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Klay BBJ :

Le 26 septembre dernier le rappeur tunisien Klay BBJ était condamné à une peine de 6 mois de prison ferme, pour insulte envers des fonctionnaires publics et diffamation. Le 22 août dernier, il était encore sur scène à Hammamet avec le rappeur Weld el 15 auteur et interprète de la chanson Boulicia Kleb, lui aussi condamné, mais en cavale. Alors que le procès en appel de Klay BBJ doit se tenir demain 17 octobre, militants et citoyens se mobilisent pour la libération du rappeur, victime, comme beaucoup d’autres artistes, d’un procès contre la liberté d’expression.

Crédit image : Comité de soutien à Klay BBJ

Voilà quelques jours que des vidéos de soutien font le tour du Net tunisien. On y voit des artistes et des militants prendre la parole et appeler à la libération du rappeur Klay BBJ, Ahmed Ben Ahmed de son vrai nom. Ces vidéos expliquent au spectateur que la liberté d’expression est en danger et que demain, c’est contre n’importe quel citoyen que ce genre de procès peut avoir lieu.

« Nous avons fait ces vidéos car nous voulions un mode de contestation nouveau. Le milieu militant tout comme les citoyens sont épuisés par les revendications qui se font dans la rue. Il y a eu un événement à Tunis il y a 10 jours, cela nous a permis de nous retrouver et de réfléchir à quelque chose de nouveau » explique Thameur Mekki, journaliste, militant et membre du comité de soutien aux rappeurs Weld el 15 et Klay BBJ.

C’est lors de cette rencontre que le réalisateur de la société de production vidéo No Pasaran, qui a déjà tourné des clips du rappeur Klay BBJ, propose de réaliser des vidéos. Au final ce sont 35 personnes : militants, comédiens, journalistes, artistes… qui prennent la parole dans 7 vidéos. « Cette vidéo de sensibilisation est une première dans le genre car il s’agit ici de défendre un rappeur  » explique Thameur Mekki. L’objectif premier était d’obtenir rapidement une audience en appel pour le rappeur. Les efforts de communication, de la société civile et des avocats ont payé.

Maitre Ghazi Mrabet, avocat de Klay BBJ, apparaît lui aussi dans une vidéo dans laquelle, il lit un message que le chanteur adresse depuis de sa cellule aux citoyens tunisiens.

Je n’ai pas commis de crime. Je me suis retrouvé en prison parce que je défends les droits des démunis, des gens des quartiers populaires que beaucoup considèrent comme des « clochards » et que je défend la liberté d’expression qu’ils souhaitent limiter. En étant en prison je pense que ce qui m’arrive est une épreuve que Dieu m’impose et non pas le fait des autorités.
La prison rend plus determiné et je veux que ma famille, mes amis, les Tunisiens et les gens qui écoutent du rap soient plsu forts et plus déterminés. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Et la porte derrière laquelle on m’a enfermée s’ouvrira un jour. Dans mon pays, la liberté d’expression est limitée. Je dirai toujours la vérité et ne baisserai pas la tête. Mes salutations vont à tous ceux qui sont bienfaiteurs, à mon frère Phoenix Abouda. No Pasaran. 

Retour sur les faits

Le 22 août dernier, lors d’un festival de musique Klay BBJ est sur scène avec le rappeur Weld el 15, auteur et interprète de la chanson Boulicia Kleb ( Les policiers sont des chiens). Alors que le public sollicite cette chanson, les artistes ne chantent pas le refrain considéré comme insultant. Les policiers présents, énervés, appellent des renforts et utilisent la force de manière démesurée, s’en prenant aux artistes et aux journalistes, avant d’arrêter les rappeurs. Ils sont conduits au commissariat sans ménagement.

Klay BBJ est condamné le 26 septembre dernier; lors d’un deuxième procés, le premier ayant eu lieu par contumace sans qu’il n’en soit informé, à 6 mois de prison ferme. Il est directement transféré à la prison de Mornaguia, non loin de Tunis. Ni lui, ni son avocat n’avaient été avertis au préalable que des chefs d’accusation pesaient sur Klay BBJ et Weld 15.

Le procès en appel aura lieu le 17 octobre.

