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RDC: «Il est temps que justice soit rendue»
Les victimes de crimes de droit international peinent à obtenir justice. En cause notamment, le manque de connaissance des recours et la crainte d’une vengeance des bourreaux, pour certains en uniforme.
«Un matin en septembre 2010, j’ai quitté ma maison pour aller couper des bananes, raconte Marie, 37 ans. Deux soldats sont arrivés dans la bananeraie. Ils m’ont arrêtée et m’ont dit que si je parlais, ils me tueraient.
[…] J’ai été violée six fois par un des soldats. Il a insisté pour que je l’emmène chez moi. Quand je suis rentrée au village, j’ai vu des soldats en train de piller les maisons. Le soldat m’a pris un matelas, quatre chèvres et quatre poulets. Puis il est parti.»
Cette mère de huit enfants habite Masisi, un territoire de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Dénoncer ses agresseurs? Marie n’y pense même pas.
«Obtenir justice n’est pas ma priorité. Mon premier souci est de survivre et de trouver une assistance médicale; mes enfants ne peuvent pas aller à l’école car j’ai tout perdu», explique-t-elle dans «Il est temps que justice soit rendue», un rapport de l'ONG Amnesty International rendu public le 10 août 2011.
Le document souligne que quelques poursuites ont été engagées, notamment dans le domaine des violences sexuelles —fréquentes dans l'est du pays, où les Forces armées de la RDC (FARDC) affrontent régulièrement des rebelles congolais, ougandais ou rwandais. Parmi les avancées:
«Un récent procès à Fizi-Baraka (Est), où sept soldats de l’armée congolaise, dont un officier haut gradé, ont été jugés coupables de crimes contre l’humanité».
«Encourager la population à dénoncer ce qui lui est arrivé»
«Cependant, précise le rapport, la lutte contre l’impunité pour les crimes de droit international progresse globalement très peu.» Les causes sont multiples. Le système judiciaire congolais souffre d’un manque de personnel qualifié et de moyens «financiers, matériels et humains». Résultat, «la plupart des enquêtes sont menées à la hâte et les décisions, souvent mal rédigées, ne se fondent pas sur des motifs juridiques ou sur des preuves».
Les victimes, elles, sont souvent trop démunies pour financer jusqu’au bout une procédure. Aussi, elles ne connaissent pas toujours leurs droits et ne savent pas comment les faire valoir. C’est le cas de Sophie, 45 ans, qui dit avoir été violée deux fois à Masisi: en 2005 par des rebelles du Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), puis en octobre 2009 par des éléments des FARDC.
«J’aimerais porter plainte mais je ne sais pas par où commencer. J’ai vu des avocats venir dans des véhicules de l’ONU pour parler de ce qu’il s’est passé […] Mais il n’y a pas de témoin de ce qui m’est arrivé et je ne peux pas identifier ceux qui m’ont fait ça. Je souhaiterais qu’il y ait des sanctions contre eux, cela encouragerait le reste de la population à dénoncer ce qui leur est arrivé.»
Haut gradés intouchables
Autre obstacle: en RDC, les tribunaux militaires sont habilités à juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Alors les victimes redoutent un procès perdu d’avance si leur agresseur porte l'uniforme.
Exemple avec Paul, 30 ans, originaire de Masisi. En septembre 2010, il a été frappé avec sa famille par des militaires, qui ont par la suite brûlé sa maison et celle d’autres villageois, poussant Paul et les siens à fuir à Goma (Est).
«Je ne suis pas sûr qu’utiliser les tribunaux nous aidera beaucoup. Chaque litige juridique dans mon village est monopolisé par ces mêmes militaires. Si je porte plainte à Goma, j’ai peur que notre communauté ait à faire face à des représailles car les mêmes soldats sont toujours là-bas.»
Outre le risque de vengeance, «des commandants haut gradés bénéficient d’une immunité quasi totale et des auteurs connus de crimes de droit international ont conservé leurs postes de commandement», commente Amnesty International, citant le cas du général Bosco Ntaganda, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour recrutement d’enfants-soldats en Ituri (Est).
Vers la création d’une cour spécialisée?
Et lorsque les tribunaux militaires convoquent des suspects, certains font blocage. En témoigne l'histoire de Chantal, qui a porté plainte contre les «policiers» qui l'ont violée à Masisi. L'auditeur militaire, sorte de procureur, «a convoqué les auteurs présumés des faits, mais le colonel de police en charge du village s’est opposé à leur comparution», raconte le rapport. Chantal vit depuis dans la peur pour elle et ses enfants, les policiers étant toujours en fonction.
Même appréhension pour plus de 150 victimes présumées de viols commis par des hommes armés en 2010 à Walikale (Est).
«Des voitures sont venues les chercher dans leurs villages, au vu et au su de tous, pour qu’elles aillent rencontrer l’équipe chargée de l’enquête. Beaucoup ont reçu des menaces, écrites et orales, à la suite de quoi l’enquête a piétiné.»
Plusieurs États et des ONG congolaises et internationales plaident pour la création d'une cour spécialisée pour juger les crimes de droit international. Cette instance compterait des magistrats congolais et étrangers pour garantir l'impartialité et la transparence des procédures.
Au sénat, dominé par la majorité présidentielle, des élus ont estimé qu'au lieu d'une telle instance, il faudrait renforcer les juridictions existantes ou mettre en place un tribunal pénal pour la RDC, sur le modèle des tribunaux existant déjà pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie.
Habibou Bangré
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