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Jacob Zuma, le 14 avril 2011. REUTERS/POOL New
Jacob Zuma, le 14 avril 2011. REUTERS/POOL New

La nationalisation divise les politiques sud-africains

Le projet de réforme agraire et la nationalisation notamment du secteur minier donne lieu à une véritable lutte entre les factions du Congrès national africain, au pouvoir. Sans perdre de vue l'élection présidentielle imminente.

La nationalisation, le sujet du moment en Afrique du Sud, va sans doute continuer à dominer le débat politique jusqu’à fin 2012, quand le Congrès national africain (ANC, le parti au pouvoir) élira son prochain président. L’issue la plus probable à long terme ne sera cependant pas très éloignée de l’approche progressive actuelle du gouvernement: une régulation plus stricte qui pourrait être vendue sous le nom de «nationalisation par d’autres moyens».

Le Congrès national africain divisé

Le débat est largement alimenté par des querelles politiques internes au sein de l’alliance au pouvoir. La Ligue des Jeunes de l’ANC (ANCYL) et son leader populiste Julius Malema essaient de se servir du sujet pour tirer la couverture à eux avant la conférence du parti en décembre 2012, en s’inspirant des griefs populaires autour des inégalités économiques et raciales qui persistent presque vingt ans après la fin de l’apartheid. L’ANCYL a déclaré qu’il ne soutiendrait aucun candidat qui ne se prononcerait pas en faveur de la nationalisation, mais ses attaques contre le président Jacob Zuma (qui dirige aussi l’ANC) se font de plus en plus personnelles.

Zuma, craignant de perdre des circonscriptions-clés avant sa campagne de réélection, ne va probablement pas laisser le débat de côté. Malema s’est fait réélire chef de l’ANCYL en juin et a exploité le sujet au maximum. Il représente une menace croissante pour Zuma, pas en tant que successeur direct mais comme détracteur. Son avenir politique, cependant, pourrait être mis en danger par des enquêtes sur ses accords commerciaux et par des procédures disciplinaires de l'ANC.

Et pourtant, l’ANC a de plus en plus de difficultés à contrôler l’ANCYL. Il préfère par conséquent attaquer Malema et la jeune aile populiste sur des sujets moins centraux, plutôt qu’en discréditant ouvertement la nationalisation. Mais même si la carrière politique de Malema en prend un coup, il est fort peu probable que le débat sur la nationalisation s’éteigne.

La lutte entre factions ne fera que s’intensifier à mesure que l’échéance du congrès du parti va se rapprocher, et il est facile d’exploiter le sujet de la nationalisation à des fins politiques. L’ANCYL a le soutien de certains éléments nationalistes africains à l’intérieur de l’ANC. Le Congress of South African Trade Unions (Cosatu) et le South African Communist Party (SACP) sont chacun divisés en interne sur le sujet, mais s’inquiètent à l’idée que la Ligue des Jeunes de l’ANC soit simplement en train de l’utiliser pour s’assurer une influence et des renflouements financiers d’entrepreneurs noirs endettés.

Mais les syndicats sont tout aussi angoissés à l’idée que l’ANCYL essaie d’envahir leur chasse gardée traditionnelle de gauche et prenne à son compte leur attrait populaire. Poussés au pied du mur par la Ligue des Jeunes, ils pourraient ne donner aux nationalisations qu’un soutien tiède.

Le casse-tête de la nationalisation

Le secteur minier est la principale cible visée (quoique l’ANCYL regarde aussi à l’occasion vers les secteurs financier, agricole et industriel). Mais la définition de la nationalisation diffère d’un groupe à l’autre, et il s’agit tour à tour d’expropriation sans compensation, d’expropriation avec compensation ou de mesures alternatives comme une augmentation des taxes, des royalties, des politique de Black Economic Empowerment [BEE, qui vise une plus grande participation économique des noirs dans le pays, ndt], et d’une plus grande participation de l’État.

D’éventuelles propositions politiques dans les deux à cinq ans qui viennent pourraient inclure une taxe minière, comme celle qui a été récemment mise en place en Australie, et des efforts pour resserrer les cibles des transferts de capitaux dans le cadre du BEE.

Il est cependant loin d’être clair que l’objectif actuel de transfert de participation (26% d’ici 2014) sera augmenté. Il est possible que le gouvernement décide à la place de faire respecter plus strictement l’objectif actuel. Et une plus grande participation de l’African Exploration Mining and Finance Corporation, propriété de l’État, pourrait également bien faire partie de ce programme, mais le gouvernement fait face à de véritables défis de capitalisation et de management.

Au congrès de l’ANC, les délégués du parti ne vont sans doute pas se prononcer pour la nationalisation franche ou pour un rejet complet. Il y a fort à parier qu’à la place, leur résolution prenne la forme d’un appel mitigé et confus à un plus grand bénéfice public. Ce manque de clarté ne va sans doute pas rassurer les investisseurs, perturbés pas seulement par des interrogations sur la trajectoire politique à long terme de l’Afrique du Sud, mais aussi par le fardeau règlementaire actuel.

Ce qui serait considéré par beaucoup dans le secteur industriel comme le meilleur des scénarios —un rejet ferme des propositions de nationalisation et des efforts pour alléger le fardeau de la réglementation— est de plus en plus improbable, au vu de la dynamique politique de l’Afrique du Sud.

La pire des éventualités, comme une expropriation pure et simple (même avec compensation), reste cependant limitée par des embûches constitutionnelles et fiscales. Une nationalisation sans compensation financière déboucherait sur une fuite des capitaux et de gros dégâts économiques (comme au Zimbabwe), tandis que le paiement des actifs miniers ruinerait le gouvernement (la capitalisation boursière de l’industrie minière, d’environ 195,4 milliards d’euros, représente environ le double du budget total du gouvernement).

Conséquence: un scénario «bricolé» n’impliquerait probablement pas de changement radical du statu quo, mais pourrait permettre au gouvernement de vendre ses politiques à des électeurs mécontents, sous les traits d’une nationalisation par d’autres moyens.

Anne Frühauf est analyste spécialiste de l’Afrique à Eurasia Group. 

Traduit par Bérengère Viennot

 

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