfait pas totalement car, bien que les victimes de Hassi Messaoud aient été coupables d'être femmes et pauvres, nous savons que d'autres victimes existent, nous les recevons et elles appartiennent à tous les milieux. De quoi peut-il s'agir ? Dans un contexte où l'accès aux droits est mesuré à chaque Algérienne et chaque Algérien -- droit de se réunir, droit de manifester, droit au logement, droit à un emploi et enfin application des lois -- les femmes sont données en pâture, livrées à un ordre patriarcal qui constitue le lieu du dernier pouvoir masculin lorsque les hommes ont tout perdu et d'abord l'estime de soi ! Cette société est violente, secouée par des conflits au sein des lieux les plus intimes, alors que tous et toutes sont en quête de hnana et de qima.» Fella Bouredji