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Crise en Egypte : La bombe à retardement économique

Par Ridha Ben Kacem

A deux ans et demi de la Révolution égyptienne, la Place Tahrir a donc, repris de la voix. Mais le pouvoir égyptien ne tient pas à l’entendre et il préfère faire la source oreille comme l'un de ces trois singes que vous connaissez. En dépit des millions de manifestants, des affrontements, malgré les appels de l’armée, ceux des puissances étrangères et faisant fi des démissions de ses ministre, Mohammed Morsi n’en démord pas. Le président élu un an plus tôt, a rejeté l’ultimatum de l'armée et de l’opposition lui enjoignant de démissionner. Or, à cette crise politique, s’ajoute une crise économique que l'ampleur des événements de ces derniers jours, a évidemment, fait oublier. Pourtant, l’urgence économique est bien là. Sommé de partir a la fois par l'opposition et par l'armée, MORSI, s'accroche des mains et des pieds, sous prétexte qu'il n'y a de légitimité, que celle des urnes. Tout comme Rached Ghannouchi en Tunisie, MORSI, semble oublier que la légitimité des urnes est l'émanation de la volonté du peuple, qui peut la récupérer à tout moment, s'il se mobilise en masse, dans la rue. La rue est la seule véritable légitimité originelle, alors que la légitimité des urnes n'est qu'une légitimité secondaire qui ne peut tenir, que par le consentement d'une grande majorité du peuple.

En plus des exactions quotidiennes, dont sont victimes les libertés individuelles et les médias et qui ont causé la rébellion de l'admirable peuple égyptien, c'est la situation économique du pays qui constitue, aux yeux des observateurs, une véritable bombe à retardement. Je vais vous en brosser un tableau réaliste et vous découvrirez qu'il suffit de remplacer « Egypte » par « Tunisie »,pour voir à quel point, la situation économique des deux pays est parfaitement comparable, au point d'être pratiquement superposables, sauf sur un point capital : La situation de la dette de l'Egypte est nettement meilleure, que celle de la Tunisie. Ainsi, n'en déplaise à ceux qui « pensent » sans être dotés d'entendement, que la situation des deux pays n'est pas comparable, sous-entendant que celle de la Tunisie est meilleure ce qui est absolument faux, l'économie tunisienne est aussi sinistrée que celle de l'egypte.

En Egypte, donc, mais, comme convenu, vous pouvez lire aussi, « En Tunisie... »,l'accélération de la crise politique aggrave à son tour une situation économique, déjà fortement dégradée, depuis la révolution du 25 janvier 2011. Entre inflation galopante, dépendance accrue, à l’aide internationale et endettement, elle paraît même au bord de l’explosion. Récemment, la banque centrale égyptienne a sonné l’alerte : Si les réserves de change de l'Egypte ont légèrement remonté dernièrement, elles restent sous le seuil des 15 milliards de dollars, ce qui représente l’équivalent de trois mois d’importations de biens et services. En 2010, ces réservent étaient trois fois plus importantes. Par ailleurs, l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note souveraine de l'Egypte, en catégorie spéculative, début juin 2013, signalant ses fortes craintes d’un défaut de paiement du paysn ce qui le placerait en situation de faillite financière.

Pendant ce temps, tout comme le dinar tunisien, la monnaie égyptienne, se déprécie à une allure vertigineuse. Le taux de change, avec le dollar, a chuté de plus de 12%, depuis décembre 2011, un dollar valant désormais, 6,99 livres et un euro s’échange en juin, contre 9,12 livres égyptiennes alors qu’il en valait 9,04, en avril dernier. Ce mouvement s’était déclenché auparavant et la banque centrale a d’ailleurs aggravé la situation, par sa politique monétaire. « Jusqu’au début de l’année 2012, les autorités égyptiennes ont utilisé les réserves de change pour lutter contre la dépréciation de la monnaie », explique ainsi Jésus Castillo, analyste spécialiste du bassin méditerranéen, chez Natixis.

Or, le pays importe beaucoup, notamment des céréales, dont il est le premier consommateur mondial, mais aussi de l’énergie. D’où une forte inflation, qui atteindrait au total 9%, cette année, et qui touche notamment, les denrées alimentaires. Ce surenchérissement du coût de la vie, ajouté à de fréquentes coupures du courant électrique, suscitent l’indignation de la population. « Ces révoltes revêtent encore, plus qu’en 2011, un caractère socio-économique. Les femmes qui manifestent aujourd’hui, se révoltent sans doute moins, contre les religieux, qui veulent leur imposer la chariâa, que contre la hausse des prix, car avant tout, ce sont elles qui font les courses »,commente Sophie Pommier, spécialiste de l’Egypte et directrice de la société Méroé, qui conseille des entreprises.

Globalement, depuis le renversement d’Hosni Moubarak, dont les bons résultats macroéconomiques masquaient de fortes inégalités, la situation s’est fortement dégradée. La croissance a ainsi ralenti, passant d’environ 5,1% avant la révolution, à 2,5% actuellement, selon les dernières prévisions du FMI. Au cours de la même période, le déficit budgétaire s’est accentué, passant de 9,8% du PIB en 2010-2011 à 10,8% en 2011-2012, alors que le budget prévoyait un déficit 7,5% uniquement. Chez Natixis, Jésus Castillo tempère cependant: « Je ne pense pas que le pays va faire défaut de paiement aujourd’hui. Sur l’année fiscale 2011-2012, la dette à court terme, donc payable rapidement, représentait 8% de la dette totale et 18% des réserves de change, soit 2,9 milliards de dollars environ, ce qui n’est pas complètement ingérable »,explique-t-il.

