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Foundoux Mulele :
Foundoux Mulele est l'une des légendes du football congolais. Joueur de Sainte- Anne Patronage pendant 20 ans, il intègre l'équipe nationale à l'âge de 17 ans et durant son passage dans cette équipe, il a rencontré le Roi Pélé à deux reprises en 1967 et 1969. Lors du match contre le FC Santos du Roi Pélé, il réalisa un petit-pont sur Roi Pélé, geste qui est entré dans la légende. Quelques décennies plus tard, Mulele s'est confié à AEM.
AFRIQU'ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : Beaucoup de jeunes d'aujourd'hui ne vous connaissent pas...
FOUNDOUX MULELE(FM) : Mon nom est Foundoux Léopold Bernard alias Ressora, puis Mulele qui m'a été donné par les supporters de Cara. En réalité mon surnom d'enfance de Mwana Foot ou encore Ressora, en référence à un footballeur qui s'appelait Gombo Désiré dit Ressort, qui jouait simultanément à V Club de Kinshasa et Étoiles du Congo de Brazzaville dans les années 50. Et pour faire la différence, j'ai ajouté le "a" pour faire Ressora.
AEM : Comment ont été vos débuts ?
FM : J'ai commencé en bas-âge comme tous les jeunes. J'aimais beaucoup jouer au football et à Noël c'est toujours un ballon qu'on m'offrait. Et chaque fois que ma mère, qui a aujourd'hui 92 ans et qui vit en Europe, vient à Brazzaville, elle m'amène toujours des ballons. J'ai commencé très tôt à l'école de Poto-Poto qu'on appelle la Grande École. À l'époque chaque classe avait son équipe et les joueurs sélectionnés formaient l'équipe de l'école. Notre équipe était la meilleure : on l'avait surnommée Têtes de morts et moi, j'avais commencé comme gardien de buts. Au niveau des quartiers, c'était la folie. On jouait tous les jours, qu'il pleuve, ou qu'il fasse chaud, on jouait sur n'importe quel terrain. C'était une véritable école de football qui nous a permis d'affiner nos techniques. Puis, j'ai intégré Pergola qui s'entraînait au stade Eboué comme l'équipe de Patronage. Un jour, nous sommes allés voir le match de Patronage, un joueur manquait, Ongagna Excellent. Pour boucher le trou, on m'a pris. J'ai joué et marqué deux buts. Du coup, j'ai intégré le Patronage du Congo en 1956. Je suis resté fidèle à cette équipe pendant 20 ans jusqu'à la fin de ma carrière en 1976. J'ai trouvé l'équipe en 3ème division et nous l'avons hissée en division d'honneur et ensuite à la division nationale. Face aux grands clubs de l'époque Diables Noirs, Aiglons Cara, Étoile du Congo, Lorraine, Racing, nous avions fini 2ème la première saison La 2ème année, nous sommes champions avec la meilleure attaque, la meilleure défense et moi je fus élu meilleur joueur du Congo.
AEM : Ce qui vous amène naturellement à l'équipe nationale ?
FM : J'ai intégré l'équipe nationale en 1962 à l'âge de 17 ans à l'époque du président Fulbert Youlou. En 1965, j'ai participé aux Premiers jeux africains et nous avons gagné la médaille d'or face au Mali de Salif Keita. Et en 1967 et en 1969, j'ai eu l'honneur d'avoir rencontré le plus grand joueur du monde le Roi Pélé avec son équipe le FC Santos.
AEM : Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
FM : Pour l'histoire, en 1967, le FC Santos, dans son programme, devait jouer au Gabon et ensuite à Kinshasa mais il devait transiter par Brazzaville. Vu la tension politique qui régnait entre les deux pays, les populations ne pouvaient pas comprendre que le Roi Pélé et le FC Santos puissent traverser le pays et aller jouer à Kinshasa sans s'arrêter à Brazzaville. Face à la pression des populations, le président Massamba Débat a envoyé un émissaire au Gabon pour négocier le match entre le FC Santos et les Diables Rouges. Et le match s'est joué le 7 juin 1967.
AEM : Qu'est-ce qui vous a marqué le plus ?
