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Au Cameroun, l'homophobie est l'autre nom de la barbarie
Si rien n'est fait, les autorités seront coupables d'avoir transformé le Cameroun en un pays de sauvages.
Depuis quelques années, le Cameroun s'est rendu célèbre, en devenant l'un des pays africains où il est très dangereux d'aller traîner si vous êtes gay. Entre arrestations arbitraires, dénonciations calomnieuses, menaces en tout genre et emprisonnements à tour de bras, les homosexuels et les militants LGBT risquent leur vie tous les jours.
C’est dans ce contexte que le journaliste et activiste gay Eric Lembembe a été retrouvé mort à son domicile de Yaoundé, la capitale du Cameroun, le 15 juillet 2013.
Meurtre macabre
Selon l'ONG Human Rights Watch, les amis d’Eric Lembembe qui dirigeait une association de lutte contre le sida, l'ont retrouvé sans vie, après avoir essayé en vain pendant deux jours, de le joindre au téléphone.
«Le jeune homme avait le cou et les pieds brisés, ses mains et ses pieds avaient été brûlés avec un fer à repasser», rapporte HRW, qui cite un des amis ayant découvert le corps.
«Nous ne savons pas qui a tué Eric Lembembe ni pourquoi il a été tué, mais une chose est claire: le manquement total des autorités camerounaises à leur devoir d'endiguer les violences homophobes constitue pour leurs auteurs un encouragement à les poursuivre en étant assurés de l'impunité», a fait savoir Neela Ghoshal de Human Rights Watch.
En effet, Eric Lembembe était devenu l’un des militants les plus actifs et les plus en vue de la cause homosexuelle au Cameroun. C’est ainsi qu’il avait collaboré avec Human Rights Watch et d’autres organisations locales de défense des lesbiens, bi, gai et trans à la réalisation d’un rapport sur les nombreuses arrestations des homosexuels au Cameroun.
Regain de violence
Ce rapport, lorsqu’il avait été publié, en mars 2013 avait provoqué un regain d’homophobie dans le pays, avec des menaces de mort évidentes.
Il n’est donc pas étonnant que beaucoup, sur place, dans le pays, associent la mort d’Eric Lembembe à un crime homophobe. Il y a à peine un mois, le 26 juin, le siège de l’ONG Alternatives-Cameroun, une association qui milite en faveur des droits des gays, basé à Douala (capitale économique) a été incendié.
Une dizaine de jours avant, l’étude de l’avocat Michel Togué, qui défend devant les tribunaux des personnes «accusées d’homosexualité», a été cambriolée. Sa consœur, maître Alice Nkom, autre défenseure des homosexuels, et lui, ont reçu des menaces de mort par SMS.
Pourtant rien n’a été fait. Les autorités n’ont pas ouvert la moindre enquête. Les populations ont observé tout cela, tout comme toutes les autres condamnations arbitraires qui sont prononcées depuis plus de cinq ans, avec une certaine indifférence. Au Cameroun, la haine, l’ignorance et l’intolérance ont été érigées en règle de conduite. Le discours et les actes homophobes se sont banalisés dans le plus grand mépris des droits humains.
Silence coupable
Or, la mort d’Eric Lembembe est l’acte homophobe de trop. Paul Biya, le président camerounais doit sortir de son silence, s’il ne veut pas être tenu pour responsable (et coupable) de ce qui est de plus en plus en train de ressembler à de la barbarie. Paul Biya doit sortir de son silence et exiger que les auteurs de ce crime soient arrêtés et punis.
C’est le sens de la pétition lancée par All Out. C’est le sens des condamnations internationales tous azimuts, dont celle des Etats-Unis, qui exigent des autorités qu’elles ouvrent une enquête.
Que les autorités camerounaises ne veuillent pas faire supprimer l'article 347 bis du code pénal qui condamne à cinq ans de prisons les relations entre personnes de même sexe, soit! Les militants, eux, mèneront la lutte jusqu’au bout. Mais qu’elles contribuent, par leur silence, à une «homophobie d’Etat», comme l’a souligné un rapport d'Amnesty International (publié le 25 juin), c’est inacceptable.
Que les populations, elles-mêmes ne disent rien (et souvent participent) face à ce qui commence à ressembler à un vrai massacre des gays au Cameroun, il y a de quoi se demander si ce pays n’est pas en train de devenir un pays de fous.
Raoul Mbog