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Paul Kagamé,  novembre 2008. © REUTERS/Kai Pfaffenbach
Paul Kagamé, novembre 2008. © REUTERS/Kai Pfaffenbach

A quoi joue Paul Kagamé

Les bénéfices escomptés de la visite en France du président rwandais, Paul Kagamé, peuvent-ils faire taire les désordres et les passions qu’elle suscite?

Mise à jour du 11 janvier: L'avion du chef de l'Etat, abattu en 1994, a été visé par des missiles tirés d'un camp loyaliste hutu, affirme un rapport français. Ces nouvelles conclusions disculpent le clan Kagame. Pour le juge Jean-Louis Bruguière, qui a le premier instruit l'affaire, la roquette avait été tirée par des rebelles du Front populaire rwandais, le FPR de Paul Kagamé. Cet attentat est considéré comme un signal déclencheur du génocide.

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Accueilli modestement dimanche à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle par l’ex-champion du monde de judo David Douillet, ministre des Français de l’étranger, le président rwandais est l’invité du chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, avec qui il doit déjeuner ce lundi. Il n’est par contre pas le bienvenu pour le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, qui s’est arrangé pour effectuer une tournée diplomatique en Océanie. Il n’est pas non plus le bienvenu pour le deuxième personnage de l’Etat dans l’ordre du protocole, le président du Sénat, Gérard Larcher, qui a prétexté un «manque de temps». Et il est franchement le malvenu pour un certain nombre de parlementaires et de haut gradés, qui demandent à Paul Kagamé de retirer ses accusations de «complicité de génocide», portées avec insistance depuis plusieurs années contre l’armée et l’État français.

«Du côté français, on peut se demander ce qui peut justifier ce que beaucoup appellent une politique d’auto-flagellation de la part de la présidence française. On n’en voit pas les dividendes immédiats, vu les querelles et les passions déclenchées», s’interroge l’universitaire André Guichaoua, ancien témoin expert auprès du Tribunal international pour le Rwanda et spécialiste du génocide de 1994.

Contentieux non soldé

Dix-sept ans après, le contentieux reste pour l’essentiel non soldé entre les deux pays. Il a connu son asymptote après la sortie en 2006 du rapport du juge Bruguière, accusant Kagamé et ses lieutenants du Front patriotique rwandais (FPR) d’avoir fomenté l’attentat déclencheur du génocide. Rapport immédiatement suivi d’une rupture des relations diplomatiques puis, en 2008, de la publication par Kigali du rapport Mucyo, qui met à son tour en cause de hauts responsables militaires et politiques français, dont Alain Juppé. L’actuel réchauffement est amorcé avec l’arrivée de Bernard Kouchner aux Affaires étrangères, qui négocie en 2009 avec Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence, une première visite de Nicolas Sarkozy au Rwanda, le 25 février 2010 —que lui rend aujourd’hui Kagamé.

Se refusant à présenter des excuses, le président français avait évoqué à Kigali «des erreurs, des erreurs d’appréciation, des erreurs politiques [qui] ont été commises ici […] Grave erreur d’appréciation. Forme d’aveuglement quand nous n’avons pas vu la dimension génocidaire du gouvernement du président qui a été assassiné», sans préciser ni de quelles erreurs il parlait, ni s’il parlait alors d’erreurs commises par la communauté internationale ou par la France.

Depuis cette demi-contrition, assez peu d’événements significatifs ont marqué la «réconciliation» entre Paris et Kigali, à l’exception notable de nombreux échanges judiciaires, le premier donnant avec la création d’un pôle spécialisé sur les crimes contre l’humanité des gages au second d’enfin juger ses résidents rwandais suspectés d’avoir participé au génocide. Depuis surtout, Bernard Kouchner a été remplacé par Alain Juppé, qui dirigeait déjà le Quai d’Orsay en 1994; et Paul Kagamé a perdu de nombreux soutiens tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Rwanda. Au point qu’aujourd’hui, le mobile de son voyage à Paris, plusieurs fois reporté, apparaît motivé par des intérêts étrangers à l’histoire même des relations franco-rwandaises:

