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Le Forum social ne séduit pas Dakar
Le Sénégal accueille du 6 au 11 février la 11e édition du Forum social mondial, dans une certaine indifférence. Pendant cinq jours, les militants altermondialistes rêvent toujours d’un nouvel ordre social.
Un vaste campement de tentes plantées dans la cour ensablée de la fac. Des centaines et des centaines de personnes se faufilent entre de vieux taxis. Pendant cinq jours, l’université Cheikh Anta Diop de Dakar grouille de militants altermondialistes.
Des ONG y tiennent des stands et animent tour à tour des conférences sur les thèmes de l’immigration, de l’agriculture, du développement durable… Abdallah Saaf dirige un centre de recherche en sciences sociales à Rabat, au Maroc. Il participe au Forum social mondial (FSM) dans l’espoir de «percevoir la mesure de la crise économique et sociale», explique-t-il un brin perplexe.
«Où en sommes-nous concernant la crise mondiale: sommes-nous au début? Sommes-nous à la fin? Quelle est la perspective?», s’interroge cet économiste.
Lors de ce Forum social, les altermondialistes sensibilisent sur les enjeux environnementaux. Devant une foule en liesse et le poing droit levé vers le ciel, le président bolivien Evo Morales fait l’éloge de la «terre mère». Il demande aux militants présents de se mobiliser pour le prochain sommet des chefs d’Etat sur le réchauffement climatique.
«Pour refroidir la planète, lance-t-il, il faut changer de modèle économique, en finir avec le capitalisme. Il faut que les puissances arrêtent de détruire la planète».
Le ton est donné.
Beaucoup de questions, mais peu d’actions concrètes
A quelques encablures, une dizaine de personnes scrutent des fiches sur un panneau. Coiffé de dread locks, l’air nonchalant, le Camerounais Bernard Ngassa, de l’association Afrique-Europe-Interact recherche vainement le nom de la salle où doit se dérouler sa conférence sur la libre circulation. Ce conférencier établi en Allemagne est tout de même optimiste pour «faire entendre la cause des migrants» au sein du Forum.
Certes le Forum social donne plus de visibilité à certaines questions sensibles peu évoquées par les médias —comme les problèmes de taxation financière ou encore de l’accaparement des terres sur le continent africain—, mais parmi les participants, on sent monter une certaine frustration.
Moké Sidibé participe pour la première fois au FSM. Fraîchement acquis à la cause altermondialiste, il veut «participer au débat sur le développement de l’Afrique», mais avec une dose savante de réalisme.
«Ce Forum est sans suite», lâche-t-il. «Cela fait onze ans qu’on parle du Forum mondial et cela n’a jamais abouti à rien de concret. Chaque année, les privatisations et le bradage des terres continuent.»
Comme lui, plusieurs participants de la délégation malienne rêvent d’«actions concrètes». A l’issue de chaque réunion, «on recommande, on recommande… Mais recommander sans suite, ça n’a pas de sens», s’indigne son voisin.
Un évènement qui passe inaperçu
Le FSM se déroule dans l’indifférence totale des Sénégalais. Même la capitale qui l’accueille a été mise à l’écart de ce grand rendez-vous. En centre-ville, on distingue à peine une affiche annonçant l’événement. A Fann, les étudiantes de la Cité Claudel, située à côté du centre névralgique du FSM, ont quasiment déserté les lieux.
«Nous n’avons pas eu d’informations sur cet événement, alors pourquoi y participer?», questionne Wafa, un sac sous le bras. Recluses dans leur chambre, une poignée d’étudiantes révisent leurs cours en vue des examens. «Nous ignorons quand ce forum a lieu. Nous ne savons pas de quoi cela va parler», affirme Ndèye Léna Lo, une étudiante en sciences économiques.
Le jour de la grande marche d’ouverture du FSM, Bernard Ngassa n’a observé qu’un «carnaval» se déplacer lentement le long des rues de la capitale. «Je n’ai vu que des gens danser, chanter; il y avait peu d’information», regrette ce militant, qui aurait souhaité que les participants diffusent davantage leur message auprès des populations.
Les organisateurs l’admettent: le Forum social touche surtout les ONG et les syndicats. «Il est évident qu’il y a des populations qui sont tout à fait mobilisées dans les corps des syndicats, des mouvements de femmes...», explique Mamadou Mignane Diouf, un membre du comité d’organisation du FSM, avant de concéder «qu’il reste encore des choses à faire pour mieux sentir la présence citoyenne d’un Sénégalais lambda» à cette rencontre.
Bineta Diagne