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Danse avec les loups
Par Soufiane Ben Farhat
Les tractations politiques en vue de la sortie de crise n'en finissent pas de traîner en longueur. Elles avancent à une allure d'escargot, qui plus est en colimaçon.
Deux pôles opposés y sont aux prises. D'un côté, une partie de la Troïka sortante, chapeautée par le mouvement islamiste Ennahdha. De l'autre, les divers gauche, unis sous la chapelle dudit » Jabhat Al-inkaadh ( Front du Salut ).
Entre les deux, le quatuor réunissant les organisations de masse et les instances associatives. En l'occurrence, les centrales syndicale et patronale ( UGTT et UTICA ), la Ligue tunisienne des Droits de l'homme ( LTDH ) et l'Ordre des avocats. Il joue les bons offices. En vain.
Jusqu'ici, les protagonistes s'abîment volontiers dans les calculs d'épiciers. Le non-dit l'emporte. Et des deux bords, les maximalistes jouent la surenchère.
Ainsi en est-il du mouvement Ennahdha. Son chef, M. Rached Ghannouchi multiplie les initiatives et les rencontres tantôt secrètes tantôt spectaculaires avec ses adversaires d'hier. Au besoin, il n'hésite pas à faire le voyage de Paris ou d'Alger pour y rencontrer son principal rival politique en termes de vote présumé durant les prochaines élections. Béji Caïd Essebsi, leader de Nida Tounès en semble d'autant plus réconforté qu'il est fort du soutien inconditionnel de la gauche radicale, Front populaire et Front du Salut confondus.
Mais ce qui semble gêner le plus Ghannouchi, ce sont plutôt les forces conservatrices dans son propre camp. Il n'est en effet un secret pour personne que les faucons d'Ennahdha tiennent le haut du pavé au sein du conseil de la choura du mouvement. Témoins, les résultats des élections lors du dernier congrès du parti il y a un peu plus d'une année. Les faucons y avaient recueilli les premiers suffrages.
Ennahdha est en fait traversé par plusieurs courants. Deux faits saillants le caractérisent. Rached Ghannouchi est le seul à pouvoir fédérer ces divers courants. En même temps, c'est le seul qui campe le rôle du porte-parole patenté et autorisé de son mouvement. Tous les autres représentent en fait l'une des chapelles plus ou moins concurrentes au sein du mouvement.
Aujourd'hui, il semble, aux yeux de certains, que Rached Ghannouchi ait franchi le Rubicon. Ses accolades appuyées et fortement médiatisées avec Béji Caïd Essebsi sont désormais un rituel hebdomadaire.
Mais qu'en pensent précisément Abdellatif el-Mekki, Sadok Chourou, Habib Ellouze et bien d'autres dirigeants d'Ennahdha ? Jusqu'ici, ils soufflent le chaud et le froid. Et davantage le chaud que le froid. Loin de tempérer les ardeurs, ils les aiguillonnent. A les entendre, il faudrait y penser à deux fois avant d'embarquer avec Nida Tounès. Un parti accusé jusqu'ici d'être le fief des rcédéistes bourguibistes et pro-Ben Ali, des gauchistes en rupture de ban et de tous les éradicateurs ennemis jurés des islamistes. Bref, les nahdhaouis y désignaient tous ceux qui, à leurs yeux, joueraient les premiers violons dans le concert de la contre-révolution.
Aujourd'hui, en se rapprochant de Béji Caïd Essebsi, Ghannouchi est accusé par certains de ses plus fervents supporters et séides de pactiser avec le diable. Rien de moins. Et ils le font savoir. Notamment dans les médias et les réseaux sociaux. Pour d'autres observateurs, ce n'est que de la poudre aux yeux. A les entendre, les islamistes sont un bloc uni et compact. Ce qui se trame dans les coulisses n'est guère ce qu'on affiche. Des considérations d'ordre tactique présideraient à ces divergences étalées d'une manière plus ou moins feutrée au grand jour.
En tout état de cause, Ghannouchi danse avec les loups à Monplaisir.
Dans tous les cas de figure, aujourd'hui sur la place politique tunisienne, ce qui est évident n'est pas toujours vrai. Et vice-versa.
Par Soufiane Ben Farhat le 13 septembre 2013