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La crise malgache vue par l'Oncle Sam
Washington apprécie moyennement l'intrépide Andry Rajoelina, mais n'a guère d'illusion sur l'incorrigible Marc Ravalomanana. Derrière ce duel se cache un autre match opposant les Etats-Unis à la France.
Mise à jour du 19 juillet 2012: Un communiqué publié par l'ambassade des Etats-Unis à Madagascar revient sur les conclusions des experts ayant assisté à la conférence organisée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), évoquant la dégradation continue de la biodiversité à Madagascar. Pour les Etats-Unis, cette situation souligne «le déclin considérable de l’état de droit et l’absence de la bonne gouvernance depuis le coup d’état de 2009 à Madagascar» et rappelle que «l’actuel régime de fait manque d’exercer des responsabilités fondamentales et méprise totalement les normes internationales».
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L'Oncle Sam a-t-il choisi le mauvais cheval à Madagascar? A Antananarivo, la capitale, les Etats-Unis disposent d’une grande ambassade flambante neuve, mais Washington est aujourd'hui considéré —à tort ou à raison— par les tenants actuels du pouvoir de la Haute Autorité de la Transition (HAT) et son président Andry Rajoelina comme le meilleur ami de leur pire ennemi, Marc Ravalomanana, président élu et déchu.
Inaugurée en 2010, la construction de cette nouvelle ambassade américaine avait débuté sous le régime de Ravalomanana. L’ancien président malgache, parfait anglophone et peu francophile, avait su s’attirer les faveurs de Washington et notamment du président George W. Bush.
En témoigne le programme du Millenium Challenge Corporation (MCC), dont Madagacsar fut le premier pays bénéficiaire en 2004. Quant à l’éligibilité de la Grande Île à l'African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui favorise l'exportation de certains produits sur le marché américain, elle est acquise dès 2000. Antananarivo semblait alors être l’un des chouchous africains des Etats-Unis.
Tout est OK avec Ravalomanana
Il faut rappeler que, en juin 2002, les Etats-Unis furent les premiers à reconnaître l’élection controversée de Marc Ravalomanana contre Didier Ratsiraka, président sortant dont les propos désobligeants sur les attentats du 11 septembre 2001 (qui avait déclaré, «en substance, que les attentats du 11 septembre n’avaient rien d’étonnant vu la politique étrangère des États-Unis») étaient sans doute mal digérées par Washington.
Au final, les Etats-Unis devançaient la France sur le dossier malgache —un crime de lèse-majesté. Marc Ravalomanana, le grand industriel de l'agroalimentaire qui était à la tête d'un vaste empire économique et médiatique ainsi que de la mairie de la capitale Antananarivo devenait imbattable et fut réélu en 2007.
La lune de miel américano-malgache se prolongeait dans un amour conjugal à long terme. Consacrant son dossier de couverture aux relations entre Madagascar et les Etats-Unis, le magazine de la diaspora malgache Mada barrait sa une d'un «Tout semble OK», pour signifier que ces relations bilatérales n'avaient jamais été aussi prometteuses.
Peu connues, les relations officielles malgachos-américaines remontent au 19e siècle. La jeune démocratie américaine avait établi des relations diplomatiques avec le royaume de Madagascar en 1883, deux ans avant la France. Les Etats-Unis avaient installé dès 1866 un consulat à Toamasina, le futur grand port de la côte Est. Et pour cause, des représentants des maisons de commerce avaient pris pied à partir des années 1830 sur les côtes malgaches, rappelle Mada.
La colonisation française a occulté pour longtemps ces prémisses de relations diplomatiques américano-malgaches. Même après l'indépendance recouvrée de la Grande Île en 1960, les Etats-Unis ne jouissaient ni des faveurs du régime postcolonial des années du président Tsiranana —que d'aucuns qualifient de néocolonial—, ni de celles du régime socialiste du flamboyant Didier Ratsiraka, né de la «Révolution de mai 1972».
Les Etats-unis ont attendu longtemps leur champion. Ravalomanana en est l'archétype. Un self-made man fervent chrétien protestant, qui ne jurait que par son propre leadership ainsi que par son ambitieux Madagascar Action Plan, qui voulait favoriser le développement de l'île en l'intégrant dans la mondialisation.
Andry Rajoelina, le TGV malgache
Mais force est de constater que plus de deux ans et demi après le coup d’Etat du 17 mars 2009 à Antananarivo, le nouveau régime malgache de la HAT ne porte pas les Etats-Unis dans son cœur.
Visiblement, l’inverse est tout aussi vrai. Washington a coupé ses aides non humanitaires et surtout suspendu les programmes Agoa et MCC de Madagascar. On peut aussi se plonger dans la masse des 250.000 câbles diplomatiques américains récemment publiés par WikiLeaks. Des câbles mis à nu sans fard, ni précaution. Près de 500 proviennent d’Antananarivo et recouvrent la période allant de février 2006 à février 2010.
Considérés comme hostiles au régime de la HAT, les Etats-Unis dressent un portrait critique du jeune maire d'Antananarivo, Andry Rajoelina, qui s'est fait proclamer président dans la rue. Le 17 février 2009, un mois avant sa prise du pouvoir, celui qu'on surnomme «TGV» est décrit par l'ambassadeur américain Niels Marquardt comme quelqu'un d'«idéaliste, émotif et inflexible» qui ne souhaite qu’une chose: le départ immédiat de Ravalomanana.
