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derrière les chiffres, tellement d’histoires

Mohamed Saleh Laidl, professeur, chef du service de médecine légale au CHU Lamine Debaghine de Bab El Oued (ex-Maillot), voit défiler toutes les formes de violence dans son bureau.  Ceux qui les commettent, sont le plus souvent ceux qui en souffrent. Ceux qui en meurent aussi. Agressions, vols, viols, racket, la violence est dans la rue et dans nos têtes.» Une phrase prononcée avec évidence comme pour rappeler la banalisation de la violence. Le geste mesuré, la voix grave, l'homme, la soixantaine passée poursuit : «Elle remplit notre quotidien.» Le sien plus particulièrement. Et pour cause, le docteur Mohamed Saleh Laidli est médecin légiste depuis plus de 30 ans. Professeur, chef de service de médecine légale au CHU Lamine Debaghine de Bab El Oued (ex-Maillot), il voit défiler toutes les formes de violence dans son bureau. Ceux qui les commettent, sont le plus souvent ceux qui en souffrent. Ceux qui en meurent aussi. Ou ce qu'il en reste. Ambiance morbide dans l'unité qui abrite le bureau du chef de service. Quelques personnes attendent dehors. La salle d'attente est vide, c'est le deuxième jour de l'Aïd. Mais un bruit de scie brise brusquement le silence qui comble les lieux. «Il faut s'habituer aux bruits, aux odeurs aussi», précise le médecin. Dans la salle mitoyenne, ses assistants sont en plein autopsie. «Il faut aussi s'habituer aux chuchotements», ajoute le docteur Laidli. «On parle toujours à voix basse dans le service. Par décence, par respect envers leur deuil, on chuchote tout le temps», répète-t-il. Il fait partie des premiers médecins légistes formés durant les années 1980 dans le pays, lorsque le premier service de médecine légale ouvrait ses portes dans un CHU algérien. Qui de mieux qu'un médecin légiste pour rendre compte de la violence qui habite la société ? Justement, pour lui, un médecin légiste devient, a fortiori, «un spécialiste de la violence». Chiffres en hausse En 2012, son service a traité 2853 cas de coups et blessures volontaires, dont 25% étaient des violences conjugales, précise-t-il, sur un ton inquiet. «Nous avons effectué 116 autopsies durant l'année 2012», explique-t-il en fouillant dans ses documents. Sur son bureau, les feuilles débordent. Classés dans des chemises en couleur, il en choisit une et poursuit : «Il y a tellement d'affaires à traiter en même temps.» L'homme a le sens du détail. Il trouve le document qu'il cherchait. «Depuis le début de l'année 2013, nous avons traité près de 2 900 cas de coups et blessures volontaire (CBV) et 200 autopsies. Nous avons largement dépassé les chiffres de 2012 alors que l'année n'est pas encore finie», tranche-t-il froidement. Derrière ces chiffres en hausse, se cachent tellement d'histoires. Il se rappelle de toutes les affaires qu'il a traitées. «Dans les années 2000, au mois d'octobre», se souvient-il. Une journée «ensoleillée» l'a particulièrement marqué. «La découverte d'un cadavre humain en état de décomposition avancée dans des sachets en nylon et ligoté avec un fil électrique.» Le docteur Laidli a été réquisitionné pour procéder à la levée du corps et à l'autopsie. De retour au bureau, il se souvient avoir été pris d'assaut. «La salle d'attente était comble», indique-t-il. Une mère maltraitée par son fils toxicomane, les parents d'une victime de mort subite, une personne attendant un conseil médico-juridique pour une affaire de famille complexe, une réquisition pour déterminer l'âge d'une jeune fille arrêtée tard dans la nuit, sans papiers. «C'était l'une de mes journées les plus longues dans ce bastion de la violence», confie-t-il. La médecine légale est une discipline nouvelle dans notre pays. Ils ne seraient pas plus de 300 à l'exercer dans le pays. «Ce n'est pas admis dans notre culture d'autopsier un mort», explique-t-il. Les refus d'autopsie, une routine à laquelle il fait face. «Très souvent la famille s'oppose à l'autopsie, c'est délicat quand le procureur en réclame quand même une. Il faut gérer et faire preuve de psychologie dans ce métier.» L'acculturation L'homme paraît désabusé. «Non, on apprend à gérer ses émotions et je garde une part d'optimisme», tranche-t-il. Et d'ajouter : «Beaucoup d'associations ½uvrent pour la non-violence. Il y a des personnes qui militent, sensibilisent au jour le jour.» En attendant une prise de conscience collective, censée être salvatrice. Les origines de cette violence ? «La déscolarisation, l'exode rural, l'éclatement de la cellule familiale, la crise du logement, la promiscuité, le chômage, la liste est longue», énumère le médecin. Mais il insiste sur un point trop peu de fois souligné, juge-t-il, «l'acculturation qui crée le malaise identitaire et la perte de repères qui poussent les jeunes à se droguer ou à commettre des actes délictueux». Pour lui, il y a «trop à dire sur le sujet». L'homme enchaîne les conférences, à l'étranger et dans le pays. Il participera le 24 octobre à une journée d'étude sur le suicide à Sétif. 12% des autopsies effectuées en 2012 dans son service concernaient des cas de suicide. «Une violence contre soi  dont on ne parle pas assez en Algérie», souffle-t-il à peine, comme pour ne pas malmener trop de tabous à la fois.  

El Watan

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