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Madonna, la madone du Malawi
Dans un pays ravagé par le sida, les projets de la chanteuse sont soutenus par une partie de l'opinion publique et le gouvernement.
Mise à jour du 24 février 2012: Le projet de Madonna de construire 10 écoles au Malawi va-t-il devenir réalité? On peut en douter d'après les dernières déclarations du ministre malawite de l’Education, John Bisika, interrogé par The Guardian.
«Nous n’avons reçu aucune communication écrite ou verbale. Nous l’avons appris par voie de presse. Je ne comprends pas comment elle peut travailler comme ça» s’est interrogé John Bisika, en parlant de l’annonce faite fin janvier par la star américaine de construire 10 écoles pour les enfants malawites dans la banlieue de Lilongwe, la capitale.
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A la surprise générale, Madonna a échoué dans sa deuxième tentative d'adoption d'un enfant du Malawi. Le 3 avril un tribunal de Lilongwe, la capitale de ce petit pays d'Afrique australe, a dit non à la pop star américaine. La juge a estimé que la fillette, Mercy Chifundo James ne vivait plus dans la pauvreté depuis son admission dans un orphelinat du Sud du pays. «Il serait tentant d'abandonner toute prudence et d'autoriser l'adoption dans l'espoir de changer la vie d'un seul enfant, a ajouté la magistrate, mais en ôtant toute protection pour nos enfants, les tribunaux pourraient favoriser le trafic de mineurs par certains individus qui profiteraient des faiblesses du système».
En matière d'adoption d'un mineur, les lois du Malawi sont très strictes: les étrangers doivent être résidents dans le pays depuis au moins dix-huit mois. Seule Madonna, la «star de cinquante ans», avait fait exception à cette règle: en 2006, elle avait adopté un enfant, David Banda, lors de sa première visite. La «Madone» avait également créé cette année-là une fondation, «Raising Malawi», pour venir en aide aux enfants du pays.
Nombre de médias occidentaux ont manifesté leur incompréhension, à commencer par les télévisions américaines. Sur CNN, les prises de position indignées se multipliaient : «Pourquoi voulait-on empêcher Madonna de rendre un enfant heureux?». La chanteuse elle-même a contribué à la confusion en produisant «I am because we are», un documentaire consacré au drame du Malawi. Ce film, actuellement projeté en France, rappelle quelques faits terribles : ce pays de 14 millions d'habitants compte un million «d'orphelins du sida» et des coutumes contribuent à la propagation du fléau dans les villages. En particulier, le «rite de la purification» qui veut que les jeunes veuves soient obligées d'avoir des rapports sexuels non choisis et non protégés avec un homme marié du village. Bill Clinton, guest star du documentaire explique qu'il aime beaucoup ce continent parce que «les Africains chantent beaucoup... dès l'aube»...
L'influence de Londres
Ce film donne une image très partiale de la situation du Malawi. Rien n'est dit sur les réussites de ce pays qui est une démocratie depuis le début des années 90. Un Etat de droit où la liberté de la presse est respectée. Au Malawi, qui n'a jamais connu de guerre civile, les derniers gouvernements ont lutté avec succès contre les famines et le pays est devenu autosuffisant. Il exporte même du maïs à destination du Zimbabwe, « grenier à blé » de l'Afrique australe, jusqu'à ce que Mugabe ne détruise son agriculture à partir des années 2000.
Le Malawi a hérité des colonisateurs britanniques un goût certain pour le respect scrupuleux des lois. Encore aujourd'hui, ce pays vit bien souvent à l'heure de Londres. Les journaux sont truffés d'informations sur «le Royaume de sa gracieuse majesté» : à commencer par les matchs de football et les ragots sur les stars.
En matière religieuse aussi, l'influence britannique est grande. Dès le XIXème siècle, David Livingstone avait longuement sillonné la région à la recherche «d'âmes à sauver». Blantyre, la capitale économique, tire d'ailleurs son nom de la ville de naissance de cet explorateur et missionnaire écossais. Les Malawites reconnaissent bien volontiers qu'ils ont souvent conservé une conception stricte, voire puritaine de la religion.
