mis à jour le
Abdelhak Mekki. politologue :
-Pensez-vous que la violence est également instituée comme un mode de gouvernance ? Si oui, pensez-vous que cela exacerbe toutes les tensions qui rythment la société algérienne ? La société algérienne est meurtrie de violence. Sa périodisation historique, depuis l'antiquité jusqu'en 1962, montre qu'elle a subi toutes les violences des conquêtes, à telle enseigne que même le Mouvement national après avoir utilisé les modes de dialogue a fini, au lendemain du 8 mai 1945, après les émeutes dans l'est du pays, à adopter l'usage de la violence comme seul instrument de règlement des conflits pour arriver à l'indépendance. L'Etat algérien dispose d'une vaste et dense expérience dans l'usage de la violence d'abord parce qu'il a été marqué dans son fonctionnement par les crises de 1962, par le coup d'Etat militaire de 1965 qui ne fut rien d''autre que l'engagement d'une violence inouïe contre le peuple et les institutions, par le totalitarisme et le système du parti unique, si bien qu'il ne sait régler les conflits majeurs que par la violence, comme en 1988 et durant les années 1990. Et même lorsque la culture du dialogue devint salutaire, il a laissé s'exprimer une violence, certes sourde, mais encore plus dévastatrice, la violence économique, notamment l'économie informelle, le travail des enfants, la précarité du travail, etc.En conclusion, oui la violence a été érigée, dès 1962, comme mode de gouvernance par l'Etat algérien. Elle continue de l'être si on tient compte du dernier rapport de la commission Ksentini des droits de l'homme. La corruption, l'économie informelle, la hogra, les malversations, etc. sont des signes qui montrent que l'Etat laisse faire, parfois pour mieux montrer ou cacher ce qu'il fait ou ce qu'il doit faire. La gestion politique de la maladie du Président n'est-elle pas une forme de violence perturbatrice de la quiétude populaire ? -Cela s'exprime dans la répression comme unique réponse à tout mouvement de contestation... Dans le totalitarisme, la totalité des activités sociales est confisquée par l'Etat. Même la mutation sociale l'est et donc tout processus de changement social non contrôlé par l'Etat paraît comme une violence contre laquelle l'Etat doit réagir au nom justement de ce que nous disions plus haut du monopole de la violence légitime. Comment voulez-vous qu'un Etat totalitaire, avec son système de parti unique, reconnaisse à une action de revendication son caractère social ? Cette vision -- même si officiellement on parle de démocratisation de la vie politique et de respect des droits civiques et politiques des citoyens -- renie par définition tout ce qui parjure sa politique consensuelle plutôt unanimiste. Dès lors, il refuse de la prendre en charge et la réprime par la violence. Cette attitude, selon moi, se poursuit malgré la disparition du parti unique. Et comme nous avons une grande partie de la classe politique qui a été nourrie au parti unique et à l'Etat totalitaire, il me paraît logique que rares sont ceux parmi les politiciens qui savent comment se comporter lors de conflits sociaux. Le nationalisme exacerbé, dogmatique, donc fanatique, qui touche en fait toute la classe politique et une grande partie pour ne pas dire toute l'élite intellectuelle et la classe moyenne est un signe de cette difficulté de prendre en charge les revendications sociales pour ce qu'elles sont. Très souvent, on ressort le caractère non nationaliste, dangereux et irrationnel de certaines revendications sociales. Un homme politique digne de ce nom peut-il qualifier un mouvement de jeunes de «chahut de gamins» comme ce fut le cas en 1988 ou la manifestation des jeunes du Sud pour l'emploi et contre le chômage de manifestation manipulée politiquement en laissant le doute sur la main manipulatrice pour qu'on la comprenne étrangère et donc dangereuse ? Bref en Algérie, on est toujours dans le déni des protestations sociales parce que, selon moi, tout le monde est convaincu que l'Etat possède les clés de la mutation sociale. Or, cette conception est une conception élitiste, qui ne reconnaît pas aux classes sociales leur droit de présider au changement social.