En attendant l’appel, des jeunes ont décidé de se mobiliser, comme à Kairouan, ville de l’intérieur du pays, où un groupe de jeunes a entamé, hier 15 octobre, jour de la fête de l’Aïd, une gréve de la faim de 48 heures dans les locaux d’une radio, pour protester contre l’enfermement du rappeur qu’ils considèrent comme un prisonnier d’opinion.

Procès contre la liberté d’expression

Klay BBJ, comme de nombreux artistes en Tunisie, est un prisonnier d’opinion, victime d’un procès contre la liberté d’expression. La même démarche est utilisée contre les artistes qui se voient régulièrement condamné via des articles répressifs du Code Pénal. Une répression qui gagne du terrain. Cette été, après que le chanteur Weld el 15 ait été condamné, un jeune homme ordinaire Anwer Hafedh, qui écoutait la chanson du rappeur dans sa voiture, s’est retrouvé au tribunal.

Comme l’explique Maître Mrabet, l’avocat de Klay BBJ, les affaires contres la liberté d’expression se multiplient : « Cette affaire a commencé avec Weld el 15 qui lors d’un premier procès (qui remonte au mois de mai 2013) a été condamné. Mais nous avons fait un pourvoi en cassation car nous défendons une liberté d’expression sans limite » explique-t-il.

Pour beaucoup de militants en Tunisie, il est clair que ce procès n’est pas juste celui d’un rappeur et de ses relations avec les forces de l’ordre, mais avec le temps qui passe et l’histoire se répétant à chaque fois, il est difficile de mobiliser les citoyens.

Malheureusement il y a une banalisation des incarcérations et des poursuites judiciaires. Il est clair aussi que la société civile et les citoyens s’épuisent, mais le comité de soutien à Klay BBJ est très présent et il grandit régulièrement. Les ONG internationales de défense des Droits de l’homme apportent aussi leur soutien

témoigne Maître Mrabet.

La liberté d’expression a-t-elle des limites ?

Pour Maître Mrabet la ligne de défense est claire : la liberté d’expression n’a pas de limites, d’autant plus lorsqu’il s’agit de création artistique.

Et les hommes politiques partageaient ce point de vue jusuq’à la tenue des élections en octobre 2011 rapporte-t-il : « Du 17 décembre (date de l’immolation de M. Bouazizi) et jusqu’aux élections les hommes politiques parlaient d’une liberté d’expression sans limites. Or ces deux dernières années tout le monde en parle et y pose des limites. »

Un retournement inquiétant.

En Tunisie, depuis des mois, la question de la limitation de la liberté d’expression est posée avec des arrestations et des procès contre des artistes et militants des droits de l’homme. Empêtrée dans des questions d’ordre économique, la population n’est pourtant pas facile à mobiliser autour de ces causes.

Etrange coïncidence, il y a une semaine un syndicat national du rap voyait le jour en Tunisie. Des rappeurs inconnus, très propres sur eux, au discours plat, prenaient la parole pour demander la reconnaissance de leur activité comme un métier, pour « abaisser les tensions » entre rappeurs et policiers et pour montrer « que les rappeurs ne sont pas tous des délinquants qui consomment du shit. » Un discours extrêmement politisé même si les membres du syndicat se déclarent apolitiques. Ils reprenaient pourtant le discours islamiste qui explique que la liberté d’expression doit avoir des limites, que l’identité arabo-musulmane doit être respectée et que plutôt que de prendre de l’Occident ce genre d’exemple, il faudrait s'intéresser aux avancées technologiques.

Aucune mention d’un des rôles fondamental du rap en Tunisie n ‘était faite dans ce discours : la dénonciation de la misère sociale et de l’oppression vécue par une grande partie de la population.

Car pour les artistes qui ont aujourd’hui affaire à la justice, rien n’a changé. Au delà de la question des rappeurs et de leurs rapports à la police il s’agit avant tout de la place de la jeunesse écrasée par un Etat qui ne les prend pas en considération et qui cherche à annihiler toute contestation. Si des artistes dénonçant les conditions de vie d’une grande partie de la population sont violentés en plein festival puis condamnés via des chefs d’accusation prétexte, qui osera encore s’élever ?

Sana Sbouai

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