«Sachant qu’il n’obtiendra jamais cela en négociant, il choisit la rupture avec une approche de confrontation».
Et de commenter, à propos de la tuerie du 7 février 2009 au coeur de la capitale Antananarivo, lorsque des tirs nourris abattaient les manifestants pro-Rajoelina qui vouaient investir le palais présidentiel: «Le sang versé renforce son emprise sur le président».
Face à ce raz-de-marée de documents, chacun peut se faire une idée de la perception américaine des événements dramatiques qui ont plongé Madagascar dans une nouvelle crise politique désastreuse. Les moments-clés sont passés au crible par les observateurs.
En dépit de la masse de câbles, certains sont déçus. Un éditorialiste de Madagascar-Tribune relève avec regret qu’il n’y a aucun document du 17 mars 2009, date de la passation trouble du pouvoir de Marc Ravalomanana à un directoire militaire qui a remis la «patate chaude» à Andry Rajoelina.
Mais il ressort que l’ambassadeur américain rapporte l’attitude d’un Ravalomanana totalement dépassé par les événements. Après sa chute du pouvoir, ce dernier est perçu comme quelqu’un de déconnecté, mal conseillé et surtout enfermé dans sa tour d’ivoire.
Après son départ, il apparaît à Niels Marquardt comme perdu, ne sachant pas ce qu’il va faire (20 mars 2009):
«Rester, fuir, s’engager dans la bataille politique, se retirer etc.» Le plus inquiétant est qu’il affiche «une profonde méconnaissance et un profond dédain à l’égard de ce qu’il faut faire pour le bien de Madagascar. […] Ce n'est pas mon problème», rétorque-t-il.
Cette déroute était perceptible après la mutinerie du 8 mars 2009 au sein de l’armée, par un groupe de colonels opposés à la gestion sécuritaire désastreuse de la crise. Le 24 mars 2009, l'ambassadeur raconte le 13 mars:
«Ravalomanana lui a demandé de pouvoir se réfugier dans sa résidence et d’obtenir l’asile aux Etats-Unis avant de changer d’avis quelques heures plus tard.»
Le match France vs Etats-Unis
Derrière la rivalité entre Ravalomanana et Rajoelina, une autre lutte d'influence se joue. S’exprimant sur une radio d'Antananarivo, le sociologue malgache Paul Rabary analyse le fond de la crise malgache sous le prisme de rivalité franco-américaine qui se cristalliserait sur le statut du président déchu.
«La solution à la crise est réduite au sort de Marc Ravalomanana. La France veut écarter tout risque de retour de Marc Ravalomanana au pouvoir, voire dans le pays. Quant aux Etats-Unis, ils ne veulent pas de Andry Rajoelina à la tête du pays. Donc aussitôt que Paris et Washington se mettent d’accord sur la personne à installer au pouvoir (une personne suffisamment crédible de leurs points de vue), la crise sera résolue».
Pour sa part, un éditorialiste de Madagascar-Tribune ne croit pas à l’idée d’une opposition tranchée franco-américaine qui relèverait, selon lui, davantage du cliché. Mais les divergences sont manifestes, notamment dans l’application des sanctions économiques internationales à laquelle les Etats-Unis adhèrent —alors que la France affiche son scepticisme quant à leur efficacité et plaide pour leur levée.
Le 16 juin 2009, il exprime néanmoins son inquiètude quant à l’évolution sensible de la position de la France, qui rompt l’unité de la communauté internationale. Les Français veulent «abandonner la médiation en faveur de l’organisation d’élections anticipées non consensuelles. A notre avis, cette approche n’apportera pas de solution à la crise».
Victoire par K.O.?
En février 2010, date des derniers câbles américains d'Antananarivo révélés par WikiLeaks, cette divergence n’avait guère évolué:
«Nous partageons avec les Français un certain pessimisme quant à la voie à suivre. Mais nous sommes fondamentalement en désaccord concernant la nécessité d’organiser rapidement des élections mal préparées, ce qu’ils prônent, ainsi que l’efficacité d’une forte implication de la France pour tenter de résoudre la crise entre Malgaches.»
Au contraire, l’ambassadeur américain partage sa conviction profonde:
«Plus les Français tenteront de favoriser une solution, plus les choses empireront».
De l’avis du médiateur de l’ONU Tiébilé Dramé, la France a tout fait pour que TGV rencontre d’autres chefs d’Etat, notamment lors des funérailles du président gabonais Omar Bongo. Mais les tentatives ont échoué et le déplacement de TGV a été annulé. Pour Dramé, la France est derrière la rencontre entre TGV avec Wade, le chef d'Etat sénégalais et Kadhafi, le dictateur libyen.
Considéré par le médiateur Chissano comme la seule puissance en mesure d’influer sur TGV, la France se trouvait dans une position mal aisée. De l’avis de Rémy Maréchaux, le conseiller Afrique de l'Elysée:
«Le rôle de la France était extrêmement difficile, car d’un côté, elle ne pouvait supporter ouvertement Andry Rajoelina et de l’autre, prétendre qu’elle était contre les prises illégales de pouvoir».
A une position de principe défendue par les Etats-Unis, la France fait preuve de pragmatisme. A Madagascar, Paris tient sa revanche sur Washington.