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Syrte: la bataille finale
Après avoir pris Tripoli, les rebelles libyens se dirigent vers Syrte, ultime bastion de Kadhafi, dont la prise sonnera probablement le glas du régime. L'Otan devrait encore une fois jouer un rôle décisif.
Syrte, un nom qui résonne comme une invitation au voyage, dont les échos nous rappellent l’œuvre de Julien Gracq. Syrte, fief du colonel Kadhafi, qui reste, semble-t-il, le dernier point clé tenu par ses fidèles dans le nord de la Libye. Après la curieuse et confuse «prise» de Tripoli, Syrte est l’objectif ultime, celui vers lequel convergent les forces rebelles. La chute de cette petite ville (moins de 80.000 habitants) devrait logiquement sonner le glas du régime.
Ce dernier n’en finit plus de s’effondrer. Des membres de la famille de Kadhafi se seraient réfugiés en Algérie, un fils du colonel aurait été tué pour la troisième fois au moins, et, vu d’ici, le brouillard de la guerre continue d’occulter ce qui se passe en réalité sur le terrain.
Depuis le début du conflit, les rebelles ont tendance à proclamer tout et son contraire, conscients de l’impact de ce genre de nouvelles, qu’elles soient ou non vérifiées, et en particulier de l’effet d’annonce.
Le site américain Antiwar.com qui, comme son nom l’indique, est radicalement opposé aux guerres menées par le Pentagone, ironise d’ailleurs à ce sujet, rappelant que «ce n’est pas seulement la troisième fois que Khamis [le fils en question] aurait été tué au cours de violents combats, mais la deuxième en moins de sept jours: la semaine dernière, les rebelles ont affirmé avoir retrouvé son corps après de durs affrontements». Au début du mois, ils avaient également assuré que le même Khamis avait été tué lors d’une frappe de l’Otan.
Le rôle toujours mystérieux de l’Otan
Dans ce flou peut-être soigneusement entretenu, une information commence peu à peu à filtrer: l’influence décisive de l’intervention occidentale. Autrement dit: sans elle, pas de victoire. Si certains se contentent, à mots toujours couverts, d’évoquer la présence de «cadres» responsables de la formation des troupes rebelles, d’autres sont aujourd’hui plus directs.
Comme le très autorisé Stratfor.com, site d’experts américains du renseignement, qui souligne dans un de ses derniers articles que «la doctrine militaire occidentale fournit une explication plus convaincante de l’effondrement apparemment rapide de la mainmise loyaliste sur Tripoli qu’une soudaine amélioration des capacités des rebelles».
Les médias et les états-majors reconnaissent bien volontiers que les frappes aériennes de l’Otan ont joué un rôle considérable dans la neutralisation des forces de Kadhafi. En revanche, depuis le début du conflit, les rumeurs les plus diverses circulent quant à la présence au sol de troupes françaises, britanniques et américaines —entre autres. Quelques spécialistes ont très tôt souligné qu’il ne pouvait y avoir de bombardements précis sur des objectifs comme des blindés et des positions d’artillerie sans l’appui d’éclaireurs sur le terrain, chargés «d’illuminer» les cibles.
Dans son édition du 21 mars, le Daily Mail soutenait que des commandos SAS britanniques étaient déjà en action sur le territoire libyen. Et de citer à l’appui un «haut responsable» de la défense, qui déclarait en substance:
«Qu’est-ce que nous écartons? L’éventualité d’une invasion. Qu’est-ce que nous n’écartons pas? Tout le reste. Il faut des hommes sur le terrain pour illuminer des cibles au laser et effectuer des missions de reconnaissance, pour collecter des renseignements sur la situation et mettre à jour la liste des cibles. De plus, si l’un de nos avions est abattu, il faut envoyer des gens pour récupérer l’équipage.»
Plus récemment, c’était encore la presse britannique qui se trouvait sur la brèche. Ainsi, The Guardian, dès le 25 août dernier, titrait sans détours: «Des soldats britanniques et français aident les rebelles à préparer l’attaque sur Syrte.»