L'ex-président, le Docteur Banda (au pouvoir pendant plus de trente ans, il a dû quitter ses fonctions avec la démocratisation du début des années quatre vingt-dix) avait interdit l'usage des minijupes. Aujourd'hui encore, à Blantyre, les jupes remontent très rarement au-dessus des genoux. Elles flirtent le plus souvent avec les chevilles. Dès lors, les «extravagances» et les «provocations» de la Madone ne sont pas du goût de tout le monde. D'autre part, les Malawites ont un peu l'impression que les riches Européens peuvent faire leur «marché» selon leur bon vouloir sur le continent.
La réalité du trafic d'humains
En Afrique, l'affaire « de l'arche de Zoé » avait provoqué la colère en 2007, bien au-delà des frontières du Tchad. L'inquiétude est d'autant plus vive que les trafics d'enfants sont une réalité en Afrique. Ils débouchent fréquemment sur des drames. Des enfants vendus et réduits en esclavage dans des plantations de cacao ou des mines. Ou bien d'autres mineurs tués pour des trafics d'organes ou des sacrifices humains. Au point que des gouvernements s'en sont récemment alarmés, notamment en Tanzanie.
Autre facteur d'incompréhension entre l'Occident et l'Afrique, la «notion d'orphelin» diffère souvent. «Sur le continent noir, le fait de ne pas avoir de mère ou de père ne signifie pas que l'on soit sans famille, souligne l'écrivain béninois Serge Félix N'Piénikoua. En Afrique, il est très fréquent que l'éducation soit confiée à un grand parent ou à une tante, même si les géniteurs sont toujours en vie. L'enfant n'appartient pas à la famille mononucléaire, mais à toute la famille au sens large du terme».
Une partie de l'opinion s'agace des séjours de Madonna au Malawi : «A chaque fois qu'elle débarque chez nous, cela nous fait de la mauvaise publicité. Elle nous amène toujours des ennuis», explique Grace, une enseignante. «Les gens ont bien compris que Madonna a toujours autant besoin de publicité et qu'elle est prête à la faire sur le dos du Malawi», estime William, professeur de lettres à Blantyre. Mais que les fans de Madonna se rassurent : ce «feuilleton africain» pourrait connaître un «happy end» pour la belle pop star. Ses avocats ont fait appel de cette décision de justice. Et une partie de l'opinion publique les soutient.
Petits juges
A l'image de James Taulou, citoyen malawite, qui estime que son pays «ne peut pas se permettre de refuser la générosité de Madonna et qu'il ne peut empêcher celle-ci d'offrir une vie meilleure à des enfants». Beaucoup de Malawites veulent juste rappeler à la star qu'elle doit tenir compte de leur avis et des lois du pays. «Mais au final, nombre d'entre eux, sont favorables à l'adoption par Madonna», estime Rex Chikoko, journaliste et bloggeur à Blantyre. Le gouvernement par la voix de sa porte-parole Patricia Kaliati, a d'ailleurs exprimé sa «tristesse» après cette décision de justice. Les autorités ont affirmé qu'elles soutenaient les efforts de Madonna pour adopter un second enfant. Il faudra beaucoup de ténacité aux «petits juges» pour résister longtemps à la pression du pouvoir.
Et puis pour beaucoup de Malawites, Madonna a au moins le bon goût de mettre la main au portefeuille et d'avoir les poches pleines. Sous couvert d'anonymat, un haut fonctionnaire ajoute : «Le gouvernement vient d'acheter dix Hummer (4x4 particulièrement volumineux) flambant neuf pour permettre au parti au pouvoir de mener sa campagne électorale. Est-ce que cet argent ne serait pas mieux utilisé s'il servait à aider les orphelins du sida? Au moins Madonna apporte de l'argent là où il manque». Au final, le gouvernement et ses Hummers réussiront sans doute à trouver un terrain d'entente avec la madone.
Pierre Cherruau
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