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Au Nigeria, l’enlèvement est un business d’avenir
Les populations du Delta ne profitent pas de la manne pétrolière. Et la prise d'otages est une façon de gagner de l'argent et de médiatiser leur situation.
Mise à jour 10 novembre 2010: Les trois Français enlevés au Nigéria en septembre ont été libérés, a-t-on appris ce mercredi 10 novembre. Ils travaillaient dans l’off-shore nigérian pour la société de services pétroliers française Bourbon. Quelques heures après cet enlèvement, un mouvement rebelle, le Mend (Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger), affirmait avoir localisé les ravisseurs et être entré en négociation avec eux. Les rebelles ont également revendiqué l'attaque d'une plateforme pétrolière d'Afren du littoral nigérian, dans la nuit du 7 au 8 novembre dans laquelle sept personnes (deux Indonésiens, deux Français, deux Américains et un Canadien) ont été enlevées. Ils ont indiqué qu'ils détenaient les otages. «Tous les expatriés enlevés sont bien portants, sous notre garde», a déclaré le Mend dans un communiqué. Nous republions l'article sur les motivations du Mend paru en septembre à l'occasion de l'enlèvement des troix Français de la société Bourbon.
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Pour faire quoi des otages? Mystère. Les revendications habituelles du Mend sont très éloignées de celles d’Aqmi (qui a revendiqué la prise d'otages de cinq Français au Niger). Même si l’un des chefs rebelles du Delta s’était fait surnommer «Ben Laden» –pour faire peur– les revendications de ces mouvements s’inscrivent le plus souvent dans le «jeu de rôle» classique de la politique nigériane. En effet, le Mend a vu le jour pour obtenir une plus juste répartition des ressources pétrolières du Nigeria (8e pays producteur de l’Opep).
Se «payer sur la bête»
Les populations du Delta —région qui produit l’essentiel des ressources de ce pays de 150 millions d’habitants— s’estiment lésées par le gouvernement central. Les dividendes de l’industrie pétrolière quittent pour l’essentiel la région. Même si depuis quelques années, la répartition est plus favorable au Delta, écoles, hôpitaux et routes y sont toujours en faible nombre. Les habitants de la région sont d’autant plus en colère que le Delta est extrêmement pollué par l’extraction pétrolière qui a commencé dans les années 1960. «Nous n’avons plus rien, presque plus rien à pêcher. Et le poisson qui survit est cancérigène», m’avait expliqué un villageois de la région en me montrant les eaux noires du delta.
Sur cette terre de mangrove, la pollution est visible à l’œil nu. Tout comme l’insécurité. Les étrangers qui circulent au milieu de ces eaux troubles et malodorantes sont protégés par des escortes armées. Souvent, les employés du secteur pétrolier préfèrent se déplacer en hélicoptère pour limiter les risques de prises d’otages. Des enlèvements ont lieu presque chaque semaine. La plupart du temps, les compagnies «s’arrangent» avec les ravisseurs, faisant tout leur possible pour éviter la médiatisation de ces affaires. Les employés des compagnies pétrolières sont d’ailleurs tenus à la plus grande discrétion par les contrats qui les lient à leurs employeurs.
En prenant régulièrement des otages, les «rebelles» du delta considèrent qu’ils ne font que se «payer sur la bête». Obtenir une rémunération en cash pour le pétrole extrait de leur sol. Les preneurs d’otages veulent s’enrichir et aussi sensibiliser l’opinion publique mondiale et les gouvernements occidentaux à leur cause. Les rebelles sont très souvent soutenus par des hommes politiques locaux, en sous-main. Ces «rebelles de la mangrove» n’ont aucun intérêt à tuer les otages. Leur image de marque serait vraiment ternie.
Des villages moribonds
Le temps travaille pour eux. Ils peuvent faire monter les enchères en toute sécurité. Dans la mangrove, leurs positions sont presque inexpugnables. Le gouvernement fédéral n’a jamais réussi à contrôler cette région où les épais palétuviers constituent de merveilleuses cachettes. Les habitants de la région n’éprouvent pas d’hostilité particulière à l’égard de l’Occident. Malgré la pollution. Ils savent que les compagnies versent des sommes considérables au gouvernement central et aux «barons locaux» pour exploiter les champs pétroliers. «Le problème, c’est que l’argent ne nous revient pas. Nos enfants meurent faute de soins. Nous n’avons ni l’eau, ni l’électricité et nous voyons les hélicoptères des compagnies pétrolières passer au-dessus de nos têtes», m’a déclaré un habitant du village qui jouxte le site de Chevron dans le delta du Niger. L’un des plus lucratifs. De hauts murs barbelés et une mince rivière d’eau noire séparent le village moribond et le site de la compagnie pétrolière américaine.
Dans la région, la vie des «expats» n’a rien d’une partie de plaisir. Ils sont invités à rester dans leur «base vie». Même les coopérants sont invités à ne pas sortir de la ville où ils sont domiciliés sans une escorte policière. En dehors du delta, la situation n’est guère plus réjouissante. A l’arrivée à l’aéroport de Lagos, la capitale économique du pays, les «étrangers» doivent être «réceptionnés» par des véhicules de l’entreprise qui les emploie sous peine d’être très souvent «enlevés» ou «dépouillés». Et de se retrouver en caleçon sur le bord d’une route.
Si la police demande à voir un passeport lors des nombreux «check points» qui jalonnent les routes, «l’expat» va fréquemment sortir une photocopie plutôt que l’original. «Très souvent les policiers “volent” les passeports pour les revendre à des trafiquants de drogue», explique un diplomate occidental en poste à Abuja, la capitale fédérale. Du fait de la fréquence des agressions, les fenêtres des «gens aisés» portent presque toutes des barreaux. Avant de sortir de chez eux, nombreux sont les expatriés et les Nigérians qui passent une dizaine de minutes à ouvrir toutes les épaisses grilles cadenassées qui protègent chacune des portes de la maison. De la chambre jusqu’à la salle de séjour.
Mais les «Oyibos» (les blancs en yorouba, la langue la plus parlée dans le sud-ouest du Nigeria) sont loin d’être les seuls «proies». «Si les auteurs d’enlèvements s’attaquent à eux, ce n’est pas par racisme. Mais parce qu’ils sont persuadés que le Oyibo a forcément de l’argent», affirme Femi Ayorinde, enseignant de Lagos. D’ailleurs, comme les «Oyibos» commencent à se faire plus rares dans le Delta (les ONG notamment emploient moins de blancs dans la région), les preneurs d’otages s’attaquent aussi aux Nigérians fortunés, parfois à ceux qui appartiennent aux classes moyennes.
Même les enfants deviennent des cibles. Pour les mettre à l’abri, des parents nigérians n’hésitent plus à les scolariser à des centaines de kilomètres du Delta, notamment dans la région de Jos, au centre du Nigeria. Mais même Jos n’est plus vraiment un havre de paix. Trois fillettes, âgées de 3 à 4 ans, ont été kidnappées dans cette ville le 21 septembre, a révélé le quotidien Daily Trust. «Maintenant, dans ce pays tout le monde peut être la cible d’un enlèvement. Du moment qu’il y a de l’argent à faire, explique Amaka, une habitante du Delta. Noir ou blanc, peu importe la couleur de peau des otages. Seul compte l’argent facile.»
Pierre Cherruau
Article mis à jour le 9 novembre avec l'enlevement de sept personnes, puis le 10 novemebre avec la libération des trois otages français enlevés en septembre.