Et d’enfoncer le clou:
«Les forces spéciales britanniques et françaises sont sur le terrain […] Les soldats ont joué un rôle de premier plan non seulement pour guider les bombardiers afin qu’ils ouvrent la voie aux combattants de l’opposition, mais aussi dans la préparation de l’offensive qui a fini par briser le siège de Misrata. […] Des sources proches de la Défense nous ont confirmé que des forces spéciales britanniques sont sur le terrain en Libye depuis plusieurs semaines, aux côtés de forces spéciales du Qatar, de France, et de certains pays d’Europe de l’Est».
La presse britannique a dans ce domaine une longue tradition. En 1999, pendant la guerre du Kosovo, elle avait été rappelée à l’ordre par le ministère de la Défense d’outre-Manche pour avoir révélé qu’un de ces fameux SAS, justement, qui étaient évidemment présents au sol pour pouvoir, là encore, guider les frappes de l’Otan, avait été tué dans un accrochage avec les forces serbes. En 1982, pendant la guerre des Malouines, la BBC elle-même avait été sermonnée par Londres pour avoir révélé sans attendre que le HMS Sheffield, un destroyer de la Royal Navy, avait été coulé par un Exocet argentin.
L’Occident avec les islamistes?
Autre information qui remonte aussi progressivement à la surface, le fait que des éléments rebelles seraient effectivement proches de la mouvance d’al-Qaida, et qu’ils ne s’en cachent même pas. Le New York Times publiait en juillet un entretien avec Abou Sohaib, un «islamiste exilé», qui revenait sur cette alliance entre l’Occident et son mouvement:
«N’est-il pas intéressant, disait-il, de voir qu’ils nous ont traqués pendant des années et qu’ils travaillaient avec Mouammar Kadhafi? Et maintenant, nous coopérons avec l’Otan et l’Occident, ceux qui, avant, nous mettaient en prison.»
Tout au long des guerres en ex-Yougoslavie, mais aussi lors des deux conflits en Tchétchénie, les Serbes et les Russes ont accusés l’Occident, et plus particulièrement les États-Unis, de collaborer avec al-Qaida et les réseaux islamistes. On peut se demander si ce qui se passe en Libye est le fait d’une alliance de circonstance, ou si l’Occident et les mouvements islamistes ont déjà effectivement œuvré main dans la main auparavant.
La bataille de Syrte
Rien de tout cela n’est évoqué par le ministère français de la Défense, plus avare d’informations que les journaux britanniques. Toutefois, dans son point de situation n°40, il révèle que du 18 au 25 août, soit précisément au moment de la conquête de Tripoli, l’aviation et l’aéronavale françaises avaient procédé à 96 frappes au sol. Parmi les cibles visées, «plus d’une vingtaine de véhicules militaires et armements (chars, véhicules armés, pièces d’artillerie et lance-roquettes multiples) principalement dans les régions de Brega, et Tripoli; une dizaine d’infrastructures militaires (bâtiments, postes militaires) principalement dans les régions de Brega et Tripoli». Ces frappes françaises représenteraient environ un tiers des actions de l’Otan
On le voit, les opérations sont loin d’être terminées. A la veille de ce qui s’annonce comme la bataille de Syrte —peut-être la bataille finale de la guerre en Libye— il est sûr que ces activités vont se multiplier, dans le but de laminer définitivement les derniers vestiges des forces armées de Kadhafi. Mais Syrte n’est pas encore tombée. C’est de là que partent toujours des Scuds qui s’abattent plus ou moins au jugé sur les positions rebelles. Des lanceurs que les avions de l’Otan vont probablement s’employer à éliminer, ainsi que tout autre équipement dont disposeraient encore les kadhafistes. Les rebelles n’auront alors plus qu’à entrer en vainqueurs dans le fief du colonel.
Nous n’en sommes pas encore là, ce qui n’en empêche pas certains de tirer de l’intervention en Libye des conclusions quelque peu hasardeuses. Le Washington Post n’hésite pas à voir dans le soutien aux rebelles du CNT un modèle qui serait désormais applicable ailleurs:
«Face au succès des rebelles libyens, qui ont réussi à renverser leur dictateur, d’aucuns, dans les rangs de l’opposition syrienne, appellent à une rébellion armée et à l’intervention de l’Otan».
Il est vrai qu’entre Syrte et Syrie, il n’y a qu’une lettre de différence. Mais de là à franchir le pas…
Roman Rijka
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