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Projet de 1,2 million de logements AADL
Après 5 années d'arrêt, la formule de location-vente AADL signe son retour. Des milliers d'Algériens prennent d'assaut le site d'inscription avec l'espoir de figurer sur la liste des 230 000 heureux bénéficiaires. Entre-temps, les anciens souscripteurs (de 2003 à 2005) qui ne sont toujours pas logés crient à l'injustice et les experts contestent la faisabilité technique de ce programme dans les délais annoncés. Eclairage. N°9313. Un numéro qui sonne comme un sésame. Hassan(*), quadragénaire originaire de l'Algérois, le répète allègrement. Cet ingénieur, employé dans une entreprise privée, raconte son exploit : «Je me suis réveillé très tôt le 16 septembre 2013 pour être parmi les premiers inscrits sur le site de l'AADL et multiplier mes chances.» Connecté dès 8h du matin, il tente plusieurs fois de valider son inscription, en vain. Sa connexion est trop lente. Très vite, il prend l'initiative d'appeler un membre de sa famille établi à l'étranger, ayant un accès à internet à un débit supérieur. Il lui dicte toutes les informations nécessaires. A 8h49, son formulaire est enfin rempli et son inscription validée. Il a maintenant un numéro de dossier. Le n°9313 sur lequel reposent tous ses espoirs d'accéder à un logement qui lui permettra de quitter la maison familiale dans laquelle il vit avec sa femme, ses enfants, ses parents, son frère et ses s½urs. L'enjeu est de taille et loin d'être un cas isolé. Ils sont plus de 20 millions à avoir visité le site d'inscription de la formule location-vente de l'Agence nationale de l'amélioration et du développement du logement (AADL), relancée le 16 septembre dernier après plus de 5 années d'arrêt. Le nombre des inscrits avoisine les 500 000 personnes des deux sexes sur 1,5 million ayant rempli le formulaire d'inscription. Un grand rush sur le site web de l'AADL avec 85 200 personnes inscrites 2 à 5 fois et 3800 jusqu'à 22 fois, et les inscriptions se poursuivent. C'est dire l'engouement que suscite la formule, adressée aux classes dites «moyennes», dont le niveau de revenu exigé est de 24 000 à 108 000 DA. Ils ne seront, au final, que 230 000 à bénéficier du fameux sésame qui ouvrira la porte d'un logement financé par l'Etat à hauteur de 50%. L'AADL s'érige encore une fois en alternative salvatrice. La stabilité du pays La formule, lancée en 2001, avait suscité beaucoup d'espoirs. La construction de 55 000 logements avait été lancée à travers une dizaine de wilayas. A ce jour, nombre des bénéficiaires attendent encore. La formule, qui avait séduit au départ, s'est soldée par un échec, exception faite pour quelques centaines de familles logées ou en passe de l'être. Retards dans les chantiers, gestion confuse du programme, fraudes, passe-droits et magouilles ternissent la formule. Le gouvernement décide tout de même de la relancer en cette rentrée sociale, particulière à plus d'un titre. Avec comme objectif d'enrayer la sempiternelle crise du logement, première cause des troubles à l'ordre public. «La crise du logement, une menace pour la stabilité du pays», dixit le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, devant les sénateurs lors de la présentation du plan d'action de son gouvernement, le 16 octobre 2012. Près d'une année plus tard, ordre présidentiel est donné de relancer la formule location-vente AADL. Des millions de personnes, conscientes de la difficulté de voir leurs demandes aboutir, s'y accrochent tout de même. N°3976. Selma, la trentaine, en fait partie. «Je sais que sans piston, j'ai peu de chances d'accéder à un logement mais je tente quand même», confie-t-elle. «Ils ont promis plus de transparence et le ministre de l'Habitat a clairement dit que le scénario de l'AADL de 2001/2002/2003... qui traîne encore ne se reproduira pas», ajoute-t-elle. Cette mère de deux enfants, cadre dans la Fonction publique, habite avec son mari chez ses beaux-parents depuis sept ans. «On vit à 7 dans un F4 au centre-ville, c'est très difficile, d'autant que mes relations avec ma belle-mère sont tendues», avoue-t-elle. «Ils ont dit que ces logements seraient prêts en deux ans, qui sait ? Peut être est-ce vrai ?», espère-t-elle. Le ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, Abdelmadjid Tebboune, a effectivement promis que «le retard accusé dans le programme AADL de 2001 ne se répétera plus et le délai arrêté (dans le cadre du nouveau programme) est de 24 mois et pourrait être prolongé de 3 ou 4 mois pour la réalisation des infrastructures publiques entourant les sites d'habitation». Une promesse que les anciens souscripteurs (2003/2004/2005) voient d'un très mauvais ½il. La stabilité du régime Mustapha, quadragénaire, père de deux enfants, s'est inscrit au programme AADL de 2003. La commission en charge du traitement des dossiers des souscripteurs lui a répondu favorablement, lui promettant «d'être convoqué dans l'éventualité d'un programme à venir, au vu du nombre de demandes supérieur au nombre de logements du programme en cours», est-il noté dans le document qu'il tient entre ses mains et qui date du 5 octobre 2003. A ce jour, il n'a été inclus dans aucun programme et subit un black-out total malgré les nombreuses lettres adressées tant à l'AADL qu'au ministère de l'Habitat. Ils sont nombreux à être dans ce cas (lire l'article en page 5). Des témoignages qui entachent les annonces et les promesses faites par les autorités en ce mois de septembre 2013. «Dix ans plus tard, ils devraient d'abord régler la situation des anciens souscripteurs restée en suspens au lieu de donner de l'espoir à des milliers d'autres personnes qu'ils vont peut-être aussi faire traîner comme nous», s'emporte Mustapha. Le discours rassurant des autorités (DG de l'AADL, ministre de l'Habitat) tranche avec la réalité du terrain. Même les professionnels du secteur expriment leur suspicion. «Les délais de réalisation avancés sont intenables», confient plusieurs experts, contactés par nos soins. (lire l'article ci-dessous). Djamel, 35 ans, en a lui aussi gros sur le c½ur. Il s'est marié après avoir reçu un avis favorable pour sa demande de logement en 2004. Son épouse et lui ont vécu chacun chez leurs parents pendant des années en attendant le fameux logement promis par l'AADL. «Elle ne pouvait même pas venir habiter chez mes parents parce que c'est trop petit !», confie-t-il, presque honteux. La situation devenait insoutenable. Ils ont divorcé il y a quelques mois et Djamel n'a toujours pas son logement. Des familles suspendues. Des vies défaites. Et le gouvernement continue à jouer avec l'espoir de ces demandeurs de logement. A quelle logique répondent donc ces assurances données pompeusement par les autorités ? Susciter de l'espoir et manipuler la masse ? «Il y a une forme de mépris du peuple et de manipulation outrageante dans la gestion de la formule AADL», explique le politologue Rachid Grim. Pour lui, «la formule n'a été ressuscitée que pour calmer une éventuelle contestation, donner l'impression que le gouvernement travaille sérieusement». Et d'ajouter : «Une fois les élections passées et que les attentes de ces milliers de personnes à qui on donne de l'espoir seront déçues, il y aura un risque d'explosion que le régime devra assumer.» En attendant, des milliers de souscripteurs entretiennent l'espoir d'une sortie de crise via cette formule alléchante. A quelques mois d'une joute électorale qui s'annonce tumultueuse, la question s'impose effectivement. La crise du logement représente-t-elle une menace pour la stabilité du pays ? Ou celle du régime ? Fella Bouredji *Les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat des personnes interrogées.