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Un portrait de Kadhafi dans une benne à ordures à Tripoli, le 30 août 2011. AFP PHOTO/PATRICK BAZ
Un portrait de Kadhafi dans une benne à ordures à Tripoli, le 30 août 2011. AFP PHOTO/PATRICK BAZ

Comment capturer Kadhafi

Pourquoi est-il si difficile de mettre la main sur l'ex-dirigeant libyen, et comment s’y prendre pour le débusquer?

L’histoire a une drôle de façon de se répéter, parfois plus vite qu’on ne l’aurait cru. Quelques heures à peine après avoir envahi le Panama en 1989, les forces américaines décimaient la Force de défense panaméenne et étaient accueillies en libérateurs par un peuple victime d’une longue oppression.

Pourtant, c’est l’échec à capturer immédiatement le général Manuel Noriega, le voyou au visage grêlé par la petite vérole, qui a dominé la perception de l’opération Just Cause. Lors de la première conférence de presse post-invasion à Washington, des journalistes ont demandé:

«Pouvions-nous vraiment considérer que Just Cause était un succès tant que Noriega n’était pas capturé?»

Plus de dix ans après, les forces de la coalition écrasaient l’armée irakienne et s’emparaient de Bagdad après une campagne-éclair de trois semaines au printemps 2003. Mais la cible déclarée de l’invasion, le dictateur Saddam Hussein, avait disparu.

Malgré l’euphorie initiale de la libération, les Irakiens ordinaires commencèrent à se sentir envahis par un malaise et une incrédulité grandissants à mesure qu’apparaissaient des graffitis à la gloire de Saddam Hussein dans ce qu’on appelle le «triangle sunnite» irakien, comme «Saddam reste notre chef» et «Saddam le héros reviendra».

Si Noriega fut capturé en deux semaines et que la guérilla redoutée n’eut finalement pas lieu, Saddam Hussein, lui, échappa aux forces de la coalition pendant huit mois, mis à profit par l’insurrection sunnite qui s’unifia, tua des dizaines de milliers de gens et faillit dévaster l’Irak.

Capturer Kadhafi est crucial

Aujourd’hui, le sort de la Libye dépend peut-être aussi de la capture d’un dictateur déposé. Car même alors que les forces loyales au Conseil national de transition (CNT) soutenu par l’Occident s’emparent de Tripoli et tentent de consolider son contrôle, l’ombre de l’homme fort disparu, le colonel Mouammar Kadhafi, plane dangereusement sur l’avenir du pays. Le chef du gouvernement provisoire du CNT, Mustafa Abdel Jalil, a déclaré mercredi 24 août:

«Cette histoire ne sera pas terminée tant qu’il ne sera pas capturé, mort ou vif […] nous craignons de sa part destruction et chaos car ce sont ses valeurs, son éducation et ses pratiques.»

Ou comme l’a déclaré une femme au foyer de Tripoli au Wall Street Journal: 

«Une partie de moi craindra toujours qu’il puisse revenir, et tant que je ne le verrai pas en prison ou au bout d’une corde, cette peur persistera.»

En d’autres termes, capturer Kadhafi est crucial pour éviter une longue guerre civile et atteindre une issue acceptable d’un point de vue stratégique en Libye. Conscient de ce fait, le CNT a annoncé une récompense de 2 millions de dinars libyens (environ 934.000 euros) à quiconque capturera le dirigeant évincé, et offre une amnistie à tout membre du cercle d’intimes de l’homme fort qui le capturera ou le tuera.

Étant donné qu’avoir recours au Seal Team 6 (l’unité d’élite qui a tué Ben Laden) n’est pas envisageable —puisque l’administration de Barack Obama et le Congrès sont d’accord pour ne pas déployer de forces américaines en Libye—, quel est le moyen le plus réaliste de capturer Kadhafi?

Leçons de chasse à l'homme

Dans mon livre Wanted Dead or Alive: Manhunts from Geronimo to bin Laden, je raconte l’histoire de onze chasses à l’homme historiques stratégiques, et j’examine les facteurs expliquant le succès ou l’échec à capturer la cible visée. Je me concentre sur six variables: le niveau de technologie employé (à la fois relatif et absolu), la force militaire, le terrain, l’intelligence humaine, les forces indigènes et l’assistance bilatérale.

J’en ai tiré quatre surprenantes conclusions.

Tout d’abord, même si les forces américaines bénéficient presque toujours d’une supériorité technologique par rapport à leur proie, cet avantage n’est jamais décisif. Deuxièmement, la force militaire importe moins que la présence de forces indigènes fiables. Troisièmement, si le terrain peut influencer les campagnes individuelles, aucun ne peut permettre de prévoir à coup sûr le succès ou l’échec. Enfin, plus important que le terrain physique, c’est le terrain humain qui compte; la capacité à obtenir des renseignements des populations locales ou encore le soutien des États voisins pour aider à conduire une chasse à l’homme stratégique.

Appliquées à la Libye, ces leçons suggèrent que plusieurs démarches sont nécessaires à la capture de Kadhafi.

1. Le soutien des forces internationales

Tout d’abord, le soutien de l’Occident aux forces du CNT ne sera probablement pas un facteur décisif de cette traque. Bien que le ministre de la Défense britannique Liam Fox ait reconnu le 25 août que l’Otan fournissait du matériel de renseignements et de reconnaissance aux rebelles «pour les aider à localiser le colonel Kadhafi et d’autres anciens du régime», ni Saddam Hussein ni Oussama Ben Laden n’ont été localisés par des drones, et leurs voix (tout comme celle du dirigeant d’al-Qaida en Irak Abou Moussab al-Zarqaoui) ne furent jamais captées par des interceptions de signaux.

