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Libertés publiques: L’herbe du pays…
L'affaire Anouzla, toujours pendante, a fortement interpellé l'opinion publique, la classe politique, la presse, écrite ou électronique, les réseaux sociaux.
L'incarcération du directeur de l'édition arabophone du site Lakome a eu pour conséquence de marquer, grosso modo, trois types d'attitudes.
La première, largement répercutée par Twitter et Facebook, a été d'exprimer un soutien total, inconditionnel et sans réserve au journaliste en détention, en une pétition de principe pour la liberté d'informer et le droit à la diffusion de l'image, quelle qu'elle soit, à charge pour le récepteur, c'est à dire le citoyen, de séparer lui-même le bon grain de l'ivraie.
En somme, Ali Anouzla n'a fait que son devoir de journaliste et si la vidéo d'Aqmi dressait apologie du terrorisme, il appartenait à ceux qui ouvrirent le lien internet avec le site de Cembrero et d'El Païs d'en décider par eux-mêmes.
Ce sont, majoritairement, les ONG étrangères, les amis d'Anouzla à l'extérieur, les militants d'extrême gauche locaux et les anciens activistes du mouvement du 20 février qui ont emprunté une telle démarche.
La seconde attitude, celle de plusieurs partis politiques «institutionnalisés», du Président de la Chambre des Représentants, du ministre de la Communication, de son collègue du Tourisme, ou encore de quelques titres de presse, a été de juger Anouzla avant même son procès, de condamner sa démarche et de s'associer aux accusations du Procureur du Roi de la Cour d'appel de Rabat. Cela, avant même que le juge d'instruction de ladite cour n'entame son travail d'enquête en vue d'une éventuelle inculpation ou de la levée des charges.
Pour ces milieux et personnes, Ali Anouzla est coupable et l'affaire est d'ores et déjà entendue.
La troisième attitude, celle de plusieurs organisations de la société civile, telle l'OMDH, de personnalités comme l'ancien détenu politique Salah Ouadie, de titres de presse dont La Nouvelle Tribune et son portail www.lnt.ma, a été de s'élever contre la mise en détention d'Ali Anouzla et de réclamer sa remise en liberté.
Les tenants de cette démarche considéraient et considèrent encore que toute poursuite judiciaire à l'encontre d'Anouzla devrait être faite dans le cadre de la liberté conditionnelle qui est la règle pour tout prévenu dont le comportement ne menace en rien la sécurité des personnes ou la paix publique.
Expressions plurielles
Ces trois types de positions, bien tranchées, ont permis de comprendre, quoi qu'en disent ceux qui refusent la réalité du Maroc d'aujourd'hui, que l'opinion publique nationale est également traversée par des positions plurielles, divergentes, opposées même.
Un vrai débat se fait jour dans notre pays, par le biais de canaux multiples, chaque fois que la conjoncture ou le fil des événements le dictent.
La levée de boucliers contre l'indexation des carburants ou le tollé provoqué par l'affaire Galvan sont les derniers exemples de ce dynamisme des milieux démocratiques nationaux qui refusent, comme le font les « expats volontaires » de Californie, de la côte Est américaine, d'Espagne ou de Slovénie, de « jeter le bébé avec l'eau du bain ».
L'affaire Anouzla prouve, a contrario, que les longs lamentos sur le recul de la liberté d'expression au Maroc ne sont pas de mise et que les exemples sur l'abandon des acquis démocratiques ne sont pas aussi nombreux que voudraient le faire croire tous ceux qui ont d'autres calculs que la seule défense des libertés, publiques et individuelles.
A-t-on empêché des journaux de titrer en Une « #Free Anouzla» ? A-t-on blâmé l'OMDH pour son communiqué très clair réclamant la mise en liberté du directeur de Lakome ?
A-t-on bastonné les militants de l'AMDH et les journalistes qui ont observé des sit-in pour réclamer sa libération ?
A-t-on reproché à un dirigeant du PAM, Salah Ouadie, de publier son sentiment, clair et net sur cette affaire ?
Où sont donc les reculs et la répression de la liberté d'expression ?
Ce qui a amené Anouzla derrière les barreaux, ce que nous ne concevons pas par principe, n'est pas une simple question d'expression démocratique, mais d'incitation et d'apologie du terrorisme. L'affaire, en elle-même, est grave, et mérite sans doute instruction, mais sous le régime de la liberté surveillée, non celui de l'incarcération provisoire !
Anouzla a-t-il fauté ? Seule la Justice, sereine et indépendante, est en droit et mesure de le décider…
Car le plus important en cette affaire, hormis la situation personnelle d'un journaliste aujourd'hui en prison, est de déterminer si au Maroc, aujourd'hui, chacun peut, en toutes liberté ET responsabilité, exprimer une position différente de celle de l'État, de ses institutions, des organisations politiques, syndicales et autres.
Nombreux sont ceux qui croient cela possible et leur attitude, quotidienne et pérenne depuis des décennies, en atteste. Cela, parce que seul le recul que donnent les années de pratique, d'expérience, d'exercice de la profession de journaliste, au pays même, permettent de mesurer les avancées et les acquis dans le champ des libertés !
Avoir vingt ans, appartenir à la Génération Y, est une belle étape de la vie, mais n'autorise pas les insultes et les ignominies anonymes sur Twitter, les blogs ou Facebook, à l'encontre d'aînés qui ont un point de vue différent.
L'apprentissage de la politique, y compris sur les réseaux sociaux, ne saurait se passer de respect et de tolérance.
Quant à ceux qui se placent sous la protection, au sens plein du terme, de leurs anciens colonisateurs, qu'il soit permis ici de rappeler une phrase d'un homme politique marocain qui connut l'exil, la prison au Maroc et en France, Derb Moulay Cherif, Laâlou et Ghbila, Ali YATA de son nom: « Mieux vaut manger l'herbe de son pays que le pain des autres »…
Fahd YATA