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Jacques Chirac avec Blaise Compaoré, Omar Bongo, Paul Biya et Denis Sassou Nguesso, le 16 février 2007. REUTERS/Eric Gaillard
Jacques Chirac avec Blaise Compaoré, Omar Bongo, Paul Biya et Denis Sassou Nguesso, le 16 février 2007. REUTERS/Eric Gaillard

La bombe à fragmentation de Bourgi

Robert Bourgi livre «sa» vérité sur la Françafrique. Le conseiller occulte pour l'Afrique à la présidence française affirme que des valises bourrées de billets ont été remises à Jacques Chirac et Dominique de Villepin de 1997 à 2005. Les intéressés ont vivement démenti. Mais c’est une nouvelle «boule puante» à seulement sept mois de la présidentielle française.

Mise à jour du 24 novembre 2011: Pascaline Bongo, ancien directeur de cabinet et fille d'Omar Bongo, a démenti "formellement" le 23 novembre la contribution du défunt président gabonais à la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy dont l'accuse un de ses anciens conseillers.

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Mise à jour du 17 novembre: L'enquête ouverte après les accusations de l'ex-conseiller officieux de l'Elysée Robert Bourgi en septembre, sur une remise de fonds africains occultes à Jacques Chirac et à Dominique de Villepin, a été classée sans suite par le parquet de Paris.

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Mise à jour du lundi 12 septembre: Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont décidé de déposer plainte en diffamation contre Robert Bourgi.

Dans une interview publiée dimanche 11 septembre, l’avocat cite les noms de l’ancien président et son ex-bras droit dans des affaires de financements occultes par des chefs d’Etat africains.

«A la suite des propos tenus ce jour par M. Robert Bourgi, le président Jacques Chirac m'a demandé de déposer plainte pour diffamation», a déclaré l’un des avocats de Jacques Chirac, Me Jean Veil.

De son côté, Dominique de Villepin a déclaré sur France2:

«Les accusations qu'il porte sont graves, scandaleuses, détaillées comme tous les mauvais polars, et c'est pour cela que comme Jacques Chirac, je porterai plainte contre lui».

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Il y a des interviews qui ressemblent à des bombes à fragmentation, ces engins qui en explosant libèrent des milliers d’éclats à toute vitesse et dans toutes les directions. Rares sont ceux qui, à terme, en sortent indemnes. Le long et détaillé entretien de Robert Bourgi au Journal du dimanche le 11 septembre 2011 (JDD) est de ceux-là.

Quoi de neuf sous le soleil de la Françafrique?

Les déclarations sur les valises de billets circulant entre l’Afrique et la France ne sont pas nouvelles. Mais il est rare qu’un porteur de valises, qui a ses entrées à l’Élysée, détaille son rôle en impliquant les plus hauts personnages de l’État français —qu’il était pourtant censé servir— ainsi que plusieurs chefs d’État africains, dont la majorité sont encore au pouvoir.

Avec sa verve habituelle, Robert Bourgi donne moult détails, comme les «grands fauteuils bleus» et le «meuble vitré au fond du bureau» de Jacques Chirac à la mairie de Paris. Il livre aussi les noms de la secrétaire de Chirac, du directeur du protocole de Laurent Gbagbo (l’ex-président ivoirien) ou d’un émissaire de Blaise Compaoré (le chef d’État du Burkina Faso). Il cite également des expressions prêtées à Chirac ou Dominique de Villepin, le Premier ministre de l’époque.

Des petits détails qui sont supposés rendre les accusations crédibles. Ils montrent en effet que l’avocat franco-sénégalais est un habitué des cercles du pouvoir, sur les bords de la Seine comme sous des latitudes plus tropicales. Ils ne prouvent pourtant pas la véracité des accusations.

En résumé, Bourgi affirme avoir reçu, dans le bureau de Villepin à l’Élysée, des valises de billets de la part de chefs d’État africains pour financer la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 2002.

Selon Bourgi, il s’agirait d’Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo, Denis Sassou Nguesso (Congo) et Omar Bongo (Gabon). Sur les cinq, trois sont encore au pouvoir.

Après la réélection de Chirac en 2002, un nouveau donateur est apparu, affirme Bourgi: Teodoro Obiang Nguema, le président de Guinée équatoriale, riche État pétrolier d’Afrique centrale, coincé entre le Cameroun et le Gabon.