Si Fox a refusé de commenter un article du Daily Telegraph avançant que les forces spéciales britanniques sur le terrain étaient impliquées dans la recherche de Kadhafi, il a confirmé qu’il n’existait «absolument aucun projet» d’engager des forces terrestres britanniques en Libye à l’avenir.

Des forces internationales seront sans doute nécessaires pour aider à stabiliser une Libye post-conflit, mais en attendant, elles seront probablement plus efficaces en formant des soldats du CNT qui maîtrisent déjà les capacités linguistiques nécessaires et l’expertise culturelle cruciale pour obtenir les informations qui finiront par mener à Kadhafi, un peu comme les forces spéciales américaines avaient entraîné et les agents des renseignements américains aidé les rangers boliviens qui avaient pourchassé et tué Che Guevara.

2. Terrain physique vs. terrain humain

Deuxièmement, même si le terrain sur lequel la recherche de Kadhafi peut être menée présente des variations significatives, la géographie ne constituera sans doute pas la variable la plus décisive.

Kadhafi peut se changer en aiguille dans une botte de foin en se cachant parmi les 2 millions d’habitants de Tripoli, stratégie qui s’était avérée payante pour le seigneur de guerre Mohamed Farrah Aidid à Mogadiscio (Somalie), mais qui n’avait pas fonctionné pour Noriega à Panama.

Ou bien encore, Kadhafi pourrait se retirer dans les déserts peu peuplés du sud de la Libye. Mais le même genre de terrain désolé —bien que montagneux— n’a pas du tout été un facteur décisif dans la traque de Geronimo (un succès) ni de Pancho Villa (un échec) dans une zone géographique similaire dans le nord du Mexique.

En réalité, c’est le terrain humain dans lequel Kadhafi va tenter de se dissimuler qui est critique. Étant donné que Kadhafi, comme Noriega et Saddam Hussein, a passé la plus grande partie de ses 42 années de règne à opprimer son propre peuple, de vastes zones de la Libye ne représentent plus pour lui un refuge sûr.

Pourtant, s’il arrive à se sortir des kilomètres de tunnels que l’on dit sillonner les sous-sols de son complexe de Bab al-Azizia, pour atteindre des zones contrôlées par des loyalistes tribaux, comme Syrte, le désert du Sud ou même les bidonvilles d’Abou Salim dans le sud de Tripoli, il serait bien capable de trouver une population acceptant de l’abriter.

L’histoire nous apprend que quand un individu est perçu comme un héros ou une sorte de «Robin des Bois» (comme Villa au Mexique, Augusto Sandino au Nicaragua, Aidid en Somalie ou Ben Laden en Afghanistan), la protection offerte par la population locale peut contrecarrer presque tous les satellites et les troupes d’élite imaginables.

Par conséquent, tout en renforçant son contrôle sur Tripoli, le CNT serait bien inspiré de couper les éventuelles issues de secours de Kadhafi vers ces zones-là, à l’instar des forces américaines qui avaient coupé les itinéraires de retrait possibles de Noriega aux premières heures de l’opération Just Cause.

Le CNT a raison d’encourager les membres du régime à trahir Kadhafi avant qu’il ne puisse s’installer solidement au sein de ceux dont les loyautés tribales sont les plus fortes, comme sa propre tribu des Kadhafa par exemple. Noriega, Saddam Hussein et Zarqaoui ont tous fini par être trahis par un membre de leur réseau de soutien (bien que Noriega ait réussi à se réfugier dans l’ambassade du Vatican juste avant que les commandos américains n’arrivent jusqu’à lui).

3. Reconstruire, en attendant

Enfin, si Kadhafi parvient à trouver un asile, il est peu probable que des incitations financières ou qu’une puissance de feu excessive ne parviennent pas à convaincre des membres loyaux de sa tribu de le livrer. Si l’on ne tient pas compte de l’évidente exception de la traque de 13 ans de Ben Laden, les chasses à l’homme couronnées de succès durent en moyenne 18 mois.

En imaginant qu’il pourrait falloir tout ce temps pour trouver Kadhafi, le CNT doit travailler rapidement à la construction d’une nouvelle structure étatique capable d’incorporer ces groupes tribaux et faire preuve de patience en attendant qu’ils l’isolent, lui et sa famille, et le rendent obsolète d’un point de vue stratégique.

Quel que soit le sort de Kadhafi (qu’il finisse comme Benito Mussolini, pendu par son propre peuple, ou comme Slobodan Milosevic, jugé par la Cour pénale internationale), le CNT et ses soutiens internationaux ont à relever un impressionnant défi avec la reconstruction de la Libye.

Une capture rapide du Guide rendrait la tâche plus aisée, en mettant le point final à 42 ans de dictature. Mais s’il reste dans la nature, il continuera d’être un symbole de résistance et de ralliement pour les éléments de la société libyenne qui se sentent exclus du nouvel ordre politique du pays, même s’il ne peut conserver aucun contrôle sur une quelconque force d’opposition naissante. Cela rendrait encore plus difficile une tâche déjà ardue et menacerait d’annihiler une éventuelle victoire en Libye.

Benjamin Runkle

Traduit par Bérengère Viennot

 

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