mis à jour le

Pourquoi 2011 va changer le monde
Selon Landing Savané, homme politique et intellectuel sénégalais, l'année 2011 va marquer un tournant majeur dans l’évolution de la planète.
Le printemps arabe poursuit son évolution avec la fin du régime de Kadhafi. La répression sanglante menée par Bachar al-Assad en Syrie contre des manifestants déterminés à promouvoir le changement, continue de faire des victimes, tout comme le long combat des Yéménites pour la démocratie. Le monde arabe, avec les révolutions tunisienne et égyptienne et les secousses enregistrées dans d’autres pays, a donc ouvert la voie. Mais ce sont paradoxalement les mouvements sociopolitiques non-violents qui se sont déroulés depuis le début de l'année 2011, en Occident qui vont peser de façon décisive sur l’avenir de la planète. En effet, l’Union européenne, après des décennies de progrès ayant conduit à la création de l’euro, se heurte, à présent, à des obstacles quasi-insurmontables dans le processus d’intégration.
Les Etats-Unis, quant à eux, doivent faire face à une rivalité exacerbée entre le camp ultra libéral incarné par le Parti républicain et les extrémistes du Tea Party d’un côté et le camp réformiste que représentent Barack Obama et le Parti démocrate, de l'autre côté. Pendant ce temps, le Japon, une grande puissance du XXe siècle, se concentre sur les conséquences de son endettement excessif, du tsunami et de la crise nucléaire tandis que la République populaire de Chine qui assure désormais un rôle de leadership en Asie fait entendre sa voix tout en évitant de se faire surprendre par ses problèmes intérieurs tels que l’inflation et les revendications des travailleurs et des citoyens.
Les rapports de force se modifient en profondeur dans les grands centres économiques du monde sans qu’on ne puisse prédire, pour l’instant, l’issue des confrontations actuelles. Le monde entier le constate et l’endure désormais: le développement sans entrave du capitalisme ne peut conduire qu’à des crises de plus en plus difficiles à surmonter. Les Etats-Unis s’accrochent désespérément à une posture de leader du monde qui leur échappe de plus en plus. La dette américaine ne cesse de s’aggraver, dans un pays où le taux de chômage se stabilise entre 9 et 10 %, et a engendré une pauvreté indigne d’une superpuissance comme les USA. Le plan de relance proposé par Obama suscite naturellement de grandes controverses. L’Europe paralysée par ses traditions sociales et le poids de ses logiques de solidarité dont le coût est devenu insoutenable est confrontée, elle aussi, au poids d’une dette qui a pris dans certains pays des proportions inacceptables. Et des millions d’Européens au chômage crient leur colère dans des manifestations des Indignés dont l’ampleur ne cesse d’étonner, avec leur exigence de justice sociale et d’équité.
Le changement viendra des hommes ordinaires
De toute évidence, ce n’est pas le prolétariat mais bien la jeunesse désemparée des sans-logis, des sans-emplois et les couches moyennes désormais marginalisées qui ont pris la tête des mouvements sociaux de cette année. Rien ne sera plus comme avant même si tout reste à inventer. Cette fois-ci, Israël est touché, lui aussi, de plein fouet malgré le problème palestinien. La crise du capitalisme ultralibéral est un fait indiscutable qui pose l’exigence de réformes profondes. Il n’en reste pas moins que les milieux financiers qui contrôlent l’économie du monde ne semblent pas encore avoir compris le message des populations qui se sont dressées pour exiger des changements structurels.
En mettant l’accent sur les politiques d’austérité budgétaire et de réduction de la dette plus que sur les changements de politique économique et financière, les grands pays capitalistes continuent de creuser leur propre tombe et ne peuvent qu’aggraver les crises en en reportant le traitement de quelques mois ou années. Aux Etats-Unis, il n’est plus possible de favoriser l’enrichissement scandaleux de quelques milliardaires, ultra-protégés par le système, au moment où la santé publique, l’éducation, l’emploi se dégradent pour la grande majorité de la population. Obama souhaite faire payer les banques. Il n’est pas sûr qu’il puisse aller au bout de sa démarche.