La dette extérieure de l'Egypte s'est nettement élevée, fin mars 2013, de 15,6% pour atteindre 38,6 milliards de dollars, soir 14,9% du PIB, contre 33,4 milliards de dollars dans la même période en 2012, selon un rapport mensuel du ministère des finances égyptien. Le PIB étant de 259 milliards de dollars. Cette hausse serait attribuable à l'augmentation de la somme de la dette non-gouvernementale, a la lumière du dépôt qatari, d'un montant de 4 milliard de dollars, place dans la banque centrale, au cours du deuxième trimestre de l'exercice 2012/2013. Quant à la dette locale, elle se serait établie, fin mars 2013, à 1387,2 milliards de LE, soit 80% du PIB, contre 1089,4 milliards de LE en mars 2012, selon le même rapport.

Les leviers de croissance, qui permettraient au pays d’accumuler des réserves de change, reposent essentiellement, sur le tourisme, qui représente 45% des exportations de service, contre 24%, pour le Canal de Suez, dont l’activité est stable, heureusement, pour le gouvernement. Mais la croissance du secteur touristique pâtit évidement, des conséquences de l’instabilité politique, malgré une évolution de ce secteur amorcée avant la révolution. « Une reconfiguration du secteur touristique s’est enclenchée, avec l’arrivée d’un tourisme plus balnéaire auprès notamment de clients russes. Il a le mérite de concerner des régions plus sécurisées que le tourisme culturel »,comme Charm el-Cheikh, explique Sophie Pommier, qui conseille à partir de la France, des entreprises françaises, installées en Egypte. Mais, les tour-opérateurs tant locaux, qu'internationaux, n’en finissent plus de payer la note des errances de la politique gouvernementale. Les choses vont s'aggraver, bien évidemment, à la suite des récents événements.

Dans ce contexte économique délétère, l’aide internationale, que le gouvernement tente de négocier, depuis plus de deux ans, paraît d’autant plus cruciale. Christine Lagarde, la directrice du FMI, a récemment fait remarquer, que la somme de 4,8 milliards de dollars, promise par le FMI, dont le déblocage pourrait entraîner d’autres partenaires, comme l’Union européenne à ouvrir leur portefeuille, ne serait elle-même pas suffisante, pour les besoins de l'Egypte. Pour l’instant, les négociations avec le FMI sont au point mort, après de nombreuses tergiversations de la part du gouvernement, dominé jusqu’aux dernières vagues de démissions de ministres, par MORSI et ses Frères Musulmans. Le problème, c'est que le Fonds monétaire exige des conditions draconiennes, pour verser l’aide promise. Parmi ces conditions : La suppression des subventions, sur les prix des carburants et des hausses de taxes, dans tous les secteurs d'activité. Des mesures hautement impopulaires, comme on peut le comprendre et d’autant plus impopulaires, qu’elles « sont assimilées à l’Occident en général, et aux Etats-Unis en particulier, comme une forme d’impérialisme économique accompagnant l’impérialisme politique »,explique Sophie Pommier, auteur de « L’Egypte, l’envers du décor ».

Pour l’instant, le Caire bénéficie de l’aide financière de ses partenaires du Golfe, non sans contreparties. « L’aide du Qatar consiste pour partie, en dépôts d'argent que l’émirat peut retirer à sa convenance, disposant ainsi, de moyens d’ingérence, ce qui est très mal perçu dans la population. Sous pression du Qatar et de l’Arabie Saoudite, Mohammed Morsi a ainsi adopté récemment, une position plus dure, vis-à-vis du régime de Bachar el-Assad, alors que l’Egypte cherchait jusqu’alors, à jouer le rôle de médiateur »,explique Sophie Pommier.

Enfin, il reste à noter que l’issue politique de la situation actuelle, paraît bien plus lointaine encore, tant les tensions sont vives, entre les différentes partie prenantes. « Je redoute un scénario dans lequel, pour arriver à un compromis, il faut d’abord épuiser l’idée d’imposer son point de vue aux autres, d’être la communauté dominante, ce qui peut passer par une phase très violente. Au Liban, elle a duré quinze ans, en Algérie dix ans »,fait remarquer Sophie Pommier. Oui, l'Egypte n'a jamais été aussi proche de la guerre civile, alors que contrairement à la Tunisie, le pays n'a pas, ou pas encore, été confronté à la menace terroriste.

Pour résumer et conclure, voici les points traités dans ce papier et qui sont autant de points de convergences, entre la Situation économique en Egypte et en Tunisie. Sachant par ailleurs, que les mêmes causes finissent toujours, par aboutir aux mêmes résultats, vous pouvez comprendre, qu'en Tunisie, l'étincelle ne tardera sans doute pas, à enflammer la colère sociale palpable depuis quelque temps, déjà.

1.Des réserves en devisent qui fondent
2. Une monnaie qui se déprécie à toute allure
3. Des prix qui grimpent
4. Une croissance ralentie, un endettement en hausse
5. Le tourisme en danger
6. Les conditions du FMI
7. Une très chère perfusion qatarie…
8. Et toujours le blocage politique

Par Ridha Ben Kacem le 3 juilet 2013

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