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L'Egypte et le spectre de la décennie noire algérienne
Une radicalisation du mouvement des Frères musulmans n'est pas à exclure.
Article mis à jour le 14 août 2013: Après plusieurs jours de tergiversations, la police égyptienne a commencé, mercredi 14 août, à faire évacuer de force les places Rabiya Al-Adawiya et Nahda du Caire, occupées depuis six semaines par les partisans du président déchu Mohamed Morsi.
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L'armée égyptienne affirme avoir placé Mohamed Morsi en détention préventive. D'après le journal al-Ahram, la police égyptienne a ordonné l’arrestation de 300 membres des Frères musulmans, le mouvement dont est issu le désormais ex-président.
Faut-il y voir une volonté de prévenir et éviter des affrontements entre pro et anti-Morsi? Ou la marque d’une vengeance politique de l’armée?
Le risque d’embrasement est réel: le président n’a pas dit qu’il acceptait sa défaite et des affrontements entre partisans du président Morsi et forces de l’ordre ont éclaté au nord du pays, notamment à Alexandrie et Marsa Matrouh. Certains craignent que les Frères musulmans ne cèdent pas et que cela finisse par plonger le pays dans une grande instabilité, comme ce fut le cas en Algérie.
Le précédent algérien
Pendant une interminable décennie, le bras armé du Front islamique du Salut (FIS, aujourd’hui dissous) s’était opposé au gouvernement algérien. L’Armée islamique du Salut s’était formée à la suite de l’interruption du processus électoral législatif de 1991. Comme les Frères musulmans en Egypte, le FIS bénéficiait de la légitimité des urnes.
Le 26 décembre 1991, au premier tour des premières élections législatives pluralistes qu’a connu l’Algérie depuis l’indépendance, le Front islamique du Salut rafle 188 sièges, soit 47,4% des voix. Quelques jours plus tard, le scrutin est annulé. Aussitôt, des massacres et des attentats ensanglantent le pays.
«Le risque de scénario à l'algérienne est réel en Egypte, assure Tewfik Aklimendos, chercheur au Collège de France et spécialiste de l’armée égyptienne. On ne peut pas écarter l’hypothèse d’une radicalisation des Frères ou l’instrumentalisation d’un groupe tiers pour semer le trouble dans le pays.»
Cependant, tout dépendra de la stratégie des Frères musulmans dans les jours qui viennent, et de l’attitude de l’armée à son égard. Les Frères musulmans ne peuvent plus être marginalisés, comme au temps d’Hosni Moubarak. La question qui demeure: les Frères et l’armée sont-ils prêt à jouer le jeu de la politique?
Chasse aux sorcières
Il n’est pas certain que l’armée égyptienne prône l’ouverture, même si celle-ci a été acclamée par des millions de manifestants dans les rues du Caire. Si certains exultent de voir partir un régime dont il redoutait les penchants théocratiques et autoritaires, d’autres s’inquiètent de voir l’armée confisquer une seconde fois la révolution.
Face à une opposition bariolée, sans figure de proue à sa tête, l’armée est la seule institution capable de donner le tempo. Les Égyptiens impulsent, l’armée achève. Ils n’ont pas oublié la transition chaotique du Conseil suprême des forces armées (CSFA) de février 2011 à juin 2012: test de virginité, répression meurtrière, tribunaux militaires, tortures…
A cette époque, des manifestants réclamaient la chute de l’institution militaire aux commandes du pays. Un an plus tard, un sondage montre que 82% des Égyptiens souhaitent le retour de l’armée pour barrer la route aux Frères musulmans.
«L’armée a renouvelé son personnel après la mise à la retraite de l’ancien chef du CSFA et ex-ministre de la Défense, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui. C’était la seule institution à pouvoir répondre à la volonté des millions d’Égyptiens descendus dans la rue pour demander la démission de Mohamed Morsi. Je crois que l’armée a tiré les leçons de ses erreurs passées», précise Tewfik Aklimendos.
De son côté, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a estimé «préoccupante» l’intervention de l’armée pour renverser le président égyptien. L’Union européenne a appelé de son côté toutes les parties en Egypte à «retourner rapidement au processus démocratique», notamment par la tenue de nouvelle élection présidentielle.
Nadéra Bouazza
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