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Sarkozy est plus africain qu'Obama
Pour le dramaturge camerounais Eric Essono, le volontarisme et les frasques du président français le rapprochent davantage du continent que son homologue américain, qui a pourtant, lui, des origines africaines.
Quand, à Dakar au Sénégal, Nicolas Sarkozy parlait de l’homme africain en des termes qui avaient provoqué une véritable levée de boucliers, on avait trop rapidement conclu qu’il était raciste sur les bords. En réalité, il n’en est rien. Sarkozy parlait en Africain, c’est-à-dire qu’il versait dans une forme d’autodénigrement et de détestation de soi —assez habituelles chez les noirs. Quel Africain n’a jamais repris à son compte ce constat résigné devant l’insalubrité urbaine: «Le noir ne meurt pas de saleté»? Qui, dans ce berceau de l’humanité, ne s’est jamais laissé aller à ce cri d’admiration devant un bijou technologique: «Le blanc est trop fort»? C’est que Sarkozy parle en Africain quand Obama, à titre de comparaison, parle, lui, non seulement en Occidental mais surtout en blanc, qui dit si joliment les choses que l’on a envie d’entendre (institutions fortes, jeunesse fer de lance, blablabla).
Si Obama a la peau plus foncée, Sarkozy est manifestement le plus africain. Avant de pousser plus loin le contraste, il convient de rétablir une vérité qui fera prendre un sacré coup à la fiertitude de ceux qui ont vu en lui le premier dirigeant noir de la superpuissance américaine.
La terre est bleue comme une orange
Cette comparaison est un peu surréaliste. Mais elle l'est tout autant que toute théorie tendant à démontrer que le président des Etats-Unis d'Amérique, Barack Obama, est noir. Qu'est-ce que c'est que d'être noir au fait? N'est-ce pas une référence directe à la théorie des races? On l'utilise aujourd'hui sans trop y penser, mais Dieu seul sait si c'est le cas. On devrait réfléchir à ce qu'il véhicule. Ce sont des termes qui ont été créés pour séparer, rabaisser, au point que l’on a pu estimer que si les races n'existaient pas, les racistes les auraient inventées.
Les progrès de la génétique ont d'ailleurs conduit à discréditer toute tentative de caractérisation fondée sur les critères les plus immédiatement apparents: leucodermes (blancs), mélanodermes (noirs), xanthodermes (jaunes). Dont acte!
Les classifications raciales concernent uniquement les trois types sus-cités. C'est l'une des insuffisances des théories raciales que de n'avoir pas prévu et catégorisé les mélanges... Certains individus se sont trouvés enrichis du mélange des caractères distinctifs de leurs deux parents. Il s'agit des métis. Le mot est bien plus élégant que celui de mulâtre. Celui-ci est toutefois plus précis et désigne les êtres issus de l'union d'un blanc et d'une noire; ou inversement. Mulâtre dérive de mulata ("mule", en français et le suffixe "âtre" n'a, bien évidemment, rien de joyeux non plus) et est employé à l'origine par les esclavagistes portugais et espagnols du XVIIe Siècle.
Qualifier Barack Obama de noir revient, stricto sensu, à admettre scientifiquement que les caractères noirs sont dominants sur leurs équivalents blancs: ce qui, biologiquement, est une évidente aberration. Le métis a une couleur intermédiaire justement parce que les allèles régissant la couleur de peau sont codominants. Ce qui signifie grosso modo «de force égale». Sur la base de quels arguments peut-on donc se fonder à décider qu'un individu, qui contient 50% de blanc et 50% de noir est un noir, sans tomber dans une certaine forme de discrimination «négative»? Il ne faut pas oublier que cette classification est, à l'origine, inspirée par des pratiques ségrégationnistes. Lesquelles mettaient jadis tous les Américains ayant plus de 25% de caractères négroïdes chez les noirs. Mathématiquement, on en arrive à dire qu'un quarteron (individu issu de l'union d'un blanc et d'une métisse) est un noir: soyons sérieux! Cela dit, qu'il soit noir, bleu ou gris, on ne saurait le disqualifier de ses origines africaines.
Y a-t-il du reste une fierté à être noir? Non. Il faut replacer ces proclamations d'esclaves affranchis dans leur contexte. Cela apparaît aujourd’hui comme une affirmation d'arrière-garde: «Je suis fier d'être noir». La Négritude a été un courant littéraire, une mode, tout ce que l'on veut. Historiquement les colonisés, tout pétris de complexes qu'ils étaient, voulaient prouver, s'affranchir, se faire entendre... Aujourd'hui, ce serait un peu ridicule de brailler «Je suis fier d'être noir». Ah ouais? Qui veux-tu convaincre? Moi ou toi-même?
Cette Black Pride porte en elle-même une espèce de négation, un doute... On est noir et c'est tout, il n' y a pas à s'en excuser ni à s'en enorgueillir. Qui se réveille le matin en se disant devant sa glace:
«Tiens, la belle peau noire que j'ai! Merci seigneur de m'avoir fait noir!»? Sérieusement, si on ne le fait pas dans l'intimité pourquoi le ferait-on au grand jour?