FM : D'abord Pélé lui-même, par sa dimension. Il s'est montré humble en acceptant de jouer avec des joueurs qui n'avaient pas leur niveau. En réalité on avait aussi un bon niveau parce qu'en ces deux matches, ils nous ont battus par 3 buts à 2. Pélé avait marqué les 3 buts brésiliens tandis que Mbono le Sorcier et Bikouri avaient inscrit les nôtres. Une particularité : Pélé portait le numéro 10 comme moi. Le hasard a fait qu'on se retrouvât face à face ; je l'ai dribblé, je lui ai fait un petit pont et il est tombé. Le public a crié et mon coéquipier qui était à côté de moi a sautillé comme si j'avais marqué un but. Pélé était étonné de voir le public jubiler pour ce geste. Cela m'a immortalisé et Pélé m'a remis son maillot à la fin du match. L'écho de ce dribble a traversé l'Atlantique car j'ai eu l'honneur de recevoir, à la veille de la Coupe du Monde organisée en Afrique du Sud, des journalistes brésiliens dont Rodrigo Cabalhiero à l'occasion des tournées qu'ils effectuaient à travers l'Afrique dans les pays où Pélé était passé. Ils sont venus me voir et m'ont posé la question de savoir l'importance que l'on accorde à un simple dribble. Je leur ai dit que chez nous en Afrique, le football est d'abord un spectacle et que les buts sont la concrétisation d'une victoire, mais qu'il y a aussi des défaites qui ressemblent à des victoires et vice-versa. Quant au maillot que Pélé m'avait donné, je n'ai pas pu l'amener chez moi, quelqu'un l'avait piqué. 40 ans plus tard, le gars est venu faire sa confession. Il m'avait dit qu'il avait fait fortune avec ce maillot, il le vendait par morceaux aux gens et lorsqu'il avait tout fini, il avait acheté d'autres maillots pour continuer à vendre. Le monsieur m'avait remis 500.000 francs CFA.
AEM : Pourquoi le surnom de Mulele, nom d'un chef rebelle ?
FM : Étant une équipe montante, nous avons rencontré en 1964, la plus grande formation de l'époque. Lors de la rencontre, notre gardien était blessé et on ne pouvait pas le remplacer donc on devait jouer à 10. À la fin du match nous avons gagné par 6 buts contre 4 et j'avais marqué 4 buts. Ce sont les supporters de Cara, leur grand ennemi, qui m'ont donné ce nom. C'est le nom d'un nationaliste congolais (RDC) Pierre Mulele. Plus tard, ce dernier m'a honoré par sa visite. Et en 2006, j'étais de passage au Nigeria, son fils Guillaume est venu me voir à l'hôtel.
AEM : Et vous voilà mêlé dans des dossiers politiques sensibles ?
FM : En 1967, le président Mobutu avait invité l'équipe des Diables Noirs et on m'a pris pour renforcer cette équipe qui allait jouer contre les Léopards et une équipe belge. Lors du match le président Mobutu était étonné d'entendre le public scander mon nom à chaque dribble. Après le match, il nous avait reçus chez lui, il me demanda pourquoi on m'appelait Mulele. J'étais obligé de lui mentir car c'était le nom de son plus grand ennemi. Je lui ai dit que c'était une erreur de phonie à la place de Mundele le public m'appelait Mulele. Comme c'était un grand supporter de V Club, il m'a fait la proposition d'intégrer V Club. Ensuite, il a envoyé des émissaires à Brazzaville, j'ai décliné l'offre car j'étais encore élève à l'époque.
AEM : Quelle est votre opinion sur le niveau du football des deux pays ?
FM : Nous étions deux grandes nations du football en Afrique. Prenez seulement entre 1968 et 1974, sur les 4 coupes d'Afrique des Nations 3 se sont retrouvées sur les deux rives du fleuve Congo ; trois équipes ont gagné la coupe des clubs champions Mazembe, V Club et Cara. En plus les Léopards ont la première sélection d'un pays subsaharien à jouer la Coupe du Monde et le record des buts de Ndaye lors d'une phase finale de la Coupe d'Afrique des Nations n'a jamais été égalé jusqu'à présent. Mais aujourd'hui on peine à se qualifier ou à atteindre les quarts de finales. On avait dominé le football continental. Ces performances ne sont pas les fruits du hasard mais d'une politique de promotion du football. Prenez les cas des clubs de Kinshasa, ils avaient des pépinières : V Club avait Vaticano, Daring avait Union etc. À Brazzaville les grands clubs avaient des équipes A, B et C qui leur servaient de viviers. Aujourd'hui on navigue à vue, on n'a pas de politique de promotion du football de jeunes et c'est dommage.
AEM : Est-ce une situation irréversible ?
FM : Les autorités et les responsables de fédérations doivent s'occuper de l'avenir de notre football. Vous pouvez construire des gratte-ciels et si la fondation n'est pas bonne l'édifice va s'écrouler. Nous avons abandonné les jeunes, nous les avons laissé pousser comme de la mauvaise herbe car nous n'avons pas pu nous adapter à l'évolution du football. C'est pourquoi nous stagnons et nous avons régressé par rapport aux autres nations. Il est grand temps de redresser la barre si nous voulons des résultats, sinon on continuera dans l'improvisation et notre football continuera à battre de l'aile.
AEM : Avez-vous gardé des contacts avec les joueurs de Kinshasa ?
FM : Bien sûr, nous formons une grande famille. Quand ils viennent à Brazzaville, ils passent toujours au Ballon d'or le siège des anciens internationaux congolais et quand je me rends à Kinshasa c'est pareil. Parmi mes amis, je peux citer Kibonge, Mange, Diantela, feu Luc Mawa etc. |Propos recueillis par Herman Bangi Bayo (AEM), Brazzaville, Congo