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Rock the Casbah: quatre femmes et un enterrement
Dans son deuxième long métrage, Laïla Marrakchi s'immisce dans l'intimité d'une famille aisée en deuil, à Tanger.
Le père est parti. Cet équivalent du «Khomeiny» dans la chanson des Clash est mort. Il laisse derrière lui quatre femmes: son épouse Aïcha (Hiam Abbas), et ses trois filles, Miriam (Nadine Labaki), Kenza (Lubna Azabal) et Sofia (Morjana Alaoui).
Assises sur l’un des innombrables fauteuils de la demeure familiale, elles forment une chaîne de tristesse: elles pleurent la disparition du père. Certaines l’ont adulé, d’autres l’ont seulement aimé et respecté, quand d’autres l’ont haï.
Rock the Casbah, le nouveau long métrage de la réalisatrice marocaine Laïla Marrakchi, ouvre les portes d’un petit palais oriental de Tanger où se joue, en trois actes, l’enterrement d’un notable influent nommé Moulay Hassan. On ne connaît pas grand-chose sur lui, hormis le fait qu’il laisse un héritage convoité et qu’il a tenu sa famille d'une main de fer.
Interprété par Omar Sharif, le père observe, amusé, ses funérailles. Au bord d’un bassin digne d'un tableau orientaliste, l’homme commente sa propre mort. Serein et sage, comme tous ces hommes qui n'ont plus rien à perdre, même pas la vie.
Comme le veut la tradition musulmane, sa mise au tombeau se fait au bout de trois jours. Le temps nécessaire pour accueillir les membres d’une famille dont personne ne connaît les véritables frontières. Trois jours aussi pour anesthésier la douleur, oublier la mort du défunt.
Cela se vérifie dans le film de Laïla Marrakchi: rancœurs, histoires de familles, amours ressurgissent très vite. L’humour aussi. Un élément essentiel, selon l’actrice palestinienne Hiam Abbas. Derrière l’écran, comme dans la vie, elle aime rire. Elle aime voir l’humour s’inviter là où on ne l’attend pas.
«L’idée de s’échapper par l’humour est quasiment une règle de vie. La dérision s’impose dans nos histoires», souligne-t-elle.
Patriarcat et conservatisme
Cet enterrement prend la forme d’une renaissance pour les trois filles de Moulay Hassan. Le père n’est plus là. Elles règlent des comptes. Crachent des mots vulgaires. Pètent les plombs. Elles prennent conscience des tristes effets de l’omerta imposée par le père et toute la société marocaine. Toutes, un jour, se sont sacrifiées.
Sofia, pour fuir l’emprise paternelle, s’est exilée au Etats-Unis où elle interprète des rôles de terroristes dans des films américains. Miriam, obsédée par le culte du corps et l’argent, a logiquement épousé un homme riche. Kenza, la plus austère, continue de grandir dans le sillage de «papa». C’est certainement la partie la plus aboutie du nouveau long métrage de Laïla Marrakchi. Chaque femme dégage une toute-puissance. La fable semble avoir été écrite pour elles.
Mais là se situe aussi la principale limite du film. Le merveilleux casting n’efface ni les lieux communs ni les ficelles prononcées du scénario. Donner la parole à des femmes bourgeoises conscientes de la place qu’elles ont, ou plutôt, qu’elles n’ont pas dans les sociétés arabes, est une bonne idée. Mais le scénario peine à s’affranchir des stéréotypes: il en reste prisonnier.
Nadéra Bouazza
(Rock the Casbah, sortie dans les salles le 11 septembre)