«Kagame n’est plus en position de force. Son soutien britannique est très discuté depuis qu’il a eu le mauvais goût d’envoyer des tueurs en Grande-Bretagne au moment du mariage princier. C’est très mal passé. Et les conditions de sa réélection à 93% des suffrages en août 2010 ont également été très discutées à Washington. L’intérêt aujourd’hui de la visite en France de Kagame consiste donc surtout à diversifier ses possibilités d’appui», décrit un conseiller politique qui souhaite garder l’anonymat.

À ce discrédit, de plus en plus patent aux yeux de ses traditionnels alliés anglo-saxons, du «modèle rwandais» qu’ils avaient salué depuis plus d’une décennie pour sa stabilité et ses bons résultats économiques, sont venus s’ajouter en 2010 et 2011 pour Paul Kagame le lâchage d’anciens compagnons de route, et de graves accusations portées par l’ONU sur les crimes commis par les forces rwandaises à l’est du Congo. Non seulement son régime n’est plus en odeur de sainteté, mais il pourrait être menacé par sa propre incapacité à «ouvrir l’arène politique, le rétrécissement de sa base et sa volonté continue, 17 ans après le génocide, de recourir à des moyens souvent brutaux pour faire taire les dissensions», selon un rapport du commandant militaire américain pour l’Afrique (Africom), publié en juin à Washington par le Centre d’études stratégiques et internationales.

Une nouvelle politique africaine?

Autant de raisons pour Kigali de renouer avec Paris, malgré sa compromission avec le régime génocidaire de l’ancien président Juvénal Habyarimana. L’intérêt d’un tel rapprochement pour la présidence française? Il semble tout aussi peu lié au génocide de 1994. Il s’agit de tenter de récupérer l’influence perdue de la France depuis 1994 dans la région des Grands Lacs. Mais pour de nombreux observateurs, l’investissement réel de la diplomatie française sur le terrain dans cette région ne laisse que peu d’illusion sur sa capacité à obtenir des résultats probants. Il s’agit plus sûrement pour Nicolas Sarkozy de continuer de marquer, comme il l’a annoncé depuis son élection en 2007, sa rupture avec les anciens réseaux gaullistes, chiraquiens ou villepinistes, afin d’indiquer aux Français et au monde qu’il mène une «nouvelle» politique africaine.

«Ce que l’on constate, c’est qu’il y a eu au cours de la dernière année des actes qui montrent une volonté de se réengager sur des axes forts. Ça a été la Côte d’Ivoire, la Libye, et l’on peut imaginer qu’affronter la question rwandaise est une autre manière de vouloir bouger les lignes. Le président Sarkozy peut penser qu’en prenant de la hauteur, quitte à mécontenter bien des corps constitués tels que l’armée ou le Quai d’Orsay, il s’en démarque, il pousse à la retraite des gens qui faisaient une autre politique et montre qu’il n’est pas lié par les fautes de ses prédécesseurs. C’est certainement un élément majeur de sa stratégie, même si l’on ne voit pas très bien quels en sont les dividendes immédiats ni les nouvelles lignes directrices de ce que serait une politique africaine ambitieuse. On a plus l’impression d’une nouvelle politique avec des coups forts pilotés par des noyaux directement liés à la présidence», commente le professeur Guichaoua.

Cette «réconciliation» tintée de realpolitik, tissée en toile de fond d’un des drames humains les plus culpabilisants de la fin du XXe siècle, sert assurément les intérêts bien compris des deux présidents qui devaient déjeuner ensemble le 12 septembre 2011. Reste en suspens la question de savoir quels moyens ils se donneront pour faire avancer une histoire qui, entre Kigali et Paris, continue d’entrechoquer passions et vérités contradictoires.

Franck Petit

 

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Franck Petit. Journaliste français, spécialiste de l'Afrique et de la justice internationale.

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