L'élection de Barack Obama, si elle a un sens pour nous autres Africains, ce n'est probablement pas à cause de la couleur de son épiderme. Il n'est en définitive lui-même noir que par procuration, par compassion, mais non pas pour être «techniquement» noir, ni pour avoir souffert le martyre de la condition nègre.
Président de la France, roi de l’Afrique, prince du monde
Plusieurs fois marié, comme tout bon chef africain qui se respecte, Nicolas Sarkozy est père d’une famille nombreuse (bientôt quatre enfants!) et réunit à lui tout seul tous les caractères typiques de l’homme africain. S’il résume assez bien l’Afrique, c’est donc qu’il ne faut guère compter sur lui pour la développer.
Il a su redynamiser les sommets néocoloniaux (France-Afrique) pour les faire rentrer dans l’ère post-néocoloniale (Afrique-France). Changements cosmétiques? Que non, ils sont bien plus profondément vicieux que cela. A la diplomatie des réseaux, a succédé celle de la force brute. Ouattara est au pouvoir: ses muscles n’y sont pour rien, la volonté de Sarkozy a tenu lieu de loi entre les parties. Il a donné, dès après la proclamation des résultats contestés, huit jours à Laurent Gbagbo pour emporter armes et bagages. Celui à qui les Ivoiriens avaient donné le surnom de «boulanger» s’est accroché tant qu’il a pu, mais ses propres compatriotes lui ayant donné leurs suffrages ont compris que c’était trop du sacrifice volontaire de leur vie, en sus de celles que la soldatesque de Guillaume Soro (actuel Premier ministre de Ouattara) leur avait arrachées. Ils ont fini par le laisser se démerder avec la force Licorne, qui n'en a fait qu'une bouchée.
S’inspirant de pratiques négro-africaines fort répandues, Nicolas Sarkozy a parachuté son fils, Jean, dans le saint des saints des réseaux d’influence (aussi bien au sein du parti de la majorité en France, l’UMP, que dans la haute administration des établissements publics). Son autorité dans notre continent est sans partage: Bolloré, Bouygues, Vilgrain, Lagardère sont ses intimes, sa Francophonie est un puissant outil politique qui a étendu ses tentacules jusque dans le Pacifique ou en Asie du Sud. Or, en Asie, Proche-Orient inclus, l’Amérique d’Obama est émasculée, débitrice qu’elle est de la Chine, dépendante au dernier degré du pétrole saoudien, par trop respectueuse d’Israël, exécrée au Pakistan, raillée par l’Iran, etc. C’est au Canada, son placide voisin du Nord, qu’il faut espérer trouver des vestiges de sa superpuissance, loin des invectives du président vénézuélien, Hugo Chavez, et des frères Castro à Cuba.
La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a récemment écrit aux Camerounais qui, bien leur en a pris, n’ont pas daigné répondre. Sa lettre a été un certificat absolu d’émasculation. Non pas, cette fois, parce que c’est une femme et donc qu’elle ne serait pas «couillue», mais parce que l’on n’a vu nulle part les attributs de la puissance soutenir son propos. En effet, une telle démarche, si elle avait été initiée en France par le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères, auxquels l’Afrique a prêté ses dieux et son destin, aurait correspondu à un permis de tuer le régime de Yaoundé, duquel ils ne prennent jamais leurs distances que pour distraire la galerie.
Sarkozy est le seul dirigeant occidental à faire ami-ami avec Poutine au point de sembler avoir partagé de la vodka avec le premier ministre russe, quelques minutes avant une conférence de presse conjointe. Pékin lui enjoint-il de ne pas recevoir le dalaï-lama? Il rétorque que ça n’est pas à la Chine de fixer son agenda, alors que son homologue américain fera profil bas et, tout en recevant le dalaï-lama, ne laissera fuiter aucune image officielle, faisant même sortir son hôte par une porte dérobée, une entrée de service selon des commérages d’une certaine presse! Vu d’Afrique, Sarkozy est conséquemment le dirigeant le plus puissant de la planète.
Il est, enfin, le beau gosse qui exporte le french kiss. Il s’est payé le luxe d’un baiser sur la bouche de celle qui, selon le magazine Forbes, est la femme la plus puissante du monde: Angela Merkel. Obama s’est, lui, laissé infliger trop de démentis (Guantanamo, Afghanistan, conflit israélo-arabe, dette, chômage, dégradation 3A, etc.) quand le volontarisme et la praxis de Sarkozy (G20, UPM, Ali Bongo, crise financière, infirmières bulgares, bénévoles de l’Arche de Zoé, etc.) a fait et surfait le Premier ministre François Fillon, fait et refait Christine Lagarde, l'actuelle directrice générale du FMI, défait Strauss-Kahn, Kadhafi, Ségolène Royal, Jean Marie Le Pen, Bayrou. En un mot, quand son volontarisme et sa praxis marquaient le triomphe d’«une certaine idée de la France», conquérante envers et contre tout.
Eric Essono Tsimi
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