En Europe, on ne peut plus rêver d’une intégration continentale qui laisse à chaque pays une autonomie budgétaire économique et financière dont le résultat est de remettre en cause la construction européenne elle-même et d’appauvrir des millions de citoyens au profit de spéculateurs, de mafias et de financiers peu scrupuleux qui choisissent les pays les plus vulnérables comme la Grèce pour fragiliser l’Union. Désormais, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui étaient au chevet des pays africains et autres pays du tiers-monde victimes de la crise de l’endettement au début des années 80, se retrouvent trente années plus tard, au chevet des grandes puissances elles-mêmes, sans que leurs moyens d’intervention et surtout leur logique d’intervention n’aient réellement évolué.
L’échec des institutions de Bretton Woods dans le tiers-monde n’a eu que des conséquences globales limitées. Il n’en sera pas ainsi de la crise actuelle qui se déroule dans un contexte de globalisation poussée de la planète et d’intégration sans précédent des économies, des marchés financiers et des sociétés connectées grâce à Internet les unes aux autres. Ces sociétés sont prêtes à se mettre en mouvement pour ne pas être laissées en rade.
En Amérique latine, notamment au Chili, les jeunes élèves et étudiants ont déclenché des manifestations contre le gouvernement pour l’amélioration de leurs conditions d’études. En Inde aussi des milliers de jeunes sont descendus dans les rues et la question de la corruption est devenue une préoccupation majeure dans la première démocratie du monde. Même en Chine, des revendications sociales de plus en plus pressentes se font entendre et les travailleurs exigent de recevoir une part équitable des fruits de la croissance économique du pays. Une protestation planétaire est en gestation dans l’esprit du mouvement altermondialiste pour exiger non plus seulement la démocratie mais aussi l’équité, la justice et le bien-être collectif.
L'Afrique doit tirer son épingle du jeu
A mon avis, rien ne pourra désormais sauver le système international en place. Le pouvoir des banques et des financiers de la planète seront obligés de réguler de façon plus drastique les mécanismes actuels pour en finir avec les privilèges exorbitants qu’ils se sont accordé au mépris de la misère aggravée de milliards d’hommes et de femmes des pays du Sud mais aussi des pays du Nord. Plafonner les fortunes individuelles, mieux investir les bénéfices exorbitants des firmes au bénéfice des collectivités, telles sont parmi les nouvelles exigences pour un développement durable.
La montée des nationalismes étroits dans certains pays européens, du racisme et de la xénophobie dans d’autres, ne peut cacher longtemps encore l’exigence de réformes radicales que les financiers n’acceptent pas de gaieté de cœur et que les forces politiques et sociales acquises à ces changements devraient leur imposer. L’Afrique subsaharienne, qui a été la région la plus vulnérable du monde depuis les indépendances des années 1960, continue de retenir l’attention de la communauté internationale par la stagnation économique, la dégradation de son agriculture et les dérives de la gouvernance politique, économique et financière. Tandis que la famine touche de nouveau la Corne de l’Afrique et en particulier la Somalie, les grands pays comme le Nigeria, la République démocratique du Congo, le Kenya connaissent des troubles sociaux ininterrompus et d’autres comme l’Afrique du Sud, l’Angola et, bien entendu, le Zimbabwe sont traversés par des contradictions ethniques et raciales qui exigent des solutions appropriées avant qu’il ne soit trop tard.
En dépit de tout cela, force est de reconnaitre que de nombreux pays d’Afrique noire connaissent une croissance et un renouveau économiques significatifs depuis une dizaine d’années, grâce surtout à l’exploitation de leurs ressources minières. L’Afrique noire est devenue, de nouveau, l’objet d’une compétition déclarée entre les grandes puissances économiques du monde, dont la Chine, engagées dans une nouvelle course aux matières premières. Devenue indépendante, elle a la possibilité de tirer son épingle du jeu, dans l’environnement international actuel. Force est de constater que l’absence d’intégration régionale ou continentale limite terriblement sa marge de manœuvre en ce début du XXIe siècle. Le continent aurait pourtant pu tirer le meilleur profit de la crise qui frappe les pays riches pour se constituer en pôle alternatif pour une croissance économique durable et solidaire de type nouveau. Mais d’une certaine façon, la révolution mondiale est en marche. Elle sera relativement pacifique et démocratique mais elle entraînera des bouleversements sans précédent dans la vie des sociétés humaines et l’état de l’environnement.
Landing Savané