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Les salafistes égyptiens affichent leurs ambitions politiques

Le blog Nouvelles du Caire ouvre ses colonnes à l'Égyptien Victor Salama, analyste et commentateur de l’actualité politique et sociétale en Égypte. Il a travaillé pendant 14 ans dans les télécoms, l'informatique et la communication en France, en Afrique et au Proche-Orient.

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Dans une déclaration au journal Masry al-Youm, Salah Abdel Maboud, membre du conseil dirigeant du parti salafiste al-Nour affirme que ce parti d’origine salafiste pourrait être dirigé par un non-musulman et que celui-ci est bâti non sur une doctrine religieuse mais sur une plate-forme politique. Si la première partie de cette affirmation peut faire sourire, la seconde est moins anecdotique et mérite d'être analysée de plus près. La volonté de s'inscrire dans le paysage politique égyptien, et de jouer le jeu électoral apparaît chaque jour plus clairement chez les leaders d'al-Nour.

Conférence de presse du parti al-Nour, le Caire,le 28 août 2013. REUTERS/Stringer

Les salafistes et la politique: un mariage de hasard et de raison

La doctrine salafiste est historiquement limitée à la piété religieuse et aux questions sociétales. La politique et le pluralisme sont vus d'un mauvais ½il car ils favorisent la fitna (la division parmi les musulmans). Le soutien des salafistes à la démocratie se limite à une acceptation de ses « procédures », sa « philosophie» étant quant à elle toujours rejetée. A leurs yeux, la souveraineté suprême est détenue par Dieu, non pas par le peuple. Or dès le déclenchement de la révolution en janvier 2011, les dirigeants salafistes se sont trouvés devant un choix historique: laisser le champ de l'islam politique aux seuls Frères musulmans ou y participer aussi afin de mieux peser. Ils ont aussi été poussés par la jeunesse salafiste qui a participé aux manifestations dès les premiers jours et ce, malgré la réticence des cadres.

Cette participation fut couronnée de succès puisque le bloc islamiste (groupement de partis islamistes en dehors des Frères musulmans) a remporté 28% des suffrages aux élections législatives de novembre 2011 devenant ainsi la deuxième force politique du pays et de fait, un partenaire et un rival sérieux des Frères musulmans (les anglais ont un mot merveilleux pour décrire ça: « Frenemy« )

Cette relation tumultueuse a vu des épisodes de bref rapprochement, comme par exemple lors de la déclaration de la Constitution en novembre 2012, et de nombreux autres de tensions notamment à cause du prêt que le FMI devait consentir à l'Egypte – les salafistes y voient la Reba' (usure) mais surtout la volonté de la confrérie de s'accaparer tout le pouvoir.

Le tournant du 30 juin

Le soulèvement du 30 juin, suivi par le renversement du président Morsi par l'armée a vu naître un rapprochement inattendu entre les salafistes et l'armée. Cette force, pourtant récente, apprend très vite les us et coutumes de la vie politique. De nombreuses déclarations visent à rappeler que le parti est doté d’un vrai programme politique et économique et pas seulement religieux. Son refus de voir un candidat du courant islamiste aux prochaines élections présidentielles et  son soutien à peine voilé à un homme issu de l'armée, tant que celui-ci respecte le projet islamiste, en est la preuve.

Croire qu'il s'agit uniquement d'une simple man½uvre politicienne visant à rassurer tous les échaudés de « l'expérience frère » n'est pas exact. Bien évidemment, les salafistes comptent rafler ses voix, surtout après la dissolution de la confrérie. Ils savent très bien que la religion restera une composante majeure du discours politique égyptien, et ce malgré la prétendue interdiction des partis religieux que veut imposer le gouvernement intérimaire. Il faut aussi y voir une volonté sincèrement pragmatique, celle de ne pas reproduire les erreurs des derniers 18 mois: ne pas substituer le religieux aux besoins réels du peuple (économiques, personnels, sociétaux), d'avoir un vrai projet et une identité nationale, ce que les Frères ont étonnamment oublié. Ce sentiment national revient avec force ces derniers temps et le soutien massif, et souvent sans réserve de la population à l'armée le démontre. Les Frères avaient oublié que l'Egypte est l’un des plus vieux États-nations. Les salafistes ne semblent pas refaire cette erreur.

Le pari d’al-Nour est audacieux: jouer le compromis à court terme – quitte à avaler quelques couleuvres (comme la probable suppression de l'article 219 de la Constitution ) – pour occuper le meilleur espace possible dans la future scène politique. Un pari, ou une vision de ce que sera la vie politique égyptienne dans les mois à venir.

Victor Salama

 

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