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Algérie: non jeûneurs contre islamistes
Le ramadan se termine dans quelques jours, les problématiques religieuses, elles, ont encore toute l’année pour alourdir les espoirs d’une sortie de crise pour l’Algérie.
40°, Tizi Ouzou, à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger. Un mois à peine après l’inauguration du carrefour Matoub Lounes, – du nom du célèbre chanteur Kabyle d’opposition (aux islamistes et au régime) assassiné il y a 20 ans-, au centre de Tizi Ouzou, près de 500 personnes se rassemblent à midi pour boire et manger au vu et au su de tous, en plein mois de ramadan. Une première en Algérie, pays où les non jeûneurs sont systématiquement traqués, intimidés et même arrêtés par la police ces dernières années. C’était le 3 août dernier.
Initié par le MAK, Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, l’action visait à dénoncer «l’inquisition, la persécution des non-jeûneurs, la liberté de conscience et plus généralement les libertés individuelles». L’initiative audacieuse fait polémique depuis, notamment sur les réseaux sociaux où les pour et les contre se battent sans relâche.
«C’est une provocation aberrante, l’Algérie est un pays musulman et cette initiative est un manque total de respect, commente une internaute.
«Je comprend vraiment pas que cet événement gêne à ce point et qu’on ne comprenne pas la message qu’il véhicule, celui d’une liberté de conscience » répond une autre.
La polémique enfle. Encore plus depuis que les islamistes s’en mêlent.
Les islamistes contre-attaquent
Dimanche 4 août, Ali Belhadj, l’ex numéro 2 du FIS, Front Islamique du Salut, interdit d’activité politique depuis dix ans, se rend à Tizi Ouzou, sur le lieu même du rassemblement, accompagné de son fils et de proches pour «effacer le sacrilège» commis la veille par les non- jeûneurs.
Lundi 5 aôut, ce sont des centaines d’autres islamistes qui s’y rassemblent pour rompre le jeûne le soir après y avoir fait la prière du couchant, à quelques mètres du carrefour Matoub Lounes. Ils remportent la bataille du nombre.
Ventre mou
L’événement se politise et prend de l’ampleur, ravivant la confrontation larvée entre islamistes et laïcs. Le sujet est sensible même les médias se contentent d’effleurer la question…
Gênés ou ne se sentant pas concernés, les politiques n’ont pas réagi, à quelques exceptions près. Par la voix du directeur des affaires religieuses de la wilaya (préfecture) de Tizi Ouzou, dépendant directement du Ministère des affaires religieuses, le régime qualifie le rassemblement de « non-événement ».
Pour lui, «ceux qui ont participé au rassemblement sont connus pour leur appartenance à un mouvement qui prône la division du pays, (Le MAK, Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, organisation non agréé, ndlr) et le reniement des valeurs sociales et religieuses de la société algérienne».
Pour Samir Bouakouir, ancien cadre dirigeant du FFS, Front des forces socialistes, parti d’opposition démocrate et laïc, l‘action des non- jeûneurs n’est autre qu’une «opération politico-médiatique de diversion». Pour lui, le choix du lieu n’est pas fortuit.
«L’objectif, en choisissant la ville de Tizi-Ouzou pour la mise en scène, est double: singulariser de nouveau la Kabylie, repolariser, à quelques mois de l’échéance présidentielle, le débat politique entre intégristes islamistes et intégristes anti-islamistes».
Pendant que d’autres rêvent d’amour
Si pour certains, cette affaire fait remonter des souvenirs effrayants, ceux de la guerre entre islamistes et laïcs qui a plongé l’Algérie dans des années de sang, pour d’autres, l’ironie est de mise. Notamment sur Facebook, où beaucoup de jeunes la tournent en dérision comme pour rappeler l’essentiel.
«Prochaine action pour lutter contre l’obscurantisme et l’Islamisme radical qui oppresse la société, on demande à 1000 Couples d’amoureux Algériens (Célibataire et non mariés) de se réunir pour s’embrasser en public sur une grande place à Alger!», propose un internaute.
Le Ramadan se termine dans quelques jours, les problématiques religieuses, elles, ont encore toute l’année pour alourdir les espoirs d’une sortie de crise pour l’Algérie.
Fella Bouredji
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