Les premières réactions des palais présidentiels africains concernés démentent bien sûr ces propos. Mais Mamadou Koulibaly, ancien numéro deux du régime Gbagbo et actuel président de l’Assemblée nationale ivoirienne a confirmé à l’AFP ces «transferts d’argent» en 2002. Selon lui, il y aurait eu «deux milliards de francs CFA (trois millions d’euros) transportés d’Abidjan vers Paris par valise».

Il s’agit de la première confirmation par un haut responsable africain de ces transferts illicites. Mais il est vrai que les caciques du régime Gbagbo ont toutes les raisons aujourd’hui d’en vouloir aux présidents Chirac et Sarkozy…

Pourquoi Bourgi parle?

Son père spirituel, Jacques Foccart, «pape» de la Françafrique, lui avait conseillé de «rester à l’ombre, pour ne pas attraper de coups de soleil». Mais Bourgi a un caractère plus méridional que le natif de la Mayenne et du mal à tenir sa langue, horripilant au passage les sages diplomates du Quai d’Orsay et autres conseillers de l’Élysée.

Il affirme certes au JDD parler en «(son) nom personnel» et n’être «mandaté par personne». Il affirme simplement avoir été «déçu» par Villepin, en avoir «assez des donneurs de leçons et des leçons de morale». Certes.

Mais il est curieux que Bourgi retrouve la mémoire au moment où Chirac perd la sienne, alors que l’ex-président est jugé pour des emplois fictifs présumés à la mairie de Paris.

Ces accusations sont en outre livrées sur la place publique sur fond de très violentes divisions au sein du parti présidentiel, l’UMP, entre Chirac/Villepin d’un côté et Nicolas Sarkozy de l’autre. Des divisions nées de la féroce campagne pour la présidentielle de 1995 et de la compétition acharnée entre Jacques Chirac (soutenu par Villepin) et Édouard Balladur (soutenu par Sarkozy).

A noter que Bourgi exonère totalement le président Sarkozy dans cette affaire de valises.

Il se targue en outre de n’avoir jamais été interrogé, jamais été inquiété par la justice. Sur la photo publiée par le JDD, il pose dans son bureau, sûr de lui, les deux mains posées sur une imposante pile de mystérieux dossiers.

Sont-ce les preuves de ces accusations, ou bien des dossiers sur ceux qui pourraient être tentés de lui chercher des poux dans la tête? L’avocat sait en tout cas se mettre en scène.

Qui est vraiment Robert Bourgi?

Issu d’une famille de «Libanais d’Afrique», il est né en 1945 à Dakar, au Sénégal. Le président Sarkozy lui a remis la Légion d’honneur en septembre 2007 —soit seulement quatre mois après son élection. Le discours du chef de l’État prononcé à cette occasion en dit long sur l’homme de la Françafrique. Les deux hommes se connaissent bien, depuis 1983.

D’abord, il faut noter que la remise des insignes de Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur a été effectuée en présence des «ambassadeurs et représentants personnels» de l’Angola, du Congo-Brazzaville, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de la Guinée équatoriale, du Liban et du Sénégal.

A l’exception de l’Angola, tous ces pays africains sont cités par Bourgi dans l’affaire des valises. Le président Sarkozy se déclare d’ailleurs «très heureux» de «voir autour de nous tant de vieux amis» de la France.

Si c’est Robert Bourgi qui est distingué, «c’est toute (sa) famille qu’il s’agit d’honorer et de remercier», souligne le chef de l’État. «Une famille exemplaire», selon lui. Et de rappeler que Jacques Foccart, décédé en 1997, «a pu compter sur le patriote et l’ami que fut (son) père Mahmoud Bourgi».

«Je sais, cher Robert, pouvoir continuer à compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion». Le président Sarkozy rappelle alors le conseil de Foccart, le «meilleur des professeurs», de rester à l’ombre: «sous le chaud soleil africain, ce n’est pas une vaine précaution. Jacques Foccart avait bien raison».

Dans l’entretien publié dimanche, Bourgi n’a pas écouté le conseil présidentiel et braqué les projecteurs de l’actualité sur lui. Il ne craint apparemment pas le «chaud soleil africain». L’avenir dira s’il a eu raison.

Adrien Hart

 

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Adrien Hart

Adrien Hart est journaliste, spécialiste de l'